Comment la laïcité peut changer notre monde!

2013/03/11 | Par Louise Mailloux

Une société laïque, c’est d’une manière générale, une société où la loi des hommes prime sur la loi divine. Une société où la Torah, la Bible et le Coran ne remplacent pas les lois civiles et où la croyance de certains ne doit pas devenir la loi de tous.

L’État laïque est neutre. Il ne privilégie, ni n’impose aucune religion, laissant ainsi à chacun la liberté de choisir ses croyances ou ses convictions. Cela s’appelle respecter la liberté de conscience.

L’État laïque est neutre parce que l’État est public, qu’il s’adresse à tous les citoyens, qu’ils soient catholiques, protestants, athées, juifs ou musulmans, qu’il s’adresse à eux dans ce qu’ils ont de commun, alors que la religion est une affaire particulière, personnelle et privée qui n’a pas sa place dans les institutions publiques.

Bref, les gens ont la liberté de croire ou de ne pas croire, mais cela ne leur donne pas pour autant le droit d’imposer leurs croyances dans l’espace civique.

L’État laïque s’adresse à des citoyens, des citoyens égaux, ayant tous les mêmes droits et les mêmes devoirs, quelles que soient leurs croyances, et où chaque citoyen ne peut invoquer sa religion pour se soustraire aux règles et aux lois communes, justement parce que dans l’État et dans ses institutions, les lois civiles ont préséance sur les lois divines.

En gros, l’idéal d’une société laïque pourrait se résumer à cela. Maintenant comment fait-on pour réaliser cela? La recette est simple, c’est en séparant l’Église de l’État, en éloignant la religion de la politique.

On entend souvent dire que la laïcité est antireligieuse, que c’est de l’athéisme et qu’un État laïque veut supprimer les religions. Rien n’est plus faux. Séparer n’est pas supprimer. Loin de les supprimer, l’État laïque inclut toutes les religions et même leur contraire. Il les inclut toutes parce qu’il n’en impose aucune. En ce sens, il permet le maximum d’ouverture.

Cet idéal laïque n’est pas tombé du ciel. Il a été rendu nécessaire alors qu’au XVIIième siècle, les guerres de religion mettaient l’Europe à feu et à sang. C’est à ce moment-là que la laïcité est apparue comme la solution pour pacifier cette Europe, meurtrie par ces religions d’amour qui se faisaient âprement la guerre.

L’exigence laïque est née non pas pour se débarrasser des religions, mais pour mettre un terme aux rivalités religieuses qui leur sont congénitales, parce que contrairement aux religions, la laïcité prône la tolérance, cette tolérance qui sera traduite, au siècle des Lumières, par la Déclaration des droits de l’homme.

Pendant longtemps, l’histoire du Québec a été liée à celle du catholicisme. Du début de la colonie jusqu’à la Révolution tranquille, l’Église catholique a joué un rôle politique prépondérant dans notre société, contrôlant des secteurs névralgiques tels celui de l’éducation, celui de la santé et des services sociaux, exerçant son emprise dans le domaine de l’édition scolaire, celui de la culture, celui des arts et des médias. Bref, l’Église était partout présente, dans nos institutions comme dans nos vies, jusque dans la chambre à coucher, si bien que le Québec d’hier était peuplé presqu’exclusivement de catholiques qu’on pourrait dire «automatiques».

Avec la Révolution tranquille, l’État québécois a pris ses distances vis-à-vis le clergé catholique pour affirmer son autonomie et prendre en charge des institutions auparavant gérées par l’Église. En 1958, il y a eu la création du ministère du Bien-Être social et de la Jeunesse. En 1961, une loi sur l’assurance-hospitalisation et la mise sur pied du ministère des Affaires culturelles. Puis en 1964, la création d’un ministère de l’Éducation qui va laïciser les universités, laïciser les savoirs et abolir les collèges classiques, pour les remplacer par des cégeps laïques.

Mais d’importants compromis seront faits avec l’Église dans le domaine de l’éducation. Des postes de sous-ministres associés de foi catholique et protestante ainsi que des comités catholique et protestant du Conseil supérieur de l’Éducation ont été créés alors que les écoles publiques demeurent confessionnelles et qu’elles continuent à dispenser un enseignement religieux. Ces compromis majeurs furent en quelque sorte l’échec de la Commission Parent.

Il faut comprendre ici à quel point l’école comme institution, joue un rôle capital dans la transmission des valeurs comme celle d’une foi, pour une Église qui veut garder son emprise sur le peuple. C’est donc sur le terrain de l’éducation que la bataille pour la laïcité va se concentrer, avec pour objectif, la déconfessionnalisation des écoles publiques.

Dans les années 90, sous l’effet de l’immigration, la diversité religieuse s’accroît dans nos écoles publiques, faisant que des élèves recevaient un enseignement confessionnel parfois contraire à leur religion. Bref, l’enseignement catholique et protestant devenait problématique parce qu’il contrevenait à la Charte québécoise des droits de la personne comme à la Charte canadienne des droits et libertés qui garantissent la liberté de religion. La laïcisation du système scolaire devenait alors un impératif de plus en plus pressant.

1997 sera l’année de la déconfessionnalisation des commissions scolaires, dorénavant organisées sur une base linguistique.

En 1999, se tiendra une commission parlementaire sur la place de la religion à l’école. Le Québec se divisa alors en deux camps. D’un côté, les partisans de la majorité historique qui souhaitaient le maintien de l’enseignement religieux et de l’autre, les partisans de l’égalité, qui souhaitaient son abolition, alléguant que cet enseignement constituait un privilège accordé aux catholiques et aux protestants qui violait l’égalité des droits protégés par les Chartes.

Dans le camp des partisans de l’égalité, se trouvaient les syndicats, des groupes féministes tels le Conseil du statut de la femme et la Fédération des femmes du Québec (FFQ), ayant Françoise David comme présidente et Manon Massé vice-présidente, des catholiques de gauche voulant s’éloigner de l’autoritarisme de Rome et des laïques regroupés autour du Mouvement laïque québécois. Tous étaient unanimes à exiger au nom de l’égalité des droits, la laïcisation totale du système scolaire. Tous ces gens reconnaissaient qu’une école laïque, qu’une école sans religion est une école ouverte à tous, quelles que soient les croyances ou les convictions de chacun.

C’était la belle époque, celle où tout le monde communiait à la même table, celle où les féministes défendaient la laïcité, celle où la gauche défendait la laïcité, celle où les catholiques de gauche défendaient aussi la laïcité et celle où les militants laïques n’étaient pas traités de racistes ou d’islamophobes. Mais c’était surtout l’époque où, il n’y avait qu’une seule laïcité, qui étonnamment n’était ni rigide, ni stricte, ni fermée. Une laïcité si parfaite que personne au Québec ne parlait de laïcité ouverte.

Que s’est-il passé pour que le mouvement féministe et la gauche soient maintenant divisés sur cette question et que le seul parti politique qui veuille avancer dans ce dossier, se fasse traiter de raciste et de xénophobe alors que les laïques qui s’opposent au voile et au crucifix passent pour des talibans qui veulent dynamiter les églises, changer les noms des rues et des villages et faire la chasse aux musulmans? Que s’est-il passé pour que Québec solidaire (QS), la FFQ, les catholiques de gauche et la Ligue des droits de l’homme abandonnent le combat laïque et défendent aujourd’hui les femmes et les fillettes voilées, alors qu’il y a 8 ans, ils abhorraient le crucifix et les cornettes de nos bonnes soeurs?

Que s’est-il passé, pour qu’en moins de 10 ans, en 2007, lors de la Commission Bouchard-Taylor, on se retrouve tout à coup avec deux modèles de laïcité et que cette laïcité si admirable des années 90, ne soit plus la bonne?

C’était aussi l’époque où il n’y avait qu’un seul féminisme et un seul ennemi, le patriarcat. Un féminisme qui inspirait la gauche et qui faisait dire à Françoise David, alors présidente de la FFQ, que toutes les religions oppriment toutes les femmes. Un féminisme si parfait que même les femmes chrétiennes ont trouvé dans De Beauvoir de quoi critiquer la Bible et leur Église.

Que s’est-il passé pour que l’on se retrouve maintenant avec deux féminismes; l’un occidental et l’autre musulman. Parce qu’il ne faut pas s’y méprendre. Il n’y a pas d’autres féminismes. Un pour les lesbiennes, un pour les prostituées, un autre pour les handicapées et il n’y a pas non plus de féminisme bouddhiste ou hindou. Un féminisme pour les blondes, un autre pour les brunes et un troisième pour les rousses. Non, à la FFQ, nous avons maintenant deux féminismes; l’occidental repentant et le musulman triomphant.

Un féminisme qui mélangent l’islam avec les prostituées et les lesbiennes et qui dit que les femmes blanches occidentales oppriment celles qui sont noires en fauteuil roulant. Et que les femmes blanches de la majorité eurodescendante dont la salle est remplie ici aujourd’hui ont le réflexe colonialiste facile de s’être déjà pratiquées sur les femmes autochones, qui comme l’affirmait Samira Laouni, en entrevue à Radio-Canada, en décembre sur le niqab dans les cours de justice, disait que les femmes musulmanes d’Afrique du nord qui vivaient à Montréal avaient la même oppression que les femmes Inuits du grand Nord. Wow! Ça décoiffe l’intersectionnalité, non? Et j’ai bien hâte d’entendre madame Laouni défendre les lesbiennes et de la voir avec son voile au défilé de la Fierté gaie.

Les années 90, c’était aussi l’époque où il n’y avait qu’une seule religion. Pas de chrétiens modérés qui font de la religion, ni de christiannistes radicaux qui font de la politique. Et pas de christianophobie non plus. Non, rien que des chrétiens. Point.

Mais que s’est-il passé? Je pourrais vous dire qu’au Québec, avec l’immigration des dernières décennies, la présence de l’islam et de ses femmes voilées, la présence de militants islamistes qui multiplient les organisations, étendent leur réseau et leur influence dans notre société, que tout ceci a pour effet de remettre en question la culture laïque de nos institutions publiques.

Je pourrais aussi vous dire que la gauche étant anti-américaine de naissance, anti-israélienne et pro-palestinienne défend inconditionnellement les musulmans au lieu de défendre la laïcité.

Je pourrais vous dire que la FFQ est infiltrée depuis quelques années par des militantes islamistes, voilées ou pas, qui se retrouvent dans des instances décisionnelles et dont certaines défendent la charia. Pas des femmes sikhs ou bouddhistes sur ces comités mais des islamistes.

Je pourrais également ajouter que les catholiques de gauche, qui militent dans l’anonymat à QS, à la FFQ et à la Ligue des droits de l’homme, voient dans l’islam, pour qui la laïcité est une hérésie, une occasion inespérée de ramener la religion dans l’espace public. Et que tout ce beau monde communie à la sainte table de la laïcité ouverte. Cette fausse laïcité ne visant qu’à redonner aux religions une visibilité et une légitimité dans nos institutions publiques.

La laïcité a changé et le féminisme a changé aussi. Ils ont été contaminés par le multiculturalisme et l’islamisme. La laïcité est devenue ouverte et le féminisme est devenu pluriel et insignifiant. De neutre, d’égalitariste et d’universel qu’ils étaient, chacun est devenu, en l’espace d’une décennie, particulier, occidental, colonialiste et impérialiste.

Dans le rapport Bouchard-Taylor, la laïcité n’est plus neutre, mais elle devient le reflet des valeurs de la majorité, d’une majorité tyrannique à l’endroit des minorités, d’une majorité dont les valeurs collectives sont discriminatoires à l’égard des autres. Une majorité dont on se fout éperdument qu’elle soit une nation. Une majorité qui, de l’Abitibi jusqu’aux Îles-de-la-Madeleine, est raciste et colonialiste. Une majorité qui, avec son histoire et sa culture, devient suspecte et que l’on doit absolument neutraliser.

Dans le féminisme multiculturel de la FFQ, le féminisme n’est plus neutre non plus mais impérialiste et colonialiste parce qu’il reflète les valeurs de la majorité, de celle des femmes blanches occidentales, racistes et colonialistes. Ces femmes qui se sont battues et qui ont changé le monde, si bien que l’on dit du XX ième siècle, qu’il a été le siècle des femmes.

Nous sommes rongés par le multiculturalisme et son cancer relativiste qui tolère n’importe quoi sous prétexte que c’est différent.

Nous les femmes, nous les laïques, nous devons être fiers de ce que nous avons accompli et continuer d’aller de l’avant. Sans douter de soi, sans renoncer à soi. Sans se laisser humilier par des gens qui défendent le voile ou le niqab. Sans se laisser humilier par des gens qui plaident l’indignité pour les femmes. Sans se laisser mépriser par des islamistes qui n’ont en tête que de nous imposer la charia. Ça suffit!

Nous devons maintenant retrouver confiance dans la laïcité et dans le féminisme qui nous a toujours uni. Et ne pas oublier ce que disait Pierre Falardeau : «Si tu te couches, ils vont te piler dessus, mais si tu restes debout, ils vont devoir te respecter».