Y’ a-t-il trop peu de riches ?

2012/11/30 | Par Sylvain Martin

L’auteur est directeur québécois des TCA

La fin de semaine dernière, au Conseil québécois des TCA, les délégués ont endossé de façon unanime une recommandation de ma part qui se lit comme suit :

« Puisque la taxe santé, même avec les modifications apportées par le PQ, demeure une taxe régressive. Je recommande que nous prenions l’engagement de proposer à nos membres d’inclure dans nos cahiers de demandes syndicales le remboursement de cette taxe par les employeurs. »

J’ai fait cette recommandation parce que je crois fermement que notre force de négociation collective est un excellent moyen de s’opposer aux décisions d’un gouvernement qui vont à l’encontre des intérêts des travailleurs.

Cela ne signifie toutefois pas qu’il faut cesser de s’opposer à ce modèle fiscal qui consiste à réduire les impôts et à combler le vide laissé dans les coffres de l’État par une diminution des services ou, dans le cas de la taxe santé, par une taxe régressive.



Les riches, trop peu nombreux?

Le gouvernement Marois a accouché d’une version hybride de la taxe santé des libéraux. Le recul est venu en réaction aux attaques concertées de notre bonne vieille droite et de leurs fidèles porte-voix, les pseudo-analystes politiques et économiques.

À l’unisson, ils ont entonné la même rengaine : augmenter les impôts des mieux nantis ne permettrait pas de remplir les coffres de l’État, parce que les riches sont trop peu nombreux.

Autrement dit, taxons les travailleurs et les pauvres. Ils sont moins fortunés, mais ils sont plus nombreux !

Mathématiquement parlant, personne ne va contester qu’il y a plus de travailleurs que de patrons, plus de pauvres que de riches.

Mais, fiscalement parlant, ce n’est pas le nombre de têtes de pipes qui compte, mais la hauteur de leurs comptes en banque, de leurs revenus et des biens qu’ils possèdent.



Seulement 1%, mais…

Si on veut instaurer une justice fiscale, qui est la base sur laquelle on peut édifier une justice sociale, il faut également tenir compte de la progression des revenus des différentes classes de la société.

À cet égard, l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) a publié récemment une note de recherche avec des données très intéressantes.

À propos du fameux 1 % de la population, cette élite des possédants, l’auteur de la recherche Nicolas Zorn écrit :

« Plusieurs constats étonnants se dégagent de notre étude. En effet, la croissance des revenus des particuliers au Québec a surtout profité à cette catégorie de revenus, une croissance cinq fois plus importante que celle du 99 % restant. Depuis 1985, il y a une hausse importante de la concentration des revenus pour le 1 %, passant de 7 % de tous les revenus à presque 12 %. Enfin, notons que la baisse du taux marginal d’imposition, qui est passé de 68,4 % en 1980 à 48,2 % aujourd’hui, pourrait être en partie responsable de cette hausse de la concentration des hauts revenus. »

Demander aux mieux nantis de faire un peu plus pour le maintien des services dans notre société, c’est donc demander un peu plus à une catégorie de personnes dont la croissance des revenus a été 5 fois supérieure à celle des travailleurs.

C’est d’autant plus justifié que cette croissance de leurs revenus provient en bonne partie des baisses d’impôts qui leur ont été consenties!



Un milliard, ce n’est quand même pas banal !

On a tous déjà lu ou entendu aux nouvelles ces statistiques qui démontrent qu’il y a de plus en plus de millionnaires et de milliardaires au pays et dans le monde.

Je me souviens, étant plus jeune, que pour définir quelqu’un de riche, on parlait de millionnaire. Aujourd’hui, pour le même qualificatif, on parle de multimillionnaire et même de milliardaire.

Mais, millionnaire ou milliardaire, on a de la difficulté à s’imaginer ce que cela représente.

Un ami m’a fait parvenir un article paru en 2010 qui nous aide à le comprendre. L’article fait référence à un livre de la journaliste Linda McQuaig The Trouble with Billionaires, paru aux éditions Neil Books.

Linda McQuaig utilise l’image suivante pour nous aider à faire la différence entre un millionnaire et un milliardaire.

« Imaginez, explique-t-elle, que l’on vous donne un dollar chaque seconde. À ce rythme, après une minute, vous aurez 60 $. Et après 12 jours, vous serez millionnaire. Mais combien de temps faudra-t-il pour que vous deveniez milliardaire? Au même rythme, il faudra 32 ans! »

L’article poursuit : « Maintenant, pour avoir une idée de ce que représentent les plus grandes fortunes, on peut essayer d’imaginer combien de temps il faudrait à Bill Gates, un des hommes les plus riches du monde, pour compter ses 53 milliards. Au même rythme, c’est-à-dire un dollar à la seconde, il lui faudrait 1680 ans! Autrement dit, il faudrait qu’il ait commencé à compter en l’an 330 après Jésus-Christ ».

Linda McQuaig a écrit ces lignes il y a déjà quelques années. Depuis ce temps, le nombre de milliardaires s’est multiplié et l’écart entre le 1% et le 99% s’est élargi considérablement.

L’idée n’est pas qu’il faut détester les personnes les mieux nanties, l’idée c’est d’exiger qu’elles fassent leur juste part.



Un exemple parmi tant d’autres

Les médias rapportaient cette semaine que la compagnie Bombardier a annoncé une commande de Vista Jet pour une possibilité de 142 biréacteurs d’affaires Global.

En écoutant cette nouvelle à la radio, j’étais heureux pour nos membres de la section locale 62 chez Bombardier, mais tout de même surpris de la pluie de milliards de dollars pour l’achat des appareils.

Mais ce qui m’a le plus étonné, c’est l’utilisation de ces appareils.

Le commentateur économique a déclaré que Vista Jet louait ces appareils au prix de 15 000 euros l’heure à des entreprises et à des hommes d’affaires qui n’avaient pas le temps d’attendre dans les aéroports!

15 000 euros l’heure, c’est environ 20 000 dollars canadiens!

Bien entendu, pour revenir au calcul de Linda McQuaig, 20 000 $, à raison d’un dollar à la seconde, ça se compte en 5,5 heures. Il n’y a rien là pour un milliardaire! Rappelez-vous qu’à un dollar par seconde, il faut 32 ans pour atteindre un milliard!

En passant, en comptant toujours au même rythme d’un dollar à la seconde, savez-vous combien il faut de temps pour compter le salaire moyen d’un travailleur au Québec? À peine 12 heures!