Histoire du travail et syndicalisme : un centre d’archives verra le jour

2013/05/16 | Par Maude Messier

« Le milieu syndical est perpétuellement tourné vers l’action, en mode urgence. Se tourner vers le passé est souvent considéré comme un luxe, et pourtant… Il s’agit de nos origines, de l’évolution du mouvement ouvrier québécois, de ses impacts sur la société et des transformations qu’il a amenées », explique André Leclerc, syndicaliste aujourd’hui à la retraite.

C’est en préparation d’un projet d’écriture qu’il a pu constater les importantes lacunes en matière de conservation de documents historiques dans les organisations syndicales.

Un constat partagé par plusieurs puisque c’est à un collectif de militants et de syndicalistes, dont font partie André Leclerc et la sociologue Mona-Josée Gagnon – qui a aussi œuvré pendant plusieurs années à la direction de la recherche à la FTQ – que revient la paternité du projet de mise sur pied d’un centre d’histoire et d’archives du travail. Le collectif est aussi conseillé par un historien archiviste d’expérience.

Le Regroupement des syndicalistes à la retraite appuie aussi l’initiative, ce qui permet de faire cheminer le projet dans différentes instances syndicales.

Aussi étrange que cela puisse paraître, il n’existe pas de centre archivistique dédié au monde du travail et au syndicalisme au Québec. Photos, affiches, correspondances, procès-verbaux, actes de congrès, communiqués, documents audio-visuels et mémoires se retrouvent parfois dans les archives des centrales syndicales, parfois dans les bureaux des syndicats, parfois dans des boîtes remisées dans les sous-sols d’anciens dirigeants ou dans leur garage.

Certains fonds d’archives syndicales sont conservés dans des sociétés historiques, dans les universités ou encore dans les bibliothèques. C’est notamment le cas du Fonds d’archives de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec et du Fonds d’archives Émile Boudreau, tous deux conservés à l’UQAM.

« Tout le monde est laissé à son bon vouloir et aux capacités et connaissances de chacun. Il est temps d’organiser tout ça. D’ailleurs, nous n’avons pas eu à chercher bien loin pour sentir l’intérêt que suscite le projet. »

Le centre d’histoire et d’archives du travail doit mener ses activités pendant un an, à raison d’au moins vingt-cinq heures par semaine, pour être admissible à l’obtention d’un agrément de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Cette reconnaissance permettra d’obtenir des subventions récurrentes.

Selon André Leclerc, le centre a toutes les chances d’obtenir cette reconnaissance puisqu’il serait le seul établissement du genre, entièrement dédié au monde du travail. « D’ailleurs, les universités ne reçoivent plus ces fonds d’archives, elles n’ont pas les moyens de les traiter. Il y a carrément un vacuum. »

Au fil du temps, les organisations syndicales ont connu de nombreuses restructurations, fusions et scissions. « Ces changements ont amené de véritables hécatombes pour les documents d’archives. Il s’est déjà perdu beaucoup de choses. C’est comme ça partout, à la FTQ comme ailleurs. La grande difficulté, c’est justement de savoir quoi garder. »

Il explique que le démarrage du projet se fait de concert avec les syndicats de la FTQ, parce qu’il y a là des besoins urgents, notamment en raison de la décentralisation des syndicats affiliés. Mais l’objectif est beaucoup plus vaste. « C’est un projet qui vise et concerne l’ensemble du monde syndical, de même que les organismes qui viennent en aide aux travailleurs, comme les travailleurs précaires et les travailleurs immigrants par exemple. »



Conservation, formation et diffusion

L’intérêt premier d’un tel centre est de conserver l’héritage historique et les traces de l’évolution du monde ouvrier au Québec.

« Mais un centre d’archives, ce n’est pas juste un hangar à papiers, ça doit servir à diffuser davantage l’histoire. On voudrait que le centre organise des expositions, des colloques, différentes activités. »

Le centre existera en tant que lieu physique de conservation et de traitement des documents et il sera ouvert au public. Militants, chercheurs, étudiants, y auront accès. Il permettra de centraliser les archives syndicales et du travail, actuellement dispersées dans diverses institutions publiques ou privées.

Le centre aura également une mission de sensibilisation, de formation et de soutien à l’intention des syndicats. « Il y a des syndicats qui voudront conserver leurs documents. On doit pouvoir répondre à leurs besoins, tout en s’assurant que les documents soient traités. Ainsi, même s’ils ne sont pas au centre comme tel, ils seront répertoriés, ce qui n’est absolument pas le cas dans le moment. »

Il explique justement que c’est en pensant aux syndicats locaux, « à la base militante » que le projet a été élaboré. « Les gens ne savent pas quoi garder. J’ai moi-même tenté de retrouver des communiqués de presse que j’avais écrits, dans le temps, pour un syndicat; il n’y a plus de trace. Dans certains syndicats, on garde en plusieurs copies les documents de congrès, mais pas les correspondances et les procès-verbau, par exemple. »

André Leclerc explique que le centre souhaiterait également tisser des liens avec d’autres centres d’archives et d’histoire détenant des documents concernant le monde du travail. « Avec le temps, des réseaux se créeront, enrichissant les collections. »