Services de garde en milieu familial : deux cultures syndicales

2013/06/19 | Par Maude Messier

Dès septembre, les responsables de services de garde en milieu familial (RSG) entameront des négociations avec le Conseil du Trésor pour l’obtention d’une deuxième entente collective.

La semaine dernière, l’aut’journal a rencontré Lucie Longchamps, représentante au Conseil sectoriel des RSG de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS) de la CSN et présidente du Syndicat des éducatrices en milieu familial de Portneuf, où elle opère toujours son service de garde.

« Nous sommes prêtes pour le 2 septembre! », lance-t-elle gaiement, tout juste sortie d’une rencontre au cours de laquelle ses membres venaient d’adopter le projet d’entente collective qu’elles entendent présenter au gouvernement. « C’est la troisième consultation en conseil sectoriel auprès de nos membres depuis l’automne dernier. »

L’aut’journal a suivi la dernière négociation de ces travailleuses, conclue en mars 2011, pour l’obtention d’une première entente collective. Au terme d’une longue bataille juridique pour la reconnaissance du droit à la négociation collective de leurs conditions de travail et au droit de se syndiquer (invalidation de la Loi 8 en 2008 par le jugement Grenier), tout était à négocier, à baliser.

Elles cherchaient alors à obtenir une plus juste rétribution pour les services dispensés, des congés, des vacances et surtout, des protections sociales. Ce à quoi s’ajoutait toute la question de la reconnaissance professionnelle et de l’expertise.

Rappelons que l’entente négociée devant se terminer au 30 novembre 2013 aura permis aux RSG de hausser leur rémunération globale de 45%, incluant les rétributions (subventions par enfant), les sommes destinées aux congés, aux vacances ainsi que pour des protections sociales.

« Ces améliorations sont considérables. Je parle pour mon syndicat, à Portneuf, où on a quand même 15% de RSG qui sont aussi des femmes monoparentales. Alors ce n’est pas rien », indique Mme Longchamps.

Elles sont un peu plus de 15 000 RSG reconnues au Québec. Si la grande majorité d’entre elles ont choisi de se syndiquer à la CSQ (13 600), près de 2 000 ont préféré se réunir au sein de la CSN. Pourquoi?

La réponse concerne surtout sur les structures de la CSN et la place qui a été faite aux RSG au sein de la FSSS au fil de cette lutte syndicale, notamment par la création d’un conseil sectoriel.

« Il y a la proximité avec les membres, le fait que l’on trace notre propre chemin et que la Fédération respecte ça. Il y a aussi tout le bagage de la CSN en matière de services de garde scolaire et en CPE qui nous nourrit et nous apporte beaucoup. »

Bref, c’est d’abord une question de vie et de culture syndicale.

Toujours est-il que le 2 septembre prochain, date à laquelle la loi prévoit que les parties pourront déposer leurs demandes, les deux organisations syndicales négocieront séparément avec le gouvernement, comme la dernière fois. Au final, les ententes sont à peu de choses près les mêmes sur les questions monétaires. « C’est sur l’articulation de certaines clauses normatives qui ça diffère un peu. »


Des constats similaires

Dans une entrevue accordée à l’aut’journal le mois dernier, la présidente de la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec (FIPEQ-CSQ), Sylvie Tonnelier, expliquait que les consultations menées auprès de leurs membres leur avaient permis de cibler certaines problématiques qui feraient certainement partie des négociations, dont la protection du statut de travailleuse autonome et de l'autonomie professionnelle, l'ajustement de la subvention ainsi que la formation et le perfectionnement.

À l’instar de la FIPEQ, Lucie Longchamp indique aussi que les revendications sur les questions à incidences monétaires ne seront pas divulguées pour le moment. « Mais c’est évident que ça fait partie des négociations, c’est leur salaire! »

Pour le reste, elle explique qu’après avoir vécu cette toute première convention collective pendant trois ans, certains irritants se font sentir, probablement « des deux côtés de la clôture ».

« Il y a par exemple toute la question des vacances et du fait qu’on doive prendre dix jours, dont cinq consécutifs, obligatoirement entre la St-Jean et la Fête du travail. C’est un irritant pour les RSG qui auraient parfois préféré les prendre ailleurs dans l’année et pour les parents qui ne peuvent pas toujours s’adapter dans cette période convoitée », ajoutant que certaines auraient préféré par exemple prendre de plus longues fins de semaine plutôt que de fermer complètement.

« Pour des travailleuses censées avoir un statut de travailleuses autonomes, ça manque de souplesse, de liberté, disons. On savait, dès la signature de la première entente que ce serait un irritant. Mais une première convention, c’est un bébé, ça doit évoluer. »

Cette question de l’autonomie refait inévitablement surface. À la CSN comme à la CSQ, on estime qu’elle doit s’accompagner des avantages qui y sont normalement reliés.

Une réalité qui se répercute dans toute la structure organisationnelle et, surtout, dans les liens de subordination. Il faut comprendre que les RSG sont des travailleuses autonomes liées par contrat avec le gouvernement.

Or, le gouvernement délègue la responsabilité de la coordination, de la gestion et de la surveillance aux 165 bureaux coordonnateurs répartis sur le territoire du Québec. À titre d’exécutants, ces bureaux ne sont pas partie dans l’entente et officiellement, il n’y a pas de lien de subordination. Pourtant, il existe bel et bien des problématiques reliées à cette structure organisationnelle imparfaite : visites de surveillance jugées abusives, zèle administratif, manque de souplesse.

« Il y a des problèmes, mais disons que c’est inégal sur le territoire. Ce que l’on souhaite, c’est surtout d’uniformiser les pratiques. Le gouvernement utilise l’argument de l’autonomie des bureaux coordonnateurs pour se défiler un peu du dossier, mais notre autonomie à nous, il en fait quoi? », questionne Lucie Longchamps.

Elle soutient que les problématiques sont ciblées. « Il y a des endroits où ils ne coopèrent vraiment pas. Le gouvernement le sait, les connait. On pense que le ministère pourrait s’imposer plus. Ce n’est pas verbalisé comme ça dans notre projet d’entente, mais ça fait assurément partie des préoccupations de nos membres et donc, des dossiers sur lesquels on travaille fort, dans les lieux prévus pour ça. »

Cette réalité conflictuelle est commune aux deux organisations syndicales, qui n’envisagent toutefois pas nécessairement le même chemin pour tenter de les résoudre. La CSN favorise la voie des travaux des comités ayant justement pour mandat de se pencher sur les différends entre les bureaux coordonnateurs et les RSG, alors que la CSQ compte mette la problématique sur la table de négociation.

L’autre point commun entre les revendications des deux organisations syndicales, c’est la question de la reconnaissance professionnelle. « Ne me parlez pas de gardiennes! », lance Mme Longchamps, un sourire en coin. L’expression est à proscrire auprès de celles qui ont lutté chaudement pour la reconnaissance de leur expertise. « On a réussi à instaurer une base à la dernière négociation, mais il reste du chemin à faire et une visibilité à développer. »

Sylvie Tonnelier expliquait en entrevue à quel point les crédits d’impôts pour les services de garde développés par le gouvernement précédant nuisent aux RSG, faisant en sorte que les parents amalgament les services de garde en milieu familial privés et les RSG, ces dernières étant pourtant soumises à des critères strictes en ce qui concerne le programme éducatif offert, les repas, la formation, la sécurité, etc.

La FIPEQ annonçait d’ailleurs en conférence de presse ce mardi que la reconnaissance professionnelle serait au cœur de ses revendications pour la prochaine négociation.

À la CSN, Lucie Longchamp insiste. « Nous ne sommes pas assises à rien faire. Les journées sont souvent occupées de 6hrs à 18hrs, il y a la préparation des repas, le programme pédagogique, les enfants avec des problématiques, le fait que nous sommes souvent le psy dans le cadre de porte, le ménage, etc. »

Elle confirme bien sentir que toute l’information ne passe pas auprès des parents, qui souvent n’arrivent pas à distinguer les différents types de services de garde. « Ils pensent que c’est la même chose. Je ne dénigre pas le travail des autres, mais nous n’avons pas les mêmes contraintes, la même expertise. En octroyant les crédits d’impôts, c’est un mauvais message qu’on envoie. Le gouvernement peut et doit faire plus pour promouvoir les RSG, surtout dans un contexte où il cherche à développer le réseau public de services de garde. »