Aérospatiale : le Québec, un buffet à volonté pour la Chine!

2012/12/14 | Par Sylvain Martin

L’auteur est directeur québécois des TCA

La semaine dernière, j’ai reçu un courriel d’un de nos présidents du Comité syndical du secteur de l’aéronautique qui se lisait comme suit :

« Allez voir cette entrevue de M. Brasset, directeur de l’ÉNA. Ça pas de bon sens. »


Serge Brasset est directeur de l’École nationale de l’aérotechnique. Il était interviewé par Gérald Filion sur les ondes de RDI au retour d’une mission économique du gouvernement du Québec en Chine en novembre dernier.

L’école nationale d’aérotechnique (ENA) est un campus du collège Édouard-Montpetit. Elle constitue le chef de file en matière de formation technique en aérospatiale.

C’est principalement à l’ENA que l’industrie puise sa main-d’œuvre technique spécialisée en construction aéronautique, en entretien d’aéronefs et en avionique.



Exporter le savoir-faire québécois

Quand Gérald Filion demande à Serge Brasset : « Qu’est-ce que vous alliez faire en Chine? », sa réponse est stupéfiante.

M. Brasset explique qu’il est allé offrir aux Chinois le savoir-faire québécois en aérotechnique, que c’est la quatrième mission en Chine à laquelle il participe et que d’autres sont à venir. On apprend également que d’autres missions ont eu lieu ou sont sur le point d’avoir lieu en Inde, au Mexique, au Maroc et en Europe.

Avec beaucoup de fierté, M. Brasset raconte que 25 étudiants chinois sont présentement en formation à l’école de Longueuil dans le but de pouvoir remplacer, à plus bas coût, des techniciens européens qui assurent l'entretien d’aéronefs d’Airbus en Chine.

L’ENA recrute également une trentaine d’étudiants français dans le même objectif. De même, les étudiants québécois font des stages dans différents pays dans le cadre de programmes de « mobilité étudiante ».

Pour M. Brasset, tout cela s’inscrit dans une stratégie d’« internationalisation du savoir » où le savoir-faire québécois est une marchandise exportable, au même titre que d’autres marchandises, par exemple les avions!

Avant de poser un jugement de valeur sur cette approche, il faut rappeler quelques faits.



L’aérospatiale, un pôle industriel majeur

Le secteur de l’aéronautique est un pôle industriel majeur au Québec. Il est pour le Québec ce que l’industrie automobile est pour l’Ontario.

Selon les données du ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation (MDEIE), 50% de la production canadienne s’effectue au Québec et 55% des emplois canadiens de ce secteur y sont situés.

98% de ces emplois sont concentrés dans la région du Montréal métropolitain, ce qui en fait un des plus grands centres aérospatiaux du monde avec Seattle et Toulouse.

L’industrie est structurée en quatre catégories d’entreprises. Les maîtres d’œuvre comme Bombardier, Bell Helicopter, Pratt & Whitney, CAE. Les équipementiers comme, entre autres, Héroux-Devtek, CMC Électronique, Thales Canada, MDA, Rolls-Royce, etc.

Puis, les fournisseurs de produits et services spécialisés (une centaine d’entreprises), et les sous-traitants qui comptent, eux aussi, près d’une centaine d’entreprises.

Au total, en 2011, l’aérospatiale, c’était 212 entreprises, avec un chiffre d’affaires de 11,67 G$, et 42 040 emplois, en général de bons emplois, bien rémunérés et syndiqués.

Le tout appuyé, par un système de formation, reconnu par l’industrie comme un des meilleurs au monde.

Cette structure industrielle n’est pas tombée du ciel. Elle est née de choix stratégiques et politiques : concentration de la structure industrielle, d'importants investissements des gouvernements, la formation d’une main-d’œuvre qualifiée et la mise sur pied d’un comité sectoriel où tous les acteurs sont réunis.

La recette est gagnante. Le Québec se retrouve parmi les leaders mondiaux de l’aérospatiale.



À qui profite cette internationalisation de l’éducation?

Revenons maintenant à l’entrevue de M. Brasset. Imaginons un dirigeant d’une entreprise, qui aurait développé une batterie permettant une autonomie de 1000 km à la voiture électrique, déclarer en entrevue à Gérald Filion à RDI : « Nous participons à des missions économiques en Chine pour exporter notre savoir-faire. »

Il serait rapidement qualifié de stupide! Pourquoi ne pas appliquer le même jugement aux missions de l’ÉNA?!

Le savoir-faire québécois en formation dans le secteur de l’aéronautique est aussi précieux qu’une nouvelle découverte. Il doit constamment être développé. Il devrait être gardé jalousement, et pourquoi ne pas être élevé au rang de secret industriel.

L’aérospatiale est une industrie hautement compétitive à l’échelle mondiale. Aussi, exporter notre savoir-faire, c’est favoriser la délocalisation de nos emplois vers la Chine, l’Inde ou tout autre pays à qui nous aurons eu l’idée de génie d’aider à former une main-d’œuvre aussi compétente que la nôtre!

Avec cette main-d’œuvre bien formée par nos bons soins, mais moins bien payée que la nôtre, ces pays seront bien placés pour inviter à s’installer sur leur territoire les Pratt & Whitney, Bombardier et Airbus de ce monde!

Il serait temps qu’on porte une attention particulière aux missions économiques de nos gouvernements à l’étranger et à leurs conséquences potentielles sur nos bons emplois au Québec.

Quant à M. Brasset, qui exhibait devant Gérald Filion une carte d’affaires rédigée en mandarin pour exprimer son respect de ses interlocuteurs chinois, il vaudrait mieux qu’il déplie une carte routière du Québec et se mette à parcourir notre territoire pour recruter de jeunes Québécois pour l’ENA.

Avec un taux d’emploi de seulement 62%, ce serait beaucoup plus profitable pour notre société que n’importe quelle mission en Chine.