Répression syndicale en Colombie : deux syndicalistes témoignent

2013/05/03 | Par Maude Messier

8 homicides, 10 attentats, 34 cas de menaces sérieuses. C’est le bilan que dresse l’Union Sindical Obrera (USO), syndicat des travailleurs pétroliers en Colombie, pour l’année 2012 seulement.

Le syndicalisme a la vie dure en Colombie, qui arrive au premier rang des pays les plus dangereux pour les syndicalistes, tout spécialement dans les secteurs minier et pétrolier, où les entreprises canadiennes sont d’ailleurs pointées du doigt, violant impunément les droits fondamentaux des travailleurs et faisant fi des règles de protection environnementale.

Ce jeudi, deux dirigeants syndicaux de USO ont témoigné de leur situation, impliquant une compagnie canadienne, Pacific Rubiales Energy, devant une assemblée de délégués et de représentants du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, réunis à Montréal.

Rodolfo Vecino, président, et César E. Loza, secrétaire des relations internationales, amorcent une tournée pancanadienne d’information qui les mènera à la rencontre de différentes organisations syndicales et groupes sociaux. À Montréal, ils étaient accompagnés par Projet accompagnement solidarité Colombie (PASC), un collectif né en 2003 dans la foulée des mobilisations contre la Zone de Libre-Échange des Amériques.

Rodolfo Vecino s’est adressé à l’assemblée en soulignant que USO menait, depuis 90 ans, une lutte pour la défense des droits des travailleurs pétroliers et contre la privatisation de l’industrie du pétrole en sol colombien. Une lutte chèrement payée pour plusieurs : 108 dirigeants syndicaux assassinés, 4 autres en exil, sans compter le fait que quelque 500 militants et organisateurs ont dû déménager et « s’exiler de l’intérieur » pour protéger leur vie et celle de leur famille.

Mais, depuis deux ans, la situation a pris une tangente particulièrement inquiétante. Intimidation et discrimination riment désormais avec violence et répression armée. La situation a atteint un point culminant avec l’assassinat, le 11 décembre dernier, de Milton Enrique Rivas Parra, syndicaliste et ouvrier pour une entreprise sous-contractante de Pacific Rubiales Energy (PR).


La zone

Le département du Meta, dans la région de Puerta Gaian, est devenue, au fil des dernières années, une zone de haute intensité d’activité pétrolière. Environ 18 000 autochtones ont été déplacés de leurs territoires ancestraux pour permettre l’exploitation. Ils vivent désormais aux abords, confinés dans des réserves où les conditions de vie sont misérables.

Des travailleurs vivent aussi aux abords des installations, dans des habitations de misère. La ville de Puerta Gaian a été englobée par le «développement» de la région, désormais hautement sécurisée par l’armée, la police et les milices privées. 6 000 hommes armés veillent à la protection des installations des entreprises pétrolière.

La région est devenue particulièrement conflictuelle et les travailleurs doivent traverser cette zone pour se rendre au travail. C’est là que Milton Enrique Rivas Parra est décédé, dans la zone «sécurisée». USO a dû fermer ses bureaux dans la ville, en décembre dernier, la région étant devenue trop dangereuse.

Dans une entrevue accordée à l’aut’journal, Rodolfo Vecino explique que l’organisation syndicale a tenté d’accréditer 4 000 travailleurs de la région en juin 2011. « Tous ont été mis à pied depuis. Aujourd’hui, s’ils veulent travailler à nouveau dans l’industrie du pétrole, ils doivent renoncer à leurs droits syndicaux sur tout le territoire de la Colombie. »

C’est ainsi que ça se passe dans le Meta : les compagnies font la loi et l’ordre. « Un État dans l’État. C’est une véritable catastrophe politique, économique, sociale et environnementale. C’est presqu’un camp de travail forcé. Les salaires sont plus bas qu’ailleurs, les conditions de travail et de santé et de sécurité sont déplorables. Le droit d’association et la liberté d’expression n’existent pas. »

Environ 15 000 travailleurs s’y trouvent, employés par l’une ou l’autre des entreprises sous-contractantes des grandes pétrolières, dans des conditions précaires, orchestrées pour empêcher toute organisation ouvrière.

D’ailleurs, les représentants de USO n’ont pas accès à cette zone. Travailleurs et sous-traitants doivent présenter une carte stipulant qu’ils renoncent aux droits syndicaux sans quoi, impossible de circuler sur le territoire, affirment les deux syndicalistes.

« Un sénateur de la République a tenté d’aller visiter la zone, pour vérifier les informations qu’il avait reçues, mais les forces armées l’en ont empêché. Imaginez, alors, ce qui peut arriver à des représentants de l’USO, souligne Cesar E. Loza. Le rôle que joue l’entreprise canadienne est crucial puisqu’elle représente près de 40% de la production de pétrole brut en Colombie. Son influence sur les conditions de travail de l’ensemble des travailleurs du pétrole est indéniable, de même que pour les conditions de vie des autochtones vivant sur les terres aux alentours de ses installations. »

Rodolfo Vecino soutient que les entreprises pétrolières présentes en Colombie se sont concertées pour empêcher USO d’organiser les travailleurs sur tout le territoire. Une répression syndicale qui se traduit notamment par une intensification des recours judiciaires contre les organisations syndicales et leurs représentants. 150 procès sont actuellement en cours contre USO ou ses dirigeants, selon M. Vecino.

Il faut aussi ajouter les procès disciplinaires, une forme d’inquisitions arbitraires menés par les entreprises, visant spécialement les organisateurs syndicaux. Les représentants d’USO sont impliqués dans quelque 1 500 procès de discipline pour diverses causes, toutes reliée à leurs activités syndicales, insiste Rodolfo Vecino.

« Par exemple, si un représentant s’adresse aux travailleurs et que la rencontre déborde de quelques minutes, ils intenteront un procès de discipline alléguant que le représentant a fait perdre du temps et de l’argent à l’entreprise. » Ces procès peuvent encourir le congédiement, ce qui décourage les travailleurs de s’impliquer syndicalement.

Il y a aussi les menaces, la peur et la répression armée envers les syndicalistes, désormais monnaie courante.

Cesar E. Loza fait valoir que la Canada est signataire d’un traité de libre-échange avec la Colombie, traité qui devait initialement contribuer à améliorer les conditions de travail des travailleurs. « C’est plutôt l’inverse, elles ont régressé depuis et, en partie, à cause d’entreprises canadiennes. »

Le PASC souligne que le Canada n’a pas de cadre règlementaire pour effectuer la surveillance des entreprises canadiennes en dehors de ses frontières. Comme dans le cas de PR, certaines agissent donc en toute impunité, profitant du contexte de violence déjà présent en Colombie.

Par ailleurs, le gouvernement canadien affirme être préoccupé par la question de la violation des droits humains en Colombie, mais soutient que le pays a tout de même fait des progrès. USO rétorque que les données de l’État colombien enregistrent effectivement une baisse des homicides et des délits contre des syndicalistes dans le secteur pétrolier, mais que cela est principalement dû au fait que le taux de présence syndicale est aussi en baisse et que ces statistiques ne reflètent en rien le climat sur place.


Au jugement populaire

Un tribunal populaire se tiendra le 13 juillet prochain, en Colombie, et Pacific Rubiales se retrouvera au banc des accusés. Une délégation canadienne doit s’y rendre, à l’initiative du PSAC.

« La solidarité internationale nous aide à différents niveaux, affirme Rodolfo Vecino. D’abord, il y a la question de la visibilité et de l’information sur la situation, à la fois au niveau national et international. C’est un autre aspect, mais il faut savoir qu’en Colombie, les pétrolières, via leurs dirigeants, sont d’importants actionnaires des différents groupes médiatiques. L’information est donc contrôlée. »

À son avis, la sensibilisation de la population à la cause des travailleurs colombiens dans les pays d’origine des entreprises multinationales joue aussi un rôle modérateur. Puis, il y a «l’accompagnement physique», à l’occasion d’activités telles que le tribunal populaire.

« L’État colombien réagit à la présence internationale. Donc, l’accompagnement physique permet de protéger les Colombiens qui prendront part à ces activités, parce que ça peut être périlleux de dénoncer publiquement les actions des pétrolières et ça permet aux gens de ramener chez eux leur expérience, ce qu’ils ont vu, entendu. »