Contrat abusif imposé aux pigistes de TC Media

2013/03/08 | Par Martin Lachapelle

Nouvelle passée sous le radar des grands médias, plusieurs regroupements différents d’employés à la pige et d’artistes, tous aussi concernés par les questions de droits d’auteur et de droits moraux, ont fortement dénoncé le nouveau contrat de travail de TC Media.

Contrat dans lequel l’éditeur « convergent » – qui veut pouvoir réutiliser voire transformer à d’autres fins les textes, photos, vidéos ou illustrations de ses collaborateurs sans aucune compensation ou droit de regard pour ces même créateurs – exige donc de ses pigistes déjà sous-payés qu’ils signent dorénavant de belles œuvres en blanc…

Imposé au personnel québécois depuis deux semaines, ce contrat de travail de TC Media, alias Transcontinental, éditeur de magazines et géant de la presse écrite locale et régionale, serait déjà appliqué depuis bientôt près d’un mois aux autres employés du reste du Canada.

J’ai appris la nouvelle jeudi dernier via le communiqué d’un des 5 regroupements d’employés à la pige et d’artistes ayant dénoncé ce contrat qualifié avec raison d’« abusif » par l’Association canadienne des créateurs professionnels de l’image (CAPIC).

La coalition d’opposants est présentement complétée par l’Association des journalistes indépendants (AJIQ), le Regroupement des artistes en arts visuels (RAAV), Illustration Québec (IQ), la Guilde canadienne des médias (CMG) et l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ).

Sur le site Web de l’AJIQ, un texte de son vice-président, André Dumont, nous apprenait quant à lui qu’elle se serait associée à la RAAV « dans le but de rencontrer les hauts responsables de TC Media afin de les amener à modifier ce contrat et à le rendre plus équitable pour les créateurs pigistes » .

En attendant que les grands patrons en question entendent raison, André Dumont s’insurge :

« Avec ce contrat, TC Media se hisse d'un seul coup au sommet de la liste des éditeurs québécois les plus méprisants envers les journalistes indépendants. Il est désolant de voir un éditeur, qui reconnaissait les droits d’auteur de ses collaborateurs, vouloir aujourd’hui les anéantir. »

Et tout ça pour quoi ? L’éternelle rengaine sur la nécessité de demeurer « compétitif » pour des géants médiatiques qui rivalisent d’astuces afin d’augmenter leur « compétitivité »… sur le dos de leurs employés. À commencer par des pigistes toujours sous-payés dont le salaire stagne depuis maintenant 30 ans.

Or, dans ces circonstances, le vice-président de l’AJIQ a eu raison de dire que, priver les employés à la pige de leurs droits d’auteur, équivaut carrément à « leur couper les vivres ». Sans parler du problème d’éthique posé par la perte de droit moral concernant l’utilisation de l’œuvre à d’autres fins telles que la publicité.

TC Media adopterait donc la méthode Québecor au détriment des travailleurs, mais aussi de la population dont le droit à une information de qualité et variée est bafoué par l’uniformisation aliénante du contenu des géants « convergents » qui l’informe à grands coups de « copier-coller ». Ce qu’André Dumont n’a pas manqué de rappeler :

« TC Media emboîte le pas à d'autres grands groupes médiatiques en s'engageant sur le sentier de la détérioration des conditions de travail des pigistes tout en érodant la qualité et la diversité de l'information ».

J’entends déjà de mauvaises langues clamer que les pigistes non-syndiqués n’auraient rien à foutre de la qualité ni de la diversité de l’information et qu’ils seraient des apôtres de la convergence en autant qu’ils soient payés à chaque fois que leurs œuvres sont réutilisées…

Plutôt insultant pour tous les journalistes, car c’est présumer qu’ils ne sont pas d’abord motivés par la passion de contribuer à bien informer la population. Alors que c’est vraiment LA motivation principale qui peut pousser la majorité des gens à vouloir travailler dans le milieu de l’information. Pas l’argent ! À moins d’être mal informé…

C’est aussi ridicule de penser que les pigistes et les journalistes pourraient être les gagnants dans un univers médiatique convergent. Dans n’importe quel domaine, la convergence enrichit les patrons. Pas les employés ! Uniformisation du contenu = moins d’articles différents = réduction des salles de rédaction.

Et qu’arrive-t-il quand le nombre de travailleurs disponibles augmente rapidement au moment où le nombre de postes offerts tombe en chute libre ? Les conditions de travail des employés régressent au profit des patrons...

On veut bien croire que les revenus pubs des empires ont fondu. Mais faut pas charrier. Le salaire des pigistes est pratiquement gelé depuis 30 ans même si les grands médias ont pourtant connu de très bonnes années en termes de rentabilité…

Ce serait donc un minimum que les employés à la pige de TC Media, à qui plusieurs comme l’AJIQ conseillent de ne pas signer le fameux contrat contesté, puissent au moins conserver leurs droits moraux sur l’utilisation de leurs œuvres. Tout en profitant d’une redevance à chaque fois que leurs créations sont réutilisées sur d’autres plates-formes.

Par exemple, en France, et contrairement à ici, la Loi Cressard procurerait des protections aux pigistes dont une rémunération supplémentaire équivalent souvent à la moitié du tarif fixé pour une première publication à chaque fois qu’une œuvre est réutilisée, selon un article publié en 2006 sur le site agoravox.fr – Le média citoyen (Pigiste, es-tu bafoué ?).


LE scoop non publié de l’année par les grands médias: les pigistes sont exploités

Vous n’avez pas lu ça en première page du journal Métro Montréal : « Une coalition dénonce l’abusif contrat de travail imposé aux pigistes de TC Media » ?

Vous êtes bien certains de ne pas avoir appris la nouvelle dans un journal concurrent ? Rien dans le Journal de Montréal ou dans La Presse ? Tu parles d’un hasard !

À ma connaissance, seul Le Devoir l’a rapporté. Et, si j’ignore les conditions de travail dans ce petit journal indépendant, on peut au moins le féliciter d’avoir parlé (dans ses éditions de vendredi et samedi derniers) de ce dossier tabou que tous les autres auront délibérément choisi d’occulter.

(Parlant de gros joueurs médiatiques, avez-vous entendu parler de cette nouvelle sur RDI ou sur les autres plates-formes de Radio-Canada ? Je pose vraiment la question et j’espère que la réponse est OUI. Autrement, se pourrait-il que la Société Radio-Canada soit aussi mal placée pour parler d’employés sous-payés ? Surtout depuis que Le Devoir, encore lui, nous a appris, avec « Disparités salariales à Radio-Canada / CBC », de Stéphane Baillargeon, publié le 28 février 2013, que le personnel de Montréal serait moins bien payé de 7 % que leurs collègues de Toronto ou de Calgary…)

Quelle sera la suite des choses face à l’abusif contrat de travail imposé aux journalistes, photographes et illustrateurs pigistes de TC Media ? Bonne question. Certains demandent une intervention du ministre de la Culture et des Communications, Maka Koto.

Assistera-t-on à des manifestations devant les bureaux de l’éditeur ? Possible. Un appel au boycott de l’éditeur de Coup de Pouce, d’Elle Québec et du très « écologique » Public-Sac sera-t-il lancé ? Peut-être. Mais la vraie question est plutôt : sera-t-il entendu et appliqué ?

Terminons sur une mise en situation fictive visant à mettre en application le principe de privation de droits d’auteur et moraux. Vous êtes un cuisinier de mets santé. Quelqu’un vous paye pour préparer un repas, avant de finalement copier votre recette pis de revendre le tout plusieurs fois sans vous donner un seul sou supplémentaire.

Ajoutez à ça que la personne pourra aussi transformer le plat cuisiné, quitte à le dénaturer complètement, tout en conservant votre nom sur un produit final qui pourrait très bien ne plus rien à voir avec votre réputation de cuisinier santé. Z’auriez pas un peu l’impression de vous faire entuber ?