Caisses de retraite : une perspective syndicale pour sortir de la tempête

2013/04/11 | Par Maude Messier

En 2012, la presque totalité des régimes complémentaires de retraite sont toujours insolvables. Les taux d’intérêt des obligations à long terme atteignent des planchers historiques, accentuant la pression des déficits actuariels sur les employeurs.

« Trop généreux », les régimes publics sont quant à eux la cible des analystes et des chroniqueurs financiers, qui plaident en faveur d’un arrimage au secteur privé en abolissant les régimes à prestations déterminées (qui garantissent une rente viagère) pour les remplacer par des régimes à cotisations déterminées.

La hausse de l’âge de la retraite est désormais une question de « gros bon sens ». Aux différentes politiques qui ne s’attaquent pas au fonds du problème (hausse de l’âge de la retraite, instauration de régimes volontaires d’épargne retraite et prolongation des mesures temporaires d’allègements financiers permettant de renflouer le déficit de solvabilité d’un régime sur une période de 10 ans plutôt que sur seulement cinq ans) s’ajoute aussi la charge du gouvernement conservateur contre l’épargne des travailleurs par l’abolition du crédit d’impôt supplémentaire de 15% accordé aux fonds de travailleurs, dont le Fonds de solidarité FTQ et le Fondaction CSN.

La perspective de la retraite n’est pas des plus réjouissantes pour nombre de Québécois. Pourtant, des pistes de solutions existent, comme en témoignent certaines expériences syndicales.

Michel Parent, président du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP, section locale 301), s’est adressé aux quelque 350 syndicalistes réunis au Centre Mont-Royal, à Montréal, à l’occasion du séminaire annuel sur la retraite organisé par la centrale. Le 301 est le premier syndicat d’employés de la Ville de Montréal à avoir conclu une entente sur la question du régime de retraite.

Déficits accumulés, faibles rendements, coûts et risques élevés des régimes des employés municipaux leur ont valu bien mauvaise presse dernièrement.

C’est donc dans un contexte de tensions que les cols bleus ont entamé des pourparlers avec la Ville. Le déficit cumulé total des régimes de retraite à la Ville de Montréal (sept groupes au total), était de 540 millions $ en juin 2011. La Ville avait alors clairement indiqué vouloir récupérer 50 millions $ annuellement, sur une base récurrente. La part à fournir du Syndicat des cols bleus était de 6,3 millions $.

Sommairement, l’entente prévoit une hausse des cotisations des participants de 2,7% sur trois ans et une nouvelle répartition du partage du risque à 55% et 45% pour la Ville et les membres respectivement. Mais l’innovation, c’est la création d’un fonds de stabilisation dans lequel sont versées les hausses des cotisations des employés.

Michel Parent explique que ce fonds assurera la pérennité et la viabilité du régime parce qu’il permettra de créer une marge de sécurité pour le prémunir contre les fluctuations du marché et pourra aussi servir de coussin d’indexation lors des bonnes périodes.

Le dirigeant syndical souligne qu’au moment d’entamer les négociations, les conclusions à venir du rapport du comité D’Amours, groupe d’experts mandatés pour trouver des solutions à la crise des régimes de retraite, planait comme une épée de Damoclès. « Il était minuit moins une. Une solution négociée vaut mieux que l’imposition d’une solution mur à mur ou pire, d’une loi spéciale. » Après avoir été reporté à quatre reprises, le rapport d’Amours est finalement attendu ce mois-ci.

L’entente des cols bleus assure la pérennité du régime sans créer deux classes de travailleurs, par l’imposition d’un régime à cotisation déterminées pour les nouveaux employés par exemple.

Il s’agit d’un point important car l’équité intergénérationnelle est au cœur des préoccupations du mouvement syndical.

Une tendance lourde, décelable chez les employeurs, vise à mettre un terme au régime à prestations déterminées et à le remplacer par un régime à cotisations prestations déterminées, beaucoup moins avantageux pour les cotisants.

Cela crée une scission entre les travailleurs, menaçant de facto la solidarité, ce qui, à plus long terme, pourrait se traduire par une diminution du rapport de force syndical.

Cette scission s’incarne également entre les travailleurs syndiqués bénéficiaires d’un régime complémentaire de retraite (privé ou public) et les travailleurs non syndiqués qui comptent uniquement sur les régimes publics et leurs épargnes personnelles.

Sans une amélioration adéquate des régimes publics pour assurer une sécurité du revenu décente à l’ensemble de la population, les travailleurs syndiqués continueront d’être pointés du doigt et qualifiés de « privilégiés de la société ».

La FTQ poursuit d’ailleurs une grande campagne, « Une retraite à l’abri des soucis », en faveur de la bonification de la rente de la Régie des rentes du Québec ainsi que de la Pension de la sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti du fédéral. La campagne du Syndicat canadien de la fonction publique, « C’est notre retraite.com », se poursuivra aussi toute l’année.


Faire autrement, c’est possible

Du côté du Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA), une expérience intéressante a aussi vu le jour au sein de la section locale 4511, qui réunit quelque 1 800 travailleurs de 62 concessionnaires automobiles du Québec.

Le représentant syndical Éric Boudreault explique qu’auparavant, les cotisations des travailleurs et des employeurs étaient versées au Fonds de solidarité jusqu’à concurrence de 5 000 $, limite pour bénéficier du crédit d’impôt, et que l’excédant pouvait être investi dans une autre institution bancaire, sous la forme d’un REER notamment. Ce qui n’assure en rien une sécurité du revenu à la retraite.

Le petit nombre d’employés dans la plupart des unités d’accréditation rendait impossible la négociation locale d’un régime à prestations déterminées. C’est précisément dans cette perspective qu’à été créé le Régime de retraite par financement salarial de la FTQ (RRFS-FTQ).

Il s’agit d’un régime multi-employeurs, à prestations déterminées, où la cotisation de l’employeur demeure fixe et est généralement négociée par chacun des groupes qui y adhèrent.

En cas de fluctuations, le risque repose entièrement sur les cotisants. Les surplus sont destinés à bonifier le régime et les employeurs ne peuvent s’octroyer de congé de cotisation. Il existe un autre régime du genre au Québec, le Régime de retraite des groupes communautaires et de femmes.

Le RRFS-FTQ garantit une rente et peut offrir une indexation de celle-ci jusqu’à 4%, tout dépendant des revenus. Le régime se protège du sous-financement par une cumulation de marges de sécurité.

Le régime comptait 4 353 participants en février dernier, un nombre en constante progression depuis sa mise sur pied en juin 2008. Il réunit 60 employeurs différents. 71 groupes de participants sur 95 comptent moins de 50 participants; des travailleurs qui n’auraient jamais pu avoir accès à un régime à prestations déterminées sans le RRFS-FTQ.

Au 28 février 2013, les actifs du régime dépassaient 23 000 000 $. Il était capitalisé à 202,8% (parce qu’il cumule des marges de sécurité, des coussins) et avait un taux de solvabilité de 103,2%.

Compte tenu des faibles taux de solvabilité des régimes complémentaires (69% en moyenne en 2012), le RRFS propose une solution avantageuse. Comme quoi il est possible d’offrir des régimes à prestations déterminées performants, à coûts raisonnables, même à de petits groupes d’employés.

Pour Marie-Josée Naud, conseillère syndicale à la FTQ, il faut innover et revoir les modes de financement des régimes complémentaires de retraite. Au-delà de la crise financière et des fluctuations du marché, les régimes font face à des « problèmes structurels, de design et de financement. Pourquoi ne pas profiter du contexte de déficit, même si ça peut faire drôle à dire, pour apporter de réels changements à nos régimes, diminuer les risques, faire autrement? »

À la section locale 4511 des TCA, les travailleurs bénéficient désormais des deux outils d’épargne : le Fonds de solidarité et le RRFS-FTQ. « Le plus beau, c’est que, même si c’est un régime PD, c’est passé comme dans du beurre pour les employeurs. Je pense même que plusieurs ne comprennent pas qu’ils en ont un! », ironise Éric Boudreault.