La dette ? Quelle dette ?

2013/02/15 | Par Jean-Yves Proulx

Il a d'abord fallu convaincre les Québécois qu'ils payaient trop d'impôts, les plus élevés en Amérique du Nord. Aucune comparaison avec les pays scandinaves puisqu'ils y sont plus élevés qu'ici. Sans mentionner non plus que ces impôts nous donnaient accès à plus de services ici qu'ailleurs.

Le terrain était prêt, nos gouvernements, tant fédéral que provincial, allaient mettre en place toute une série de mesures pour réduire leurs recettes. En diminuant ainsi les impôts, on allait, nous promettait-on, stimuler l'économie.

Au Canada, les taux moyens d'imposition des sociétés ont chuté de 50 % depuis l'an 2000. La plus importante de tous les pays de l'OCDE.

En 2007, le point de TPS transféré du fédéral au provincial a été affecté à la réduction des impôts.

En 2010, 87 pays avaient déjà signé des conventions fiscales avec le Canada sur la double imposition des revenus, dont les Bermudes, l'Irlande, la Suisse, la Barbade, Singapour, Hong Kong... En d'autres termes, une entreprise d'ici peut ouvrir un bureau aux Bermudes, y déclarer ses profits et y payer ses impôts à un taux inférieur à 5 %.

En vertu de ces conventions signées avec le Canada, puisqu'une entreprise canadienne a déjà été imposée, elle peut maintenant rapatrier ses capitaux sans avoir à payer un sou d'impôt au Canada... en toute légalité!

L'effort a porté ses fruits. Dans le budget Marceau: Hydro-Québec, Loto-Québec et la SAQ versent davantage au Trésor public que l'ensemble des entreprises privées du Québec, incluant les banques, les pétrolières, les minières... Ajoutons que le Québec verse en moyenne 3,6 G$ annuellement en subventions aux entreprises (deux fois plus que l'Ontario) lesquelles, selon le budget Marceau, ne verseront que 4,7 G$ en impôts cette année.

Ces réductions d'impôts stimulent l'économie? Une étude du Congressional Research Service publié en 2012 concluait que la réduction des impôts des Américains les plus fortunés n’a jamais contribué à augmenter de façon significative la croissance de l’économie. Au Canada? En 2000, la part de l’impôt des entreprises dans les recettes fédérales est passée de 14,5 % à 11 %, alors que leurs investissements ont chuté de 7,7 % à 5,5 % en proportion du PIB.

Nos «lucides» se seraient trompés? Pas du tout. Ils ont obtenu exactement ce qu'ils désiraient.

La dette du Québec frôle la catastrophe. Parce que nous sommes déjà les plus taxés en Amérique du Nord, on ne peut penser à hausser les impôts. En bon gestionnaire lucide, quand on ne peut plus augmenter nos recettes, la seule solution est de couper dans nos dépenses, et les dépenses de l'État ce sont les services.

Si le Québec refuse de prendre ses responsabilités, Moody's, S&P, Fitch Ratings, agences de notation bien connues, réviseront à la baisse notre cote de crédit ce qui entraînera la hausse du taux d'intérêt de nos emprunts et de ce fait, alourdira encore davantage le poids de notre dette.

Ce portait de la situation correspond exactement à ce que Normand Ballargeon, dans son Petit cours d'autodéfense intellectuelle appelle un faux dilemme. On essaie de nous « convaincre que nous devons choisir entre deux et seulement deux options mutuellement exclusives, alors que c'est faux. En général, lorsque cette stratégie rhétorique est utilisée, l'une des options est inacceptable et rebute tandis que l'autre est celle que le manipulateur veut nous voir adopter. Si on ne diminue pas les dépenses publiques, notre économie va s'écrouler. »


Le cercle vicieux

À écouter les prêcheurs d'austérité, seul l'argent dévolu aux dépenses publiques pourrait combler notre déficit. Or, couper dans les services, c'est couper des postes dans la fonction publique (ou à Hydro-Québec).

C'est ajouter d'autres chômeurs à ceux déjà nombreux provenant des opérations de relocalisation ou de «dégraissage» effectuées par les entreprises.

C'est non seulement diminuer le nombre de consommateurs, mais c'est du même coup, faire augmenter la facture des services (chômage, aide sociale...) tout en diminuant les recettes de l'État.

Augmenter le taux de chômage, c'est aussi faire pression sur ceux qui restent au travail pour qu'ils acceptent des diminutions de salaire et des augmentations de tâche.

Comme les salariés affectent généralement l'ensemble de leurs revenus à l'achat de biens et de services, imaginez l'impact.

Quand les citoyens doivent se serrer la ceinture et que l'État en fait autant, qui achète les produits et services? Alors, déprimés, les investisseurs n'investissent plus, ils capitalisent. Et la dette augmente...


La solution?

Augmenter les impôts des plus hauts revenus. N'est-il pas juste d'imposer davantage ceux qui tirent davantage profit de la société dans laquelle ils vivent?

Tout en reconnaissant les talents d'un Depardieu, d'un Desmarais ou d'un Bettman, un fait demeure, s'ils étaient nés en Haïti, par exemple, leur compte de banque serait bien différent de celui dont ils jouissent aujourd'hui.

Pourquoi n'imposerions-nous pas les gains en capitaux au même niveau que les revenus d'emploi? Voici ce qu'en dit Stiglitz: « Lorsque nous taxons les profits des spéculateurs bien plus légèrement que les revenus des travailleurs qui gagnent durement leur vie, non seulement nous incitons davantage de jeunes à s'orienter vers la spéculation, mais nous disons, concrètement, qu'en tant que société nous estimons davantage la spéculation. »

Et que diriez-vous de revoir ces conventions fiscales que le Canada a signées sur la double imposition des revenus?

Avec cet argent, que l'État investisse pour donner aux citoyens la possibilité de faire croître la demande et de remettre notre économie en marche. On ne peut plus espérer stimuler l'économie en abaissant le taux directeur des banques, il frôle déjà le 0 %.

C'est aller à l'encontre de ce que nous répètent de nombreux économistes? Vous en connaissez beaucoup d'économistes qui peuvent se permettre d'aller à l'encontre des intérêts de ceux qui les paient? Au cours des 10 dernières années, le nombre total de milliardaires a presque triplé.

Parallèlement, la pauvreté n'a jamais été aussi élevée, autant en Amérique qu'en Europe. « On n'étudie pas l'économie pour trouver des réponses toutes faites aux questions d'ordre économique, mais plutôt pour apprendre à ne pas se laisser tromper par les économistes » disait l'économiste britannique Joan Robinson.


Ce texte sera publié en mars 2013 dans le magazine Quoi de neuf de l'AREQ