Liza Frulla quitte ENFIN Radio-Canada mais…

2013/03/25 | Par Martin Lachapelle

Deux nouvelles. La bonne est que Radio-Canada a finalement annoncé le départ de la commentatrice politique Liza Frulla, qui avait provoqué la colère des auditeurs en se permettant de commenter la demande d’enquête sur des contrats reçus par la firme de son conjoint, André Morrow, trois semaines avant que ce publicitaire soit cité à la commission Charbonneau.

La mauvaise nouvelle est que cette décision inévitable, et déjà trop tardive, face à ce conflit d’intérêts évident, relèverait de Mme Frulla et non de la société d’État.

Récapitulons : le 21 février dernier, Richard Bergeron, chef de Projet Montréal, soupçonnant une affaire de copinage, convoquait les médias pour exiger une enquête sur des contrats d’une valeur totale d’environ 3 M$ octroyés sans appel d’offres, entre 2006 et 2011, par la ville de Montréal et l’administration de l’ancien maire démissionnaire, Gérald Tremblay, à deux firmes de communications : Octane Stratégies / Groupe CJB (2,5 M$) et Morrow Communications (439 000$), propriété du conjoint de Liza Frulla.

(Morrow Communications est à l’origine de la campagne de marketing très douteuse concernant la promotion du vélo Bixi à partir d’un blogue alimenté… par des personnes fictives. Cette pratique, l’astroturfing, n’est pas illégale au Canada mais elle le serait ailleurs dans le monde puisqu’elle soulève des questions éthiques.)

Immédiatement après la conférence de presse diffusée à RDI, lors de l’émission Le club des ex, le sujet revint alors inévitablement sur le tapis. Et ce qui devait arriver arriva : Liza Frulla s’est entêtée à se mettre en conflit d’intérêts direct pour « défendre » son Roméo en commentant un dossier sur lequel l’animateur, Simon Durivage, lui avait pourtant gentiment ordonné de se la boucler. Et à plus d’une reprise !

Quatre jours plus tard, le 25 février, à son retour en ondes, Liza Frulla faisait des excuses pour répondre aux plaintes des auditeurs.

Faut croire que, pour Radio-Canada, faute avouée, faute totalement pardonnée, même en situation de conflit d’intérêts, puisque Liza Frulla a pu ensuite continuer à commenter la politique comme si rien ne s’était passé. Du moins jusqu’à ce que l’entreprise de son conjoint soit évoquée de nouveau, cette fois à la commission Charbonneau, au sujet des dons illégaux aux partis municipaux et provinciaux.

En effet, la semaine passée, le 14 mars, le procureur en chef adjoint, Me Denis Gallant, déposait en preuve une facture de Morrow Communications. Le problème est qu’il s’agirait d’une « fausse facture », selon le témoin interrogé, Yves Cadotte, vice-président principal de SNC-Lavalin.

Comme le mentionnait également Stéphane Baillargeon, du journal Le Devoir, dans un article très pertinent publié le 16 mars, rappelons que : « le stratagème comptable exposé jusqu’ici aurait permis de blanchir de l’argent ensuite remis en pots de vin ou pour le financement illégal des formations politiques ».



La Société Radio-Canada et son code d’éthique très élastique sur les conflits d’intérêts

Le chroniqueur du Devoir, dans son texte paru le lendemain de l’annonce du départ de Liza Frulla, a aussi rapporté les propos du directeur des relations publiques de la SRC qui, en précisant d’abord que « c’est vraiment sa décision » (à elle), est venu confirmer que la direction n’aurait eu aucun problème de conscience à la garder en ondes !

Heureusement que Mme Frulla aurait apparemment eu la présence d’esprit de se retirer, par elle-même, pour éviter d’être accusée de conflits d’intérêts, et « par respect pour le public et ses collègues », même si le mal était déjà fait !

Autrement, et s’il n’en tenait qu’à la direction, le public aurait encore été poigné à l’écouter « défendre » son conjoint et ses p’tits amis libéraux, en déblatérant contre une commission Charbonneau à laquelle elle s’est toujours objectée, sous prétexte que « seulement six spectateurs nous ont indiqué qu’ils estimaient que Liza Frulla ne pouvait plus continuer » (son travail de commentatrice politique), selon le directeur des relations publiques de la SRC.

« Seulement six spectateurs… estimaient »… Je suis le 7ème et je me permets non pas d’estimer mais bien de trancher que ce genre de réponse de la direction est de nature à lui faire perdre toute mon estime.

Car j’ignorais que les boss de Radio-Canada étaient dépourvus de jugeote au point d’avoir besoin que le public mécontent gagne un référendum de plaintes avec un taux de participation de 99 %, pour arriver à faire la différence entre le bien et le mal en terme d’éthique journalistique.

Et le comble dans tout ça, c’est que Radio-Canada a pourtant un code de Normes et pratiques journalistiques très strict, comme le mentionnait le chroniqueur Stéphane Baillargeon : «La confiance du public est notre capital le plus précieux. Nous évitons de nous placer en situation de conflit d’intérêts réel ou potentiel. Cela est essentiel au maintien de notre crédibilité »

N’importe quoi. Devons-nous encore rappeler que Radio-Canada est en conflit d’intérêts direct depuis que la société d’État a perverti son mandat de neutralité en décidant de converger avec Gesca ? Et cette relation incestueuse entre « notre » diffuseur public et les faiseurs d’opinion politique de cet empire privé de propagande libérale, fédéraliste, droitiste, et « Power Corporationniste » dure malheureusement depuis plus de 10 ans !

Rendu là, je ne suis pas étonné de voir que « Radio-Gesca-nada » n’a eu aucun cas de conscience en réengageant une bonne vieille libérale comme Liza Frulla, en 2007, alors qu’elle et son conjoint publicitaire furent pourtant éclaboussés par les scandales des Commandites et d’Option Canada, bien qu’aucun député ou ministre député n’a été condamné.

La réalité est quand même que la démocratie a été violée, avant et après le référendum volé de 1995, par le camp fédéraliste à la tête duquel siégeaient Jean Charest et Liza Frulla, à la vice-présidence du Comité du NON.

Si Radio-Canada évitait vraiment de se placer en situation de conflit d’intérêts, Liza Frulla n’aurait jamais due se faire réengager, comme employée tout court et surtout comme commentatrice politique, par un diffuseur public sérieux pour qui « la confiance du public est (apparemment) notre capital le plus précieux ».

Si Radio-Canada évitait vraiment de se placer en situation de conflit d’intérêts, Liza Frulla n’aurait jamais due pouvoir commenter la politique municipale et le travail de l’administration de l’ancien maire de Montréal et ex-ministre libéral, Gérald Tremblay, un ami personnel qui, depuis 2001, a aussi la particularité de donner de beaux contrats au conjoint de Mme Frulla.

Bref, si Radio-Canada évitait vraiment de se placer en situation de conflit d’intérêts, comme elle le prétend dans son p’tit code d’éthique super élastique, Liza n’aurait même jamais due se trouver sur le plateau du Club des ex lorsque le dossier de la demande d’enquête sur des contrats obtenus par l’entreprise de son conjoint fut abordé.

Disons-nous les vraies affaires : Radio-Canada a peut-être demandé à Liza Frulla de partir, en voulant lui éviter l’humiliation d’un congédiement. Erreur et traitement de faveur, car elle aurait due être flushée dès sa sortie déplacée. D’autant plus qu’elle a alors fait preuve d’insubordination envers un animateur ayant toujours eu beaucoup de mal à la contrôler.

Partie « d’elle-même », Frulla a donc profité d’un luxe que n’auront pas eu d’autres anciens employés poussés cavalièrement vers la sortie, bien que pourtant infiniment plus compétents et pertinents. On pense à Normand Lester et François Parenteau, deux vilains souverainistes surtout bannis de la SRC pour crime de lèse-majesté fédéraliste.

Quelle importance la direction de la Société Radio-Canada accorde-t-elle à la rigueur intellectuelle et à l’éthique journalistique ? Je l’ignore. Et je déplore que la société d’État, dans sa pyramide de valeurs et de principes, puisse être allergique à garder des souverainistes avoués et juger banal le fait de conserver à son emploi une incontrôlable commentatrice libérale s’étant délibérément placée en conflit d’intérêts.

(Je suis d’ailleurs curieux de voir ce que fera, avec « Radio-Gesca-nada » et Liza Frulla, le Conseil de presse, formé notamment par des membres de la société d’État et de Gesca, qui, en matière de conflit d’intérêts, serait très mal placé pour juger l’affaire. Et dire que Claude Poirier, chroniqueur judicaire, a déjà été blâmé, lui, pour une simple pub télé vantant, non pas un groupe de victimes, un cabinet d’avocats ou une firme de détectives privés, mais bien un simple produit alimentaire.)