Virage dans les soins à domicile

2013/05/01 | Par Maude Messier

Le gouvernement du Québec déposera, ce mois-ci, un livre blanc sur le soutien à l’autonomie des personnes âgées. Un projet qui, bien qu’applaudi sur la forme, génère beaucoup d’inquiétudes sur le fond.

Jointe par l’aut’journal, la présidente de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), Carolle Dubé, exprime ses craintes quant aux orientations du ministère de la Santé et des Services sociaux : « Si on se fie à ce que le ministre a déjà annoncé, nous ne voyons pas d’un bon œil l’ouverture manifestée quant à la dispensation de certains services par le secteur privé. Nous nous inquiétons aussi du financement ».

Mme Dubé réitère toutefois que l’APTS est entièrement favorable à ce que le réseau de la santé favorise davantage les soins à domicile. « Les professionnels le disent, les services à domicile permettront une meilleure accessibilité aux soins de santé et contribueront à désengorger le réseau. Ça répond aussi aux besoins exprimés par les personnes âgées qui souhaitent demeurer à la maison le plus longtemps possible. »

Or, encore faut-il que l’offre de services soit au rendez-vous, ce qui implique nécessairement l’embauche de personnel supplémentaire et, donc, l’injection d’argent neuf. Mme Dubé indique que le manque de personnel sur le terrain est déjà préoccupant et que, pour cette année, 400 postes d’intervenants sociaux n’ont pas été comblés.

« À l’heure où le réseau de la santé doit conjuguer avec des compressions importantes, nous trouvons inquiétant que le ministre parle beaucoup des économies à faire. Oui, il y aura des économies à plus long terme, mais il ne peut pas compter sur ces économies pour implanter une réforme des soins à domicile. Ça prend de l’argent neuf pour garantir des soins de qualité, sinon, c’est voué à l’échec. »

À cet égard, Carolle Dubé fait valoir que le gouvernement devrait se souvenir de l’expérience du virage ambulatoire des années 1990. « Les ressources promises ne se sont jamais concrétisées; il a fallu couper ailleurs. La prévention en a pris un coup et il y a eu d’importantes compressions dans les CLSC. »

En conférence de presse, la semaine dernière, une travailleuse sociale de la région de Lanaudière dénonçait, aux côtés de l’APTS, le manque de ressources à tous les niveaux : auxiliaires familiales, travailleurs sociaux, physiothérapeutes, ergothérapeutes, etc.

Concrètement, cela se traduit par le fait que les personnes âgées dont la situation n’est pas jugée urgente sont reléguées à la fin de la liste d’attente, qui peut s’éterniser sur plusieurs mois. Dans certains cas, pendant ce délai, leur situation s’aggrave et requiert ensuite une intervention d’urgence.

« On ne fait qu’éteindre des feux et gérer des urgences, finalement. On n’a pas une minute pour faire du préventif. On est que dans le lucratif. Si la personne avait été traitée plus tôt, on aurait pu prolonger son maintien à domicile », déplorait Valérie Lepage.

Sur la question de l’ouverture au secteur privé, Mme Dubé explique que le personnel de certains services professionnels, notamment la physiothérapie, l’ergothérapie, et les travailleurs sociaux fuient déjà vers le privé, accentuant d’autant plus la pénurie dans le réseau public. Elle insiste sur le fait que ces services doivent demeurer publics afin de garantir la meilleure accessibilité possible dans toutes les régions du Québec. « Et, au meilleur coût. Parce que la dispensation par le privé, c’est de l’argent public qui va dans les poches du secteur privé. Il n’y a pas d’économie à faire là. »


Économies, rentabilité et performance

Dans un contexte de compressions budgétaires, où les mots «rentabilité» et «performance» sont récités comme des mantras et que les projets d’optimisation dans les établissements de santé se multiplient, l’APTS estime que le terrain n’est pas propice à l’implantation d’une réforme d’une telle ampleur.

Rappelons que les contrats de services entre plusieurs CSSS et la firme de gestion conseil Proaction suscitent la grogne des organisations syndicales depuis plusieurs mois et que, conséquemment, les relations de travail sont difficiles. Les syndicats font valoir que le personnel est « pressurisé », « exténué » et « démotivé » par ce qu’ils qualifient de « travail à la chaîne » qui dénature l’action des intervenants du réseau de la santé : le contact humain.

Les méthodes de gestion de Proaction, axées sur les gains de productivité et la performance, suscitent de vives réactions du côté des organisations syndicales. « Nos appréhensions face à Proaction demeurent les mêmes. Nous pensons que le virage vers les soins à domicile ne doit pas être effectué comme ça. Nous avons interpellé le ministère. La seule réponse que nous avons, c’est que ces décisions relèvent des établissements de santé et que le ministère ne peut pas s’ingérer dans la gestion. On commence à penser que le gouvernement n’est peut-être pas vraiment contre ces projets d’optimisation finalement. »

Mardi, l’APTS a lancé une pétition parrainée par la député solidaire de Gouin, Françoise David, réclamant du gouvernement qu’il renonce aux projets d’optimisation. L’organisation syndicale demande également au gouvernement d’ordonner une enquête en bonne et due forme sur le processus d’attribution des contrats accordés à la firme Proaction.

À ce jour, les contrats octroyés par plusieurs établissements du réseau de la santé et des services sociaux à la firme Proaction totalisent au moins 15 millions $, selon les données compilées par l’APTS.


Perpétuer et encourager le ghetto féminin des services à domicile

L’APTS n’est pas la seule à s’inquiéter du modèle que semble favoriser le ministre de la Santé pour implanter la réforme des soins à domicile.

Dans une lettre publiée (http://www.ledevoir.com/societe/sante/376944/la-persistance-de-la-devalorisation-du-travail-des-femmes ) par Le Devoir ce mardi, Louise Boivin, professeure au département de relations industrielles de l’Université du Québec en Outaouais, déplore le fait que cette réforme s’appuiera « sur le travail sous-payé de milliers de femmes, ce qui nous fait reculer de près de 40 ans sur le plan de l’égalité entre les sexes ».

Mme Boivin soutient que le ministre Hébert mise juste quant à la nécessité d’étendre l’accès aux soins à domicile de longue durée dans un contexte de vieillissement de la population, mais que « cela nécessite toutefois une volonté politique d’accroître les ressources financières pour les services d’aide à domicile sans amputer d’autres services publics et d’assurer que les employés disposeront d’emplois décents. »

Elle fait valoir que les travailleuses des entreprises d’économie sociale et des agences privées, dispensant des soins à domicile, sont majoritairement des femmes, avec une grande proportion d’immigrantes et de femmes en provenance de minorités visibles. Elles gagnent la moitié du salaire des employés du secteur public, pour des tâches similaires, sans compter les avantages sociaux. Elles travaillent à temps partiel, dans la précarité, avec des horaires fragmentés.

« Les gouvernements qui se succèdent au Québec clament haut et fort le principe d’égalité entre les hommes et les femmes, mais leur conception des conditions de travail des femmes dispensant les services d’aide à domicile montre que, pour eux, ce principe ne s’applique pas à toutes les femmes. »