Journal de Québec : une véritable négociation est-elle aujourd’hui possible?

2013/02/07 | Par Maude Messier

La convention collective des employés du Journal de Québec viendra à échéance le 6 août prochain. À l’approche des négociations, impossible de ne pas revenir sur ce qui a été un temps le plus long conflit de l’histoire des médias au Québec, avant d’être « délogé » par le lock-out au Journal de Montréal.

Denis Bolduc a travaillé au Journal de Québec comme journaliste dès 1986, puis il est devenu chef de pupitre. Celui qui était président du syndicat de la rédaction pendant le lock-out et porte-parole pour l’ensemble des syndicats du quotidien en conflit de travail est aujourd’hui secrétaire général du Syndicat canadien de la fonction publique, section Québec (SCFP).

En entrevue à l’aut’journal, il est sans équivoque : l’issue du lock-out est une victoire pour le syndicat. « Dans les médias, à la suite d’un conflit de travail, ce qu’on entend, c’est souvent les gains de l’employeur. Dans notre cas, même si on a dû faire une grosse concession, on a fait des gains quand même. »

À propos du fait que la semaine de travail est passée de 32 heures à 37,5 heures sans compensations, il explique que le syndicat a réussi à obtenir notamment la création d’un plancher d’emploi de 8 photographes, le retour des petites annonces (en sous-traitance à Kanata, près d’Ottawa) et des balises pour la circulation des contenus sur les différentes plateformes de Québecor.

Après 16 mois de conflit, les parties syndicales et patronales ont convenu d’une entente « somme toute satisfaisante, surtout si l’on tient compte du contexte. Même l’employeur a déclaré publiquement qu’il a pu mettre en place des dispositifs pour assurer l’avenir de l’entreprise. »

Denis Bolduc soutient pourtant que les lendemains de la signature n’ont pas été si gais. « Il y a eu beaucoup de difficultés. Moi, naïvement, je pensais que ça irait assez bien, sauf peut-être pour quelques petits éléments qui pouvaient générer des divergences d’interprétation. Mais non. »

Il affirme que l’employeur a carrément tenté d’outrepasser des clauses pourtant claires de la toute nouvelle convention, comme le fait que les articles du Journal de Québec utilisés sur d’autres plateformes doivent être clairement identifiés, ce qui n’est pas toujours le cas. « Ils les signent Agence QMI. Les choses qui ne font pas leur affaire, ils font comme si elles n’existent pas. Au quotidien, ce sont des irritants majeurs pour les travailleurs. Tu as une entente que tu n’arrives pas à faire respecter, ce n’est rien pour rétablir un lien de confiance. »

M. Bolduc indique toutefois ne pas vouloir s’immiscer dans les affaires du syndicat qu’il ne préside plus. « Il y a une équipe en place et des négociations qui s’en viennent. Je parle pour les deux années où j’ai été là après le conflit. »

Après le lock-out au Journal de Québec, puis au Journal de Montréal, une négociation « normale » est-elle vraiment possible? « Disons qu’il y a lieu d’être méfiant encore. » Il ajoute qu’il y aurait des signes à l’effet que Québecor chercherait à donner « une place importante » au Journal de Québec dans l’organisation de l’entreprise. À son avis, s’il y a vraiment des signes en ce sens, les négociations pourraient bien aller.

« Mais le syndicat ne se laissera pas bulldozer. Le multiplateforme, on a rien contre, il ne faut juste pas que ce soit un prétexte pour attaquer les conditions de travail des employés et défoncer un syndicat. La dernière fois, c’était ça la volonté de Québecor. »


Orchestrer le parfait lock-out

Dès le début du conflit, il apparaissait évident que 14 cadres ne pouvaient pas faire le travail de 67 employés. Pourtant, le journal était publié quotidiennement. Denis Bolduc se souvient que l’Agence QMI a été lancé à cette époque. « On appelait ça la machine à blanchiment de textes et de photos. »

Le journal était aussi alimenté par d’autres agences comme Nomade et Keystone. « On voulait faire la démonstration que c’était orchestré par Québecor. Que les directives venaient de Québecor, que ces gens faisaient le travail des lock-outés et couvraient pour les besoins du journal. On a fait la démonstration de ça et la CRT l’a reconnu. »

Dans un jugement favorable au syndicat rendu le 12 décembre 2009, la Commission des relations du travail (CRT) reconnaissait le stratagème mis en place par Québecor pour contourner la loi. Il reconnaissait aussi que la notion d’« établissement », qui n’est pas définie dans les dispositions anti-briseurs de grève, devait être interprétée comme là où le travail se fait, et non pas être limitée au bâtiment, ou lieu physique de l’entreprise.

« Ce jugement transpirait le bon sens. Même si les gens n’allaient pas s’asseoir directement dans la chaise du Journal de Québec au palais de justice, ils couvraient le palais de justice pour le Journal de Québec. Ce n’est pas compliqué ça! »

La décision a cependant été renversée par la Cour Supérieure du Québec en septembre 2009, soit après la fin du conflit et en plein lock-out au Journal de Montréal, puis maintenue en Cour d’appel. La Cour Suprême a refusé d’entendre la cause.

Pour Denis Bolduc, si la loi était interprétée à la lumière du jugement Bédard du CRT, elle ne poserait pas de problème. « On la trouverait convenable à tout le moins, ce qui est préférable à la situation actuelle. Mais en raison de ce qui s’est passé, on est rendu à dire que pour que la loi anti-scabs soit efficace, il faut la réviser. »

Précisons que, puisque la décision de la CRT a été renversée, Québecor ne peut être accusée d’avoir violé le Code du travail en ayant recours au travail de scabs, à proprement dit. Un règlement hors cour, dont la teneur demeure confidentielle, est intervenu en décembre dernier, mettant fin à une poursuite intentée par des journalistes de l’Agence Canoë contre le syndicat de la rédaction du Journal de Québec.

En comparaison avec le Journal de Montréal, la question de la révision de la loi anti-briseurs de grève s’est surtout imposée après le conflit, le syndicat ayant, dans un premier temps, bénéficié d’une décision favorable de la CRT.

Désormais secrétaire général du SCFP-Québec, Denis Bolduc admet qu’il n’y a pas de démarches en cours dans son organisation syndicale quant au dossier de la modernisation de la loi anti-scabs, « mais ça demeure dans nos cartons. »

Il déplore que le projet de loi 399, déposé par le Parti Québécois en décembre 2010, soit mort au feuilleton. Le projet de loi prévoyait qu’une entreprise ne pourrait utiliser le produit du travail de d’autres salariés qui travaillent dans une autre entreprise pour remplacer ses employés en grève ou en lock-out, et ce, même à l’extérieur de l’établissement.


MédiaMatin Québec

L’embauche de 14 cadres supplémentaires deux jours avant la date butoir au-delà de laquelle ils ne pouvaient « être utilisés » en cas de conflit de travail, a confirmé, pour le syndicat, que Québecor se préparait pour un lock-out.

« Légalement, ils ne pouvaient pas déclencher un lock-out avant la mi-janvier 2007. On est passé en mode action et on s’est assuré d’être prêts pour cette date. On souhaite le moins pire, mais on se prépare au pire. C’est ce qu’on a dit aux membres. »

Le lock-out a été décrété le 22 avril 2007, un dimanche matin. Le plan était déjà fignolé : le premier quotidien distribué gratuitement à Québec, MédiaMatin Québec. « On a fait imprimer un numéro zéro pour présenter aux membres. J’ai eu les 500 copies dans le sous-sol chez-nous pendant trois mois, dans les caisses, et j’espérais ne jamais être obligé de les ouvrir. »

Des trois sections locales du SCFP en négociation, seules deux étaient mises à la rue : la rédaction et les employés de bureau. « C’était une stratégie de division. On avait prévu tous les scénarios. Les travailleurs de l’imprimerie ont voté la grève dans une proportion de 98% en solidarité avec les autres le matin même. »

En pleine assemblée, des « camelots » sont entrés dans la salle et ont distribué le fameux numéro zéro. « Le monde se tapait sur les cuisses. Ils étaient prêts à commencer dès le lendemain. Personne dans les médias à Québec ne comprenait ce qui se passait. Il y avait un lock-out, personne devant le Journal de Québec, juste moi qui donnait des entrevues. Les journalistes et les photographes étaient sur le terrain. Évidemment, la consigne c’était motus et bouche cousue. »

12 750 000 copies distribuées gratuitement, du lundi au vendredi, durant les 16 mois de conflit. « Ce qui a permis de rétablir le rapport de force, c’est le succès de MédiaMatin Québec. On avait fait le choix éditorial d’avoir presque qu’exclusivement des nouvelles de Québec. » Ce qui, de toute évidence, répondait à une demande de la population de la ville.

« Une dame, dans la Basse-Ville, arrivait avec du café tous les vendredis matins pour ceux qui distribuaient le journal. C’est mieux que des bêtises dans une radio poubelle! »

Québec n’est pas spécialement un environnement propice et favorable aux syndicats, ce qui aurait pu constituer une difficulté supplémentaire pour les lock-outés à s’adjoindre l’opinion publique. « On avait assez d’être en conflit de travail, on n’avait pas besoin d’avoir l’opinion publique contre nous. Pas besoin en ouvrant la radio chaque matin, de se faire crier des noms ou dire qu’on est paresseux. J’ai toujours dit aux membres : un conflit propre. »

Avec les années de recul, Denis Bolduc explique que le plus difficile à vivre dans un conflit de travail, c’est l’aspect psychologique. « C’est drôle à dire, mais ce qui est difficile, c’est que c’est du vent. C’est une bulle d’air. Ça se passe dans ta tête. Qu’est-ce qui se passe? Pourquoi ils ne négocient plus? Quand est-ce que ça va se régler? C’est toujours là, ça roule tout le temps. Et l’employeur joue avec ça. »

Il cite en exemple le fait que l’employeur ait convié le syndicat à un blitz de négociations juste avant la période des Fêtes. « Ça crée beaucoup d’espoir. Pendant un mois, l’échelle d’espoir augmente tout le temps : « Hey, ça doit bien aller, on n’en entend pas parler. » Jusqu’au jour où, tu es obligé d’annoncer qu’il n’y a rien. C’est planifié, ce sont des stratégies de négos. »

Et le retour au travail? Le syndicaliste soupire longuement. « Vous savez, des gens qui étaient là depuis 25, 30 ans, c’était légion. Il n’y a pas eu de conflit au Journal de Québec en quarante ans. Il y avait beaucoup de colère et d’amertume. Plusieurs se sont carrément sentis trahis par l’employeur. Ça laisse des traces. »