Bilan de 25 ans de libre-échange avec les Etats-Unis

2012/10/11 | Par Jim Stanford

L’auteur est économiste au syndicat des Travailleurs canadiens de l’automobile.

Ces dernières années, le commerce international s’est sans conteste avéré le plus grand obstacle à la performance de l’économie canadienne. Nos exportations (en dollars constants) sont inférieures à ce qu’elles étaient en 2000, et notre balance des paiements s’enlise dans un déficit record.

Aussi, il était donc tout particulièrement ironique, la semaine dernière, de voir hommes d’affaires et députés conservateurs cesser toute activité pour célébrer le 25e anniversaire de l’accord de libre échange Canada États Unis.

Il n’y a que les « opposants au libre échange » pour remettre en question la vertu historique de cet accord, a rageusement lancé Ed Fast, ministre du Commerce international.

Curieusement, les données factuelles objectives ont été occultées de ce concert d’autocongratulations. Laissons donc de côté la rhétorique pour nous pencher sur certains indicateurs concrets de notre performance commerciale passée et présente en Amérique du Nord.

Volume des exportations : Au milieu des années 1980, avant que Brian Mulroney et Ronald Reagan ne signent leur fameux accord, les exportations canadiennes aux États Unis comptaient pour 19 % de notre PIB. Aujourd’hui, elles comptent pour 19 % de notre PIB. C’est donc dire que toute augmentation des exportations induite par la signature de l’accord n’a été que temporaire et n’a plus cours aujourd’hui.

Composition des exportations : Au milieu des années 1980, la majorité de nos exportations aux États Unis se composaient de biens manufacturés relativement sophistiqués (des automobiles, de l’électronique et de la machinerie, entre autres). À l’heure actuelle, la plus grande partie des exportations passant la frontière consistent en ressources naturelles et produits bruts ou très peu transformés.

Marché américain : Au milieu des années 1980, 19 % de la totalité des importations américaines provenaient du Canada. Aujourd’hui, notre part s’élève à 14 %. On repassera pour le soi disant « accès privilégié ». Par ailleurs, nous comptons toujours sur les États Unis pour 75 % de nos ventes à l’exportation, comme avant la signature de l’accord.

Productivité : Au milieu des années 1980, la productivité moyenne des entreprises canadiennes se chiffrait à 90 % des niveaux enregistrés aux États Unis. Même si les partisans du libre échange avaient prédit que l’intégration continentale comblerait cet écart, nous avons perdu du terrain et rapidement. Aujourd’hui, notre niveau de productivité se situe à 72 % de celui des États Unis.

Revenus : Les promoteurs de l’accord avaient également promis que les gains de productivité tirés du libre échange se traduiraient par une hausse des revenus. Comme nous n’avons touché aucun dividende de productivité, aucune hausse de revenus n’a eu lieu. L’année dernière, le revenu familial médian, corrigé en fonction du taux d’inflation, se situait plutôt exactement au même point qu’en 1980. Aucune croissance des revenus n’a été enregistrée pour toute cette période.

Bref, il est difficile de trouver des preuves économiques démontrant un quelconque avantage de cet accord pour le Canada. Ce n’est pas pour rien que les célébrants de la semaine dernière ont préféré le jargon métaphysique – aux données factuelles – pour expliquer à quel point l’accord de libre échange avait « fait grandir » notre pays et constituait un « symbole de confiance nationale », entre autres affirmations nébuleuses.

Malgré ce manque flagrant de preuves économiques concrètes, on n’hésite pas à ridiculiser et à traiter d’analphabète économique quiconque ose remettre en question le solide consensus autour du fait que le libre échange est une bénédiction pour le Canada.

L’accord de libre échange a été fondé sur un malentendu historique quant aux concessions demandées. Le Canada souhaitait se soustraire aux droits compensateurs des États Unis. En retour, il devait accorder aux Américains un accès sûr à son énergie, même en période de pénurie (aux termes d’une disposition sur le partage de l’énergie qu’aucun autre pays n’a jamais accepté de signer).

Nous connaissons tous les conséquences désastreuses de la première partie de l’entente (crise du bois d’œuvre, clause « Buy America », etc.). Par contre, la deuxième partie s’est concrétisée comme prévu, jetant les bases institutionnelles d’un boom des exportations de ressources naturelles qui a modifié du tout au tout notre économie canadienne.

En réalité, les tapes dans le dos de la semaine dernière n’ont rien à voir avec l’économie, et tout à voir avec une partisannerie politique. Le gouvernement Harper cherche à détourner l’attention de nos échecs commerciaux à répétition (et à justifier sa hâte de signer encore plus d’accords de libre échange) en commémorant une victoire commerciale symbolique pour son parti.

Toutefois, les chiffres sont éloquents. Si l’objectif de l’accord de libre échange était vraiment d’augmenter et d’améliorer les activités commerciales, il est alors évident qu’il a nuit au Canada beaucoup plus qu’il ne l’a aidé.

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