Aéroport de Montréal : quand on n’avance pas, on recule !

2013/01/25 | Par Sylvain Martin

L’auteur est directeur québécois des TCA

La sortie, ces jours-ci, du professeur Michel Archambault à propos du déclin de l’aéroport de Montréal m’a fait penser à un Congrès sur la négociation collective et l'action politique tenu par notre syndicat où les délégués présents avaient adopté une politique de non-concessions lors du renouvellement de nos conventions collectives.

Les délégués à ce congrès savaient très bien que l'adoption d'une telle politique ne nous rendait pas invulnérables aux concessions, mais les débats précédant son adoption avaient mis une chose au clair : une fois entré dans la spirale des concessions, il est difficile d'en sortir.

Cette logique du recul en accéléré n’est pas particulière au champ des négociations! On la voit à l’œuvre lorsqu’on passe en revue l’histoire des aéroports de Montréal.

Un autre rendez-vous raté?

Qu’aujourd’hui l’aéroport de Montréal ait perdu son rôle de principale plaque tournante du transport aérien dans l’est du pays au profit de Toronto, ce n’est pas une nouvelle. C’est vrai depuis une vingtaine d’années. Mais le monde change et ça pourrait être encore pire, nous avertit le professeur Archambault.

Dans un texte paru dans Le Devoir du 21 janvier sous le titre « Air Canada coupe les ailes de la métropole », il montre, en citant le président d’Air Canada Calin Rovinescu, que la croissance du trafic aérien proviendra surtout au cours des prochaines décennies des marchés de l’Asie-Pacifique et de l’Amérique latine.

Autrement dit, des pays émergents, aux économies en expansion. Des études, nous informe-t-il, prévoit une expansion phénoménale du tourisme en provenance de ces pays d’ici 2025.

Le problème, c’est que l’aéroport de Montréal ne compte aucun lien direct avec l’Asie et l’Amérique latine. Pour s’y rendre, il faut passer par Toronto qui compte, par exemple, 63 liens directs avec l’Asie.

Montréal écope et, par le fait même, tout le Québec. Non seulement les voyageurs doivent transiter par Toronto pour se rendre en Asie ou en Amérique latine, mais ils doivent payer un supplément!

Selon Michel Archambault, sur les quelque 33 millions de passagers à l’aéroport Pearson de Toronto, plus de 9 millions y sont en transit, dont la grande majorité en provenance du Québec. Comme ils doivent verser une taxe de transit, il estime qu’ils ont versé des centaines de millions de dollars à Toronto.

Il n’y a pas que le tourisme qui est affecté par cette situation. Le professeur Archambault rappelle que l’absence de liens directs avec ces pays d’Asie et d’Amérique latine constitue un handicap majeur pour l’accueil de congrès internationaux, l’implantation et la rétention de sièges sociaux, ainsi que pour les investissements dans nos principaux secteurs économiques comme l’aérospatiale, l’hôtellerie, le transport, les nouvelles technologies, les énergies vertes.

Une longue dégringolade

Comme je le disais précédemment, la situation n’est pas nouvelle. Et, dans une libre opinion, parue dans Le Devoir du 23 janvier, un autre professeur, Luc-Normand Tellier, revient sur les principales étapes du déclin aéroportuaire de Montréal.

Il rappelle que, lors de la construction de Mirabel, le gouvernement fédéral avait comme objectif d’en faire une plaque tournante, un « hub », dans le langage du milieu aussi important que Dallas-Fort Worth. On connaît le sort de Mirabel. L’aéroport de Dallas-Fort Worth occupe actuellement le 8e rang mondial.

Le professeur Tellier rappelle les principales étapes de l’échec de Mirabel : l’absence de liaison ferroviaire entre Mirabel et le centre-ville de Montréal, la décision de garder l’aéroport de Dorval en activité pour les vols domestiques, tuant ainsi dans l’œuf la vocation de Mirabel comme « hub », la levée de l’exclusivité de Montréal comme plaque tournante des vols transatlantiques.

Toutes des décisions imputables au gouvernement fédéral!

On pourrait ajouter, en référence à la situation actuelle, qu’il n’y a toujours pas de liaison par train entre Dorval et le centre-ville et que les interminables travaux à l’échangeur routier de Dorval remporteraient sans doute un prix de longue durée, s’il y avait un tel prix.

En 1976, les aéroports de Montréal étaient en position dominante au Canada. Aujourd’hui, Dorval se situe au troisième rang, derrière Toronto et Vancouver. Il se retrouvera bientôt, selon Michel Archambault, au 4e rang, dépassé par Calgary, qui le talonne. Calgary a déjà un lien de 5 vols par semaine avec Tokyo et est en attente d’un lien avec Beijing.

Luc-Normand Tellier va encore plus loin. Selon lui, la bataille la plus pressante est avec l’aéroport de Toronto qui offre des vols réguliers vers Washington, Philadelphie, New York, Chicago, Fort Lauderdale et Londres!

L’à-plat-ventrisme des hommes d’affaires et la complicité du fédéral

Pour s’alarmer de la situation et corriger le tir, il ne faudra pas trop compter sur nos hommes d’affaires, ni sur le gouvernement fédéral.

Les hommes d’affaires ont refusé de critiquer Air Canada pour l’absence de liaison directe avec l’Asie. Le président-directeur général de l'aéroport de Montréal s’est même porté à la défense de Calin Rovinescu. Il a déclaré, rapporte Le Devoir du 23 janvier, que Montréal était, au contraire, « gâtée pour une ville de sa taille » et qu’on devait arrêter de la comparer à des villes plus grandes comme Toronto ou plus riches comme Calgary.

Le même jour, l’éditorialiste du Devoir Jean-Robert Sansfaçon a critiqué « l’à-plat-ventrisme de nos chambres de commerce devant l’arrogance d’une compagnie comme Air Canada qui ne cesse de réduire ses activités en sol québécois » en rappelant la dernière en date : la fermeture d’Aveos.

Cela nous renvoie au gouvernement fédéral qui, après avoir torpillé Mirabel, privatisé Air Canada, déréglementé le trafic aérien, abandonné Montréal comme centre d’entretien des aéronefs, déclare aujourd’hui s’en remettre au « libre marché ».

Par contre, pas question de s’en remettre à la « libre négociation » dans les relations de travail! Ottawa s’empresse d’intervenir au profit de l’employeur dès qu’il y a simple menace de conflit.

Montréal, satellite de Toronto

Robert Sansfaçon conclut ainsi son éditorial : « L’élite d’affaires canadienne, majoritairement anglo-saxonne, a choisi Toronto sans pour autant abandonner son emprise sur le Québec avec la complicité de cette fraction de la classe politique, financière et médiatique francophone qui profite de ses liens avec Ottawa ».
Nous ne pouvons qu’être d’accord avec lui.