Dépassements de coûts en informatique

2013/01/16 | Par Maude Messier

Ce n’est pas la première fois que le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) sonne l’alarme quant à l’explosion des coûts des projets informatiques au gouvernement.

Ce mardi, 15 janvier, l’organisation est passée en seconde vitesse, réclamant la tenue d’une enquête publique sur l’octroi des contrats gouvernementaux dans les technologies d’information.

« Considérant les très nombreux projets informatiques tombés à l’eau après des dépenses faramineuses et des échéanciers non respectés ainsi que le manque de concurrence fréquent dans les appels d’offres en informatique, il est plus que temps d’enquêter sur l’octroi de ces contrats et de mettre un terme aux gaspillages des deniers publics », a déclaré la présidente du SFPQ, Lucie Martineau, en conférence de presse.

Dans une entrevue accordée à l’aut’journal, Mme Martineau s’inquiète de voir les mêmes procédés dans le domaine de l’informatique qui rappellent étrangement ceux dénoncés dans le secteur de la construction, ce qui justifierait l’ajout d’un mandat en ce sens à la commission Charbonneau.

« Ce sont les mêmes ingrédients que pour la construction. La concurrence est très limitée, voir inexistante, les coûts ont explosé et il existe une dépendance en matière d’expertise de la fonction publique envers les firmes privées. Les mêmes quelques entreprises se partagent les contrats. »

Le SFPQ affirme avoir eu une oreille attentive de la part de la première ministre à l’occasion d’une rencontre cet automne, Pauline Marois s’étant montrée préoccupée par la question des coûts en informatique.

Lucie Martineau estime toutefois que « c’est bien de vouloir changer, mais encore faut-il prendre les moyens de le faire. Ajouter ce mandat à la commission Charbonneau, c’est une suggestion. Compte tenu de l’importance des sommes publiques impliquées, il était temps de passer à une autre étape. »

La demande de la tenue d’une enquête publique a été adressée par écrit au président du Conseil du trésor, Stéphane Bédard. Le syndicat espère une réponse rapidement.


Le recours au privé coûte cher

Ce sont les projets et les programmes informatiques mis en branle par les ministères et les organismes devant leur permettre de poursuivre leur mission qui sont pointés du doigt par le syndicat, tout comme par le Vérificateur général du Québec et ce, à quelques reprises.

Le SFPQ cite notamment le défunt système GIRES, devenu SAGIR, la Commission administrative des régimes de retraite et d’assurances, les projets informatiques du Curateur public, celui de la Commission de la santé et de la sécurité du travail et celui du ministère de la Justice. Tous ces projets ont entraîné des dépassements de coûts, des retards ou carrément l’abandon du programme.

Si les dépenses afférentes à l’informatique dans les ministères et organismes ont pratiquement triplé entre 2006 et 2009, c’est la proportion d’acquisitions de services auprès de fournisseurs privés, la sous-traitance, qui a augmenté au cours de la même période, représentant désormais près de la moitié des dépenses.

Le SFPQ estime que ces dépenses récurrentes se chiffrent à près d’un demi milliard $ annuellement, pour la fonction publique seulement.

Le syndicat a dressé une analyse comparative des coûts de la main-d’œuvre interne et externe pour la période 2009-2010 qui révèle que les dépenses informatiques octroyées en sous-traitance coûtent en moyenne près de deux fois plus chères que si elles étaient confiées à des fonctionnaires. L’analyse compare des postes similaires et tient compte de la rémunération globale des fonctionnaires, salaires et avantages sociaux inclus.

Le Vérificateur général du Québec, Renaud Lachance, faisait état en 2011 de coûts anormalement élevés quant aux salaires accordées aux entreprises privées par le gouvernement.

Le rapport stipulait alors qu’une ressource externe coûte entre 400 $ et 950 $ par jour alors que la rémunération globale pour un fonctionnaire varie de 215 $ à 475 $ par jour.

Le SFPQ parle d’une « hémorragie d’expertise interne » et craint que la dépendance au privé n’entraîne des répercussions désastreuses. Lucie Martineau confie même avoir eu vent de cas où des fonctionnaires se seraient prévalus d’un congé sans solde pour faire un contrat dans une firme privée. « C’est comme aller travailler chez le concurrent du gouvernement, avec l’expertise. Mais quand on voit les salaires… Ce ne sont pas ces travailleurs qu’il faut blâmer. »

Un rapport plus récent, déposé en novembre dernier par le vérificateur général par intérim Michel Samson, fait aussi état de lacunes entourant la gestion des contrats informatiques.

Rappelons également que la Commission de la fonction publique du Québec, dans son rapport annuel 2011-2012, note un recours plus accentué à la sous-traitance au cours des dernières années pour l’ensemble de la fonction publique.

« Selon les données du Secrétariat du Conseil du trésor, la valeur des contrats de services professionnels et techniques accordés par les ministères et les organismes du gouvernement se chiffrait à 845 millions $ en 2003-2004, pour atteindre 1 milliard 458 millions $ en 2007-20082, soit une hausse de près de 75 %. »

Fait intéressant, la Commission relève que les principaux motifs sous-jacents à l’octroi de contrats sont notamment le manque d’expertise (45 %), le surcroît de travail et l’absence d’employés (42 %), le gel d’embauche (26 %).

Le rapport met aussi en garde contre le recours inapproprié aux contrats de services qui « peut constituer une menace pour l’organisation, puisqu’il est susceptible de créer une dépendance par rapport aux ressources externes à moyen ou à long terme. Il peut aussi freiner le développement des compétences des ressources humaines à l’interne.»

Un point de vue que partage Lucue Martineau : « La politique de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux est un problème. Il faut permettre l’embauche de personnel pour cesser d’être à la merci des sous-traitants. On manque d’expertise parce qu’on a laissé les gens partir, c’est inquiétant parce que c’est l’entreprise privée qui dicte les besoins et qui obtient les contrats. »

Comment expliquer que le recours à la sous-traitance s’accentue au fil des ans, malgré le fait qu’il en coûte plus cher? Le SFPQ estime que le manque de transparence justifie, en partie, la tenue d’une enquête publique sur le sujet.

« C’est toujours cette idéologie néolibérale qui dépeint la fonction publique comme une nuisance. Comme s’il fallait toujours diminuer le nombre de fonctionnaires, sans égard aux conséquences que ça peut engendrer. »

La Coalition Avenir Québec a été prompte à réagir mardi à l’initiative du SFPQ, soulignant, par voie de communiqué, que toute enquête publique concernant les contrats informatiques devrait porter autant sur l’appareil gouvernemental que sur les firmes privées.

« Il faut être deux pour danser. Nous sommes d'accord avec le SFPQ qu'il est important de faire la lumière, mais s’il y a eu des irrégularités dans l’octroi ou la gestion des contrats informatiques, ce n’est pas vrai que des firmes privées ont pu agir seules », a déclaré le porte-parole de la Coalition Avenir Québec pour le Conseil du trésor, Christian Dubé.