Premier Mai : l’état du syndicalisme québécois

2013/04/26 | Par Maude Messier

Propos recueillis par Maude Messier

Aux États-Unis, des coups durs auront été portés au mouvement syndical au cours de la dernière année, notamment avec l’augmentation du nombre d’États avec des législations antisyndicales, ces « Right to Work States ».

Au Canada, l’adoption par le gouvernement fédéral de la loi C-377 sur la « transparence » syndicale, la réforme de l’assurance-emploi et l’abolition du crédit d’impôt pour les fonds de travailleurs sont reçues comme autant d’attaques, portées par le gouvernement conservateur, contre les travailleurs et leurs organisations.

Le syndicalisme est-il à la croisée des chemins? Quels sont les défis à venir?

À l’occasion de la Fête des travailleurs, l’aut’journal s’est entretenu avec différents dirigeants syndicaux pour connaître leur lecture de la conjoncture politique actuelle.


Michel Arsenault, président de la FTQ : « Le Québec est la société la plus syndiquée en Amérique du Nord et aussi la plus égalitaire. Au fédéral, on a clairement affaire à un gouvernement qui met de l’avant des politiques de droite antisyndicales, et la réforme de l’assurance-emploi est l’une d’entre-elles.

Dans ce contexte antisyndical, qui nous vient aussi des États-Unis, où le taux de syndicalisation est en chute, où la classe moyenne s’effrite sans cesse et où la pauvreté augmente, la FTQ s’attablera, au cours des prochains mois, à l’élaboration de différentes stratégies, avec nos syndicats, pour établir plus de contacts avec la base, pour remettre le mouvement syndical et ses gains en contexte dans chacun de nos milieu de travail.

En dix ans, beaucoup de jeunes sont entrés sur le marché du travail. C’est un éternel défi de se rapprocher de nos membres, surtout que la presse est plutôt défavorable aux actions syndicales. C’est aussi l’occasion de réfléchir à nos pratiques syndicales. »

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Jacques Létourneau, président de la CSN : « Dans le dossier de la réforme de l’assurance-emploi, il faut bien comprendre qu’il s’agit d’une attaque contre les travailleurs et les travailleuses, contre le filet de sécurité sociale, contre certaines régions, dont le Québec.

Ça fait partie de l’ensemble de l’œuvre, l’une des plus, sinon la plus, à droite de l’histoire du Canada. C-377 est aussi une velléité certaine contre les syndicats et contre la classe moyenne, d’inspiration très états-unienne.

S’agit-il d’un précurseur d’un éventuel projet de loi privé sur l’abolition de la formule Rand ou encore sur la liberté de cotisation syndicale, une façon de miner les luttes sociales et politiques des organisations syndicales en s’attaquant à leur financement?

S’en prendre aux fonds de travailleurs est une frappe chirurgicale dirigée contre la CSN et la FTQ, contre les travailleurs et leurs organisations.

Ça pose certainement la question du fédéralisme canadien. Il est un peu tôt, mais on devra sans doute se poser des questions sur comment on travaille dans le Canada ou comment on travaille en dehors du Canada. »

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Carolle Dubé, porte-parole du SISP : « Les choix économiques du gouvernement péquiste ajoutent de nouvelles compressions dans la fonction publique québécoise et menacent le maintien de services publics de qualité. Même si le gouvernement répète qu’il n’y aura pas d’effet sur la qualité des services rendus à la population, nous sommes d’avis qu’il s’agit d’une forme de pensée magique.

Alors que plusieurs remettent en question l’efficacité des politiques d’austérité, le gouvernement Marois maintient sa stratégie du déficit zéro, ce qui met énormément de pression sur les services publics.

Par ses choix politiques, ce gouvernement a aussi fait le choix de ne pas augmenter ses revenus pour mieux financer les services publics. Il aurait pu choisir de hausser les redevances minières, ajouter des paliers d’imposition, réclamer une plus grande participation des entreprises.

La sous-traitance et le recours accru aux services du secteur privé coûtent cher aux contribuables, sans compter que ça engendre une perte d’expertise pour l’ensemble de la fonction publique. »

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Louise Chabot, présidente de la CSQ : « J’espère que le printemps sera chaud! Assurément, la conjoncture actuelle nous place dans un environnement où les attaques aux droits des travailleurs et des travailleuses se multiplient. S’il y a un message à passer, c’est de valoriser les travailleurs et les travailleuses et leur apport à la société.

En ce moment, les politiques d’austérité mettent beaucoup de pression sur les emplois et les services publics. Le mépris du gouvernement Harper pour les travailleurs saisonniers est à ce point qu’il les soupçonne même de fraude. Les raisons de luttes sont nombreuses et méritent notre mobilisation.

Nous luttons pour des emplois décents et égalitaires, lesquels sont garants du développement économique et social du Québec. »


Magali Picard, vice-présidente exécutive régionale pour le Québec, AFPC

« Le plus difficile est de continuer à travailler avec un gouvernement qui ne veut pas d’État et qui ne veut pas être contrarié dans ses efforts pour détruire l’État. Il s’attaque aux groupes progressistes de la société, dont, évidemment, les syndicats.

Ce gouvernement ne respecte par les travailleurs, il est contre la classe moyenne et n’en a que pour le patronat, les banques et le pétrole. Ce sont les mieux nantis qui sont satisfaits, au détriment de tous les autres. Ils parlent d’économie, de création d’emplois, et multiplient les coupures tout en faisant croire à la population que c’est pour son bien. Ce gouvernement est un spécialiste des communications pour mener à bien son plan. Notre défi est de passer un autre message à la population.

C’est un contexte très difficile. Avec C-377 et les ballons qu’ils envoient sur la formule Rand, je pense qu’on pourrait être appelé à lutter pour notre survie, comme organisation syndicale. »

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Sylvain Martin, directeur québécois des TCA : « Pour nous, le grand défi, c’est évidemment la création du nouveau syndicat. Le 30 août prochain, aura lieu le congrès de fondation d’un nouveau syndicat pancanadien intégrant les Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA) et le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP).

Il faut changer les pratiques, faire du syndicalisme autrement. Sinon, on ne fait que créer un plus gros syndicat et, dans quelques années, nous nous retrouverons devant la même situation, taux de syndicalisation en baisse et diminution du nombre de membres, à nous demander quoi faire.

Les questions, nous nous les posons aujourd’hui. Nous devons être ouverts, faire du syndicalisme social et refuser d’être cantonnés dans le rôle auquel la droite souhaite nous limiter, à savoir négocier exclusivement des conventions collectives et déposer des griefs.

Nous faisons du syndicalisme pour nos membres, leur famille et la société en général. Ça implique de faire de l’action politique et de politiser nos membres. Le mouvement syndical a besoin de leaders visionnaires et de membres informés et articulés. »

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Régine Laurent, présidente de la FIQ : « Le dossier de la formation initiale des infirmières de même que l’implantation des ordonnances collectives nous occuperont au cours des prochains mois.

Mais il y a, de façon plus large, d’autres dossiers qui nous préoccupent, comme la préservation des acquis des femmes. Des attaques insidieuses ont récemment été portées contre le programme de retrait préventif, par exemple.

Je veux bien qu’on revoie certaines façons de faire, qu’on améliore le programme, mais je ne conçois pas que, comme société, on puisse remettre en question le retrait préventif, sous prétexte qu’il coûte trop cher.

Nous avons choisi de nous doter d’un programme qui protège la mère et son bébé, de mettre en place différentes mesures pour favoriser la natalité au Québec; maintenant que le taux de natalité est en hausse, on remettrait en question ces mêmes programmes pour des raisons d’argent? C’est impensable. On ne doit pas revenir en arrière sur ces acquis. »

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Pierre St-Germain, président de la FAE : « Quinze ans après l’implantation de la réforme, nous pensons que c’est le moment de faire un débat de société sur la mission de l’école.

Dans une perspective syndicale, la question de la réappropriation de l’autonomie professionnelle prendra une large part du Congrès de la FAE. La réforme a introduit et consolidé des modèles de gestion axés sur les résultats, lesquels heurtent l’autonomie professionnelle des enseignants et des enseignantes.

Au-delà des approches professionnelles, on est maintenant dans la gestion des relations avec les élèves, qu’on ne peut pourtant pas baliser par des standards. Le ‘‘management’’, pour faire un parallèle avec ce qui se passe dans le réseau de la santé, n’a pas sa place en éducation. En bout de ligne, ce sont les élèves en difficulté qui sont laissés en plan.

À trop mettre l’accent sur les résultats et la performance, on risque de se retrouver avec des dérives comme celles qui ont lieu aux États-Unis. »

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Raymond Legault, président de l’Union des artistes : « Globalement, on assiste à une diminution de la qualité des conditions de travail des artistes. On nous demandait de faire plus avec la même chose, on nous demande maintenant de faire plus avec moins.

Les conditions d’exercice du métier sont plus difficiles; moins de temps rémunéré pour les répétitions, mais la qualité de notre travail doit demeurer la même.

Au Québec, sur le plan politique, le déficit zéro du gouvernement Marois fait en sorte que beaucoup de projets sont remis à plus tard, pour ne pas dire renvoyés aux calendes grecques.

Si on entend parler du financement des arts du côté fédéral, c’est que les artistes et les organismes qui se plaignent ou qui critiquent voient leur budget diminué ou carrément coupé. Ils sont muselés. C’est notamment le cas de la Conférence canadienne des arts et de la Coalition canadienne pour la diversité culturelle. »