À propos de la nomination de PKP à Hydro-Québec

2013/05/17 | Par Richard Le Hir

Richard Le Hir réplique ici à mon article« À propos de la nomination de PKP à Hydro-Québec ».

Ma réplique suit l’article de Richard Le Hir.

Pierre Dubuc

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Je profite de l’entrée en fonction officielle de Pierre-Karl Péladeau aujourd’hui comme président du conseil d’administration d’Hydro-Québec pour répondre à Pierre Dubuc de L’Aut’Journal qui s’étonnait la semaine dernière de « l’accueil triomphal » que j’aurais réservé à sa nomination, allant même jusqu’à suggérer que je serais son « agent officieux » sur Vigile.

D’entrée de jeu, je précise que je ne suis « l’agent officieux » de personne. Si j’ai l’avantage de connaître Pierre-Karl Péladeau pour l’avoir croisé à quelques reprises il y a une douzaine d’années et de communiquer de loin en loin avec lui, l’impression très nette qu’il me fait est celle d’un homme qui n’a aucunement besoin d’ « agent officieux ». Comme on dit en anglais, « He is very much his own man », et il ne tolèrerait certainement pas que quiconque prétende le représenter sur des sujets qui relèvent de ses opinions.

Cela dit, sans jouer ce rôle, cette caractéristique et ce que je sais de lui et de son enracinement profond dans l’identité québécoise me permettent d’entretenir le plus grand espoir dans sa capacité de faire contrepoids aux influences néfastes de l’Empire Desmarais que j’ai eu l’occasion de documenter l’an dernier dans le livre que je lui ai consacré, dans une douzaine de nouvelles chroniques que j’ai publiées depuis lors sur Vigile, et même dans mon nouveau livre sur Charles Sirois.

En effet, peu de Québécois sont conscients du gouffre qui sépare un Pierre-Karl Péladeau de l’Empire Desmarais. Tout les oppose, depuis les racines, l’éducation et la formation jusqu’à la conception des affaires et leur finalité. Si je n’ai aucune hésitation à ranger Paul Desmarais dans la catégorie des prédateurs, je n’en ai pas davantage à placer Pierre-Karl Péladeau dans celle des bâtisseurs, dans les pas de son père.

S’il n’avait pas partagé ce point de vue, jamais le Journal de Montréal n’aurait publié mon texte intitulé Québecor dérange les intérêts de Power sur son site.

Pierre Dubuc tente de faire un rapprochement avec la fable de Lafontaine « Le loup et le chien », pensant du coup mettre les rieurs de son côté en reprenant une phrase de mon article pour montrer qu’il n’y a pas beaucoup d’indépendantistes parmi ceux envers qui il a des responsabilités :

« Si le chef d’une grande entreprise comme la sienne doit agir de façon correcte et responsable avec ses employés, ceux-ci ne sont pas les seuls envers qui il a des obligations. Il doit se soucier également de ses actionnaires, de ses créanciers, de ses clients et de ses fournisseurs, pour s’en tenir aux groupes les plus importants. Parmi les actionnaires, il y a des petits porteurs qui détiennent quelques centaines d’actions, mais aussi de plus gros qu’on appelle les investisseurs institutionnels, compagnies d’assurance, fonds de retraite. »

Et sans doute n’y en a-t-il pas beaucoup chez les investisseurs institutionnels et les compagnies d’assurance, effectivement. Mais chez les actionnaires, les clients et les fournisseurs, majoritairement francophones, sans doute bien davantage. Et comment oublier que le plus important fonds de retraite au Québec est la Caisse de dépôt et que celle-ci détient encore un important paquet d’actions de Québecor ?

Pour être douloureux, certains arbitrages n’en sont pas moins nécessaires, et croire qu’ils doivent toujours pencher dans le même sens relève de l’aveuglement corporatiste ou de la pensée magique.

Certaines personnes ont vu dans mon enthousiasme pour la nomination de PKP à Hydro-Québec un parti-pris de droite vu mon passé patronal, et même un endossement du néo-libéralisme. On m’a même traité de girouette. Rien ne saurait être plus éloigné de la vérité.

Si j’ai fait carrière « à droite », le fait est que j’ai été élevé dans un milieu de gauche. Mes parents recevaient à leur table des gens comme Michel et Simone Chartrand, Jacques et Claudette Larue-Langlois, le sociologue Marcel Rioux et bien d’autres dont le souvenir m’échappe, mais qui avaient pour la plupart la particularité d’appartenir à la gauche du spectre politique, et je n’ai pas le souvenir qu’ils aient jamais reçu de chefs d’entreprises, sinon de TTE (‘tites, ‘tites entreprises),

En plus de m’inculquer des valeurs de solidarité, ils ont choisi de me donner une formation en humanités classiques qui a développé chez moi de fortes capacités d’analyse, une grande indépendance d’esprit et un esprit critique assez acéré qui me mettent à l’abri de tout blocage idéologique. Des études en linguistique en Europe où le hasard des circonstances m’a permis d’évoluer dans des milieux privilégiés sur tous les plans, et une formation en droit au Québec dans le ferment des années 1970, ont achevé ma préparation à mon entrée sur le marché du travail.

Du temps où j’étais à l’Association des manufacturiers, cette ouverture m’a permis d’établir des ponts avec les milieux syndicaux, comme s’en rappellent sûrement Gérald Larose et Fernand Daoust, ce qui nous avait permis d’isoler et de marginaliser Ghislain Dufour, du Conseil du Patronat, dans le dossier du développement de la main-d’oeuvre, et de forger le consensus nécessaire pour le rapatriement de cette compétence par le Québec.

Au cours des dernières années, j’ai observé avec effarement l’effondrement du secteur manufacturier et des classes moyennes dont il avait favorisé l’émergence et le développement (grâce à leur syndicalisation, je n’ai aucune peine à le reconnaître), sous le double choc de la financiarisation des économies des pays développés et de l’accélération débridée de la libéralisation des échanges commerciaux et de la mondialisation.

Dans une telle conjoncture, alors que nous courrons tout droit à la catastrophe économique, mes valeurs de solidarité et ma conscience de l’intérêt collectif et du bien commun prennent le dessus sur mes penchants pour l’économie de marché, et dans le cas précis du Québec, je sais que notre survie et notre essor comme peuple passent par le contrôle collectif et l’utilisation des leviers de notre État, que certains identifient comme des caractéristiques de gauche.

Dans d’autres circonstances où le balancier nous amènerait trop à gauche, je pourrais me ranger plus à droite.

Ce pragmatisme me permet de me situer jamais bien loin de la raison, une position que je préfère à celle d’avoir totalement raison au moment furtif où le balancier passerait le point où je me serais immobilisé, à gauche, au centre, ou à droite.

Je crois comprendre que Pierre-Karl Péladeau en est venu à la même conclusion. Pour le moment il a offert de servir, et non pas de se servir, comme l’a fort justement distingué Jean-Claude Pomerleau , à la tête du conseil d’administration d’Hydro-Québec où il est bien conscient qu’il se retrouvera devant tous les profiteurs qu’avait désignés Jean Charest, parmi lesquels figura un moment l’ex-maire Gilles Vaillancourt, accusé de rien de moins que de gangstérisme.

C’est ce même Jean Charest qui, après l’avoir nommé en 2007, ne voulait pas le limoger en 2010, malgré l’enquête de la SQ, et qui l’avait alors seulement suspendu, comme le rapportait alors Denis Lessard :

« Le maire de Laval, Gilles Vaillancourt, a été écarté mercredi du conseil d’administration (CA) d’Hydro-Québec. Comme le gouvernement ne voulait pas le limoger, il sera « suspendu » de ses responsabilités au sein de la société d’État, le temps que la Sûreté du Québec termine son enquête. »

On imagine sans peine le sentiment d’horreur des autres membres du conseil à la découverte la semaine dernière que le premier ministre Charest, qui les avait nommés à cette fonction qu’ils croyaient prestigieuse au point de ne plus en voir clair, se trouvait en fait à avoir compromis leur intégrité en les associant avec un brigand.

Et l’on a peine à comprendre que Jean Charest ait nommé Vaillancourt à ce poste en 2007 alors que la réputation sulfureuse de ce dernier était déjà de notoriété publique, si ce n’est qu’il plaçait à ce poste stratégique un allié en qui il avait pleine confiance. Quand se penchera-t-on sur les étranges relations de Jean Charest ?

Pour sa part, Pierre-Karl Péladeau n’a jamais ménagé ses critiques sur certaines dérives étranges des années Charest, comme celle de la Caisse de dépôt sous la direction d’Henri-Paul Rousseau, pour revenir sur un cas qui a suscité d’énormes interrogations sans susciter d’autres réponses que des niaiseries .

Ainsi, le 9 mars 2009, La Presse publiait un article dans lequel Paul Desmarais fils avait senti le besoin de se porter à la défense d’Henri-Paul Rousseau après une attaque frontale de PKP :

« Paul Desmarais fils, président du conseil d’administration et cochef de la direction de Power Corporation, s’est porté mardi à la défense d’Henri-Paul Rousseau après que le grand patron de Quebecor, Pierre Karl Péladeau, eut qualifié sa gestion à la Caisse de dépôt et placement du Québec de « désastre »...

« Ce fut un désastre », a lancé le PDG de Quebecor au sujet de la gestion de M. Rousseau à la tête de la Caisse. « À la Chambre de commerce (du Montréal métropolitain, où Henri-Paul Rousseau a prononcé un discours en mars), je ne me suis pas levé pour applaudir à un gaspillage sans précédent de fonds publics. C’est trop facile de briller comme gestionnaire fort en communication PowerPoint alors qu’on est incapable de livrer la marchandise. »

Par cette intervention qui date de 2009, Pierre-Karl Péladeau marquait qu’il n’était pas indifférent à la gestion de la chose publique et que les gestionnaires à la tête des entreprises sont à ses yeux responsables et imputables, tout comme il l’est à la tête d’une grande entreprise privée. Si le principe semble aller de soi, ce n’est pas ce à quoi nous avons été habitués.

Comme la Caisse de dépôt demeure un actionnaire important de Québecor, il était hors de question de nommer PKP à la tête de son CA. Mais il était tout indiqué que le gouvernement Marois profite de son offre de servir pour reprendre le contrôle d’une entreprise comme Hydro-Québec et lui faire jouer le rôle stratégique qu’elle peut jouer au bénéfice du Québec et des Québécois, dans un grand projet moteur de développement comme celui de l’électrification des transports publics, par exemple.

C’est un rôle que Pierre-Karl Péladeau est pleinement en mesure d’assumer, et avec en plus une rare compétence. Pour l’instant, il ne s’agit de rien d’autre.

Cela dit, il est très réconfortant qu’il existe au Québec au moins un représentant de la caste des hauts dirigeants d’affaires qui ait un souci suffisamment grand de la chose publique pour accepter de servir gratuitement, et ce n’est pas réduire la question de l’indépendance à une lutte entre deux empires que de s’en réjouir. C’est une caricature de ma position que je récuse complètement et qui se trouve invalidée par toutes mes prises de position qu’un lecteur attentif peut suivre à la trace depuis trois ans vus leur nombre et leur fréquence.

Connaissant les Québécois comme je les connais, je sais toutefois que nombre d’entre eux se laisseront vite prendre au jeu de cette opposition entre deux empires qui en viendront d’autant plus vite à incarner dans leur esprit les forces du bien et du mal que nous sommes dangereusement en manque de héros, et je ne lèverai certainement pas le nez sur les bénéfices que notre cause pourrait tirer d’en avoir pour une fois un de son bord.

Il y eut un temps pour les René Lévesque de ce monde. Peut-être sommes nous au temps des Pierre-Karl Péladeau ? Et s’il fallait en bout de ligne que ce soit lui qui mène le Québec à l’indépendance, à cheval donné je ne regarderais pas la bride, pourvu que ce soit dans l’intérêt collectif et avec le souci du bien commun.


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Réplique de Pierre Dubuc

M. Le Hir ne fait que confirmer ce que j’ai écrit.