C-525 : vers une mobilisation syndicale pancanadienne?

2013/06/12 | Par Maude Messier

« Ce qu’on sait, c’est que ce projet là vient d’un lobbying d’autres provinces qui voudraient imposer le vote syndical obligatoire et à qui ça faciliterait la vie, si le fédéral intervient le premier. C’est une façon d’ouvrir la fenêtre, pour ouvrir toute grande la porte par la suite », affirme Magali Picard, vice-présidente exécutive régionale pour le Québec de l'Alliance de la Fonction publique du Canada, en entrevue à l’aut’journal.

Il ne fait aucun doute dans son esprit que C-525, ou Loi sur le droit de vote des employés, constitue un jalon de plus dans la stratégie du gouvernement conservateur pour mener une charge à fond de train contre le mouvement syndical

Déjà, lors d’un entretien plus tôt cet automne, la dirigeante syndicale faisait allusion à la possibilité qu’un tel projet de loi soit déposé par un député d’arrière-ban, comme ce fut le cas pour C-377, sur la «transparence» syndicale.

Une opinion partagée par plusieurs organisations syndicales. Le député néo-démocrate Alexandre Boulerice évoquait aussi cette idée dans une entrevue accordée à l’aut’journal cet automne.

« Avec C-377, ils veulent susciter une contestation sur l’action politique des syndicats et la légitimité des dépenses qui y sont liées. Puis, avec C-525, ils imposent des obstacles à la syndicalisation qui ne sont absolument pas nécessaires. Laisser tout le temps à l’employeur de mener cabale, quand on sait qu’en 2013, on signe encore des cartes d’adhésion syndicale en cachette par peur de représailles, c’est un cadeau aux employeurs mal intentionnés et qui ne sont pas transparents justement », explique Mme Picard.

On pourrait aussi ajouter à ce lot l’imposition de lois spéciales chez Air Canada et Postes Canada notamment, faisant avorter une négociation collective au beau milieu d’un processus pourtant légitime.

Le projet de loi C-60 constitue aussi une entrave importante du gouvernement dans le processus de négociation entre les sociétés fédérales et leurs employés, un projet qui soulève la grogne et la mobilisation des organisations syndicales concernées, particulièrement chez Radio-Canada.

Le projet de loi déposé mercredi dernier par le député d’arrière-ban albertain Blaine Calkins vise spécifiquement les travailleurs sous juridiction fédérale. Magali Picard souligne que l’AFPC est certes particulièrement concernée, avec 186 000 membres au Canada dont 46 000 au Québec.

« Ce n’est pas juste une affaire de nom, c’est bien tout le mouvement syndical qui est touché, toutes les organisations qui ont une charte canadienne. »

C-525 rendrait le vote obligatoire pour toutes les demandes d'accréditation syndicale dans le secteur fédéral, ce qui comprend notamment les industries du transport, les services bancaires et les communications.

Actuellement, les commissions du travail du secteur fédéral peuvent accréditer les syndicats sous présentation d’une preuve documentaire faisant état d'un soutien majoritaire, généralement sous forme de cartes d'adhésion signées. Elles ont le pouvoir discrétionnaire de tenir un vote dans certains cas pour s'assurer que les syndicats obtiennent un soutien majoritaire.

Le projet de loi C-525 exigerait qu'un syndicat qui cherche à représenter un nouveau groupe d'employés ait d'abord une preuve documentaire selon laquelle il a le soutien de 45% des employés de ce groupe, puis recevoir les votes d'au moins 50% de la majorité absolue de tous les travailleurs visés, pas seulement de ceux qui peuvent voter.

Ce qui fait bondir le président national des TCA, Ken Lewenza, qui soutient que ce projet de loi restreindrait le droit démocratique des travailleurs de former un syndicat et de négocier une convention collective. « Le discours de M. Calkins sur la démocratie en milieu de travail a pour but d'induire les gens en erreur sur l'objectif véritable et évident de ce projet de loi, qui est d'affaiblir les syndicats et la négociation collective dans le secteur fédéral de l'économie. »

Il questionne d’ailleurs l’obsession des conservateurs. « Si on appliquait la même règle démocratique déformée aux députés fédéraux, il n'y aurait pas un seul membre du parti conservateur présent dans la Chambre des communes aujourd'hui. Pas un seul député au Canada n'a été élu dans sa circonscription par plus de 50 % des adultes ayant le droit de vote. Pourquoi donc faudrait-il appliquer ce critère aux syndicats, et pas aux députés? »

En fait, deux députés se rapprochent de la faveur de la majorité absolue des électeurs de leur circonscription, dont le député parrain du projet de loi C-525, Blaine Calkins.

Magali Picard ne se leurre pas sur les intentions du gouvernement Harper. « La prochaine étape, c’est la formule Rand. Les cotisations syndicales, c’est le nerf de la guerre, c’est l’oxygène de nos organisations. »

Elle estime que les syndicats ont leur part de torts et que la structure des relations de travail en place fait en sorte que la majorité des membres ne comprennent pas la nécessité de la formule Rand ni ses origines. Dans une société où la tendance est de faire primer le droit individuel sur le droit collectif, l’approche clientéliste de membres envers leur syndicat les mène sur une pente raide.

« Remarquez, je les comprends un peu, au fond. Pourquoi je paierais ma cotisation syndicale, si je n’ai jamais eu besoin de mon syndicat et que je profite des mêmes conditions de travail que les autres, même si je ne paie pas? Mais il y a une réponse à ça et il faut la donner. »

C’est précisément ce à quoi s’affaire l’AFPC en ce moment même. « J’ai personnellement rencontré 5 000 membre au cours du dernier mois. On fait une tournée, au Québec et partout au Canada. Salaire, avantages sociaux, régime de retraite, congés de maladie, conciliation travail-famille, ce ne sont pas les employeurs qui se sont levés un matin et qui en ont fait cadeau aux travailleurs. Tout ça, c’est loin d’être acquis et croyez-moi, dans la fonction publique fédérale, notre monde comprend très bien ce que ça veut dire depuis que les conservateurs sont là! »

Elle explique que l’AFPC compte faire le lobbying politique nécessaire pour contrer C-525, mais que c’est surtout sur la mobilisation des membres qu’elle compte. « Cette campagne, c’est un peu comme si on syndiquait à nouveau tous nos membres pour une deuxième fois. On leur fait d’ailleurs signer une carte symbolique, en guise de démonstration de leur appui. Il faut faire confiance à l’intelligence des gens, leur expliquer les enjeux et ils sont à même de se faire une idée là-dessus. »

Elle ajoute rencontrer chaque semaine des membres qui ne sont pas proches de leur exécutif syndical et qui ne sont pas des militants à proprement dit. « Ils s’inquiètent de la situation. Ils voient bien que quelque chose se passe, que les attaques se multiplient. Nous sommes là, à leur rencontre pour jaser avec eux, défaire les mythes habilement montés par le discours conservateurs. »

Une opération de terrain similaire devrait aussi s’amorcer dans les autres fédérations du Congrès du travail du Canada. « C’est tout le mouvement ouvrier qui est concerné. Pour l’instant, on se donne l’été pour voir notre monde sur le terrain. Puis, il y aura une campagne grands médias vers septembre, à la Fête du travail. On a un plan et la mobilisation est au rendez-vous. »