L’après-Mégantic pour un virage écologique et public

2013/07/25 | Par Martin Lachapelle

Dans un monde non pas parfait mais simplement normal et cohérent, la catastrophe de Lac-Mégantic aurait due être de nature à servir d’alerte face aux dangers de notre dépendance au pétrole et de la négligente complaisance du gouvernement fédéral envers le secteur privé.

Mais nous ne sommes pas dans un monde normal quand, avant même que le brasier n’ait fini de consumer une cinquantaine de victimes innocentes et une partie de leur centre-ville, des voix s’élèvent pour ramener le débat à un niveau aussi fallacieux que pernicieux où l’après-Mégantic devrait apparemment se résumer à choisir entre deux catastrophes annoncées : le pétrole par train ou par pipeline ?  


Une cinquantaine de victimes. Une quarantaine de bâtiments brûlés. Au minimum 100 000 litres de pétrole de schiste brut déversés dans le lac Mégantic et la rivière Chaudière, sans parler du pétrole brûlé et déversé dans le sol, dans les égouts et les sous-sols. 5,7 millions de litres au total. Que de contamination et de pollution. Quel désastre. Quelle tristesse.

Une petite ville souillée et marquées à jamais. Au même titre que ses habitants endeuillés. Des sacrifiés. Des sacrifiées sur l’autel du néolibéralisme et son modèle économique dangereusement trop déréglementé depuis plus de 30 ans où la quête de profits d’une poignée d’hommes d’affaires, pourtant déjà riches à craquer, aura malheureusement toujours préséance sur les intérêts de la majorité et le respect de l’environnement.


Négligence fédérale sur l’insécurité ferroviaire : des problèmes connus depuis 1995

La fragilité des wagons DOT-111 était connue depuis 1995, soit depuis le déversement de 238 000 litres d’acide sulfurique, à Lac-aux-Sables, en Mauricie.

Quant aux problèmes de freinage, le Bureau de la sécurité des transports (BST) a pourtant déjà fait des recommandations en ce sens à Transports Canada, en 1996-1997, à la suite d’un déraillement de train survenu au nord de Sept-Iles.

L’enquête avait alors déploré des règles trop floues et arbitraires car le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada n’exige qu’« un nombre suffisant » de freins. Faites comme vous voulez, les gars, le tout est laissé à votre discrétion, peu importe le nombre de wagons, le contenu ou la dénivellation… Et vive l’autorégulation !

Malgré tous les signaux d’alarmes lancés depuis 1995 par le BST, ou encore par le Vérificateur, en 2011, libéraux et conservateurs se sont donc succédés à Ottawa en laissant les entreprises ferroviaires s’autoréguler, et en ignorant à maintes reprises plusieurs recommandations concernant l’installation de systèmes de freinage automatique, l’installation d’enregistreurs de voix et de vidéo, de même que l’obligation d’utiliser des wagons-citernes plus sécuritaires.

(Parlant d’ancien ministre libéral des Transports, avez-vous entendu le commentateur politique Jean Lapierre parler du Lac-Mégantic, ces jours-ci ? Étrangement silencieux le monsieur. Probablement trop occupé à réaliser un autre topo sur les lunettes de Pauline.)

Et le comble, c’est que les conservateurs de Harper ont même trouvé le moyen d’augmenter le transport de pétrole par train de 28 000 %, depuis 2009, en assouplissant davantage les règles au lieu de les renforcer ! Tellement brillant d’avoir coupé le dernier budget de Transports Canada de 30 % en permettant à MMA, en 2012, de rouler avec un seul conducteur et de laisser leur bombe ambulante, sans surveillance, sur une voie principale.

Avec les résultats que l’on sait : la tragédie de Lac-Mégantic aurait pu être évitée. Pas besoin d’attendre la fin de l’enquête du BST, des policiers ou de Sherlock Holmes pour savoir ça. Et le gouvernement du Canada est le premier à blâmer.

Rumeur d’hypothèse pour certains observateurs, qui excluent la thèse du vandalisme du train non surveillé : des zones plates auraient été observées sur quelques roues, ce qui signifieraient apparemment que celles-ci étaient bloquées et que l’ingénieur aurait bien appliqués les freins manuels, mais que ces derniers étaient probablement trop usés. Des freins usés à la corde ? On ne pourrait jamais s’attendre à ça d’une compagnie comme MMA. Surtout vu la qualité de son réseau qui tombe en morceaux.

(Tiens, aux dernières nouvelles, un autre train de MMA venait de déraper, à Farnham, moins de deux semaines après la tragédie. Mais n’allez surtout pas demander au fédéral de bouger ses grosses fesses pour suspendre le permis d’une compagnie dont la fiche est de seulement 129 accidents, 7 déversements, dont deux dans le dernier mois, et 77ème déraillement depuis 2003. Ça serait trop dangereux… pour l’économie.)

Et dire que le fédéral dépense une fortune en nous cassant les oreilles sur toutes les tribunes avec la propagande pro-pétrolière de son plan d’action économique sur « Le développement RESPONSABLE des ressources et de nos richesses naturelles : épine dorsale de notre économie. Nous PROTÉGEONS l’environnement… blablabla… en OBLIGEANT les entreprises qui exploitent les grands oléoducs à avoir la capacité nécessaire pour intervenir en cas d’incident et remédier aux dommages ».

N’importe quoi. Tu parles d’une fausse publicité. Bullshit totale. En attendant que Harper serre la vis aux compagnies ferroviaire qui transportent du pétrole, c’est quand même le municipal et le provincial qui payent pour les factures de nettoyage de MMA (et sa mini assurance de 25 millions), grâce au super développement IRRESPONSABLE des ressources par le fédéral.


Un remaniement ministériel qui fait jaser

Harper a remanié son cabinet en enlevant de l’influence au représentant conservateur local, le député de Mégantic / L’Érable, Christian Paradis, dégommé de son titre de lieutenant politique du Québec. Disons que ça peut toujours aider pour diminuer les attentes des Méganticois et permettre au député de la place de ne pas être tenu « trop » responsable si l’aide financière du fédéral n’est pas à la hauteur des aspirations de la population.

Harper a aussi eu la brillante idée de retirer le ministère des Transports à un des rares autres députés québécois, soit Denis Lebel, pour le confier à une unilingue anglophone de l’Ontario. La langue commune, c’est vrai que c’est tellement secondaire comme critère pour une nouvelle ministre fédérale d’un pays dont le gouvernement se bornait encore, plus de 2 semaines après la tragédie, à n’offrir qu’une aide… morale.

Mentionnons également que Lisa Raitt fut ministre des Ressources naturelles (Drill baby drill !) et ministre du Travail (lock-out baby lock-out et fired baby fired !), avant de devenir ministre des Transports.

Aussi bien dire tout de suite que le chien des écologistes et des adeptes de sécurité ferroviaire restera mort. Car mettons que Lisa n’a ni le parti ni le CV pour le ressusciter et répondre aux attentes de tous ceux qui espèrent que le fédéral mettra fin à l’autorégulation des compagnies ferroviaires, en réengageant massivement des inspecteurs et en imposant de VRAIES normes de sécurité. Ainsi que des voies de contournement, aux frais des compagnies et non des gouvernements.

En passant, Lisa Raitt, avant de faire le saut en politique, fut présidente, DG et conseillère juridique générale de l’administration portuaire de Toronto. (L’APT est une administration publique fédérale qui procure des services « de contrôles réglementaires pour améliorer la sûreté et l'efficience de la navigation maritime et de l'aviation dans le port et dans le havre de Toronto ».) Tiens tiens…

Ajoutez à cela que cette avocate de formation serait apparemment une spécialiste des litiges commerciaux et de la médiation dans le secteur du transport. Quelle coïncidence ! Bref, avec une telle feuille de route, MMA n’a pas trop à s’inquiéter de l’avocate conservatrice, car elle devrait bien les représenter. Et le juge Harper est vraiment clément. Mais bonne chance aux citoyens qui voudront poursuivre ce gouvernement négligent…


Les boucs émissaires et les immunisés


Pendant que la CSST empêche le secteur industriel de laisser une shop sous le contrôle d’un seul employé, l’irresponsable président de la compagnie MMA, Ed Burkhardt, a pu blâmer son SEUL opérateur autorisé en service, Tom Harding, en s’en lavant les mains.

Il a aussi blâmé les pompiers pour avoir éteint le moteur de sa bombe ambulante, même si les pompiers prétendent avoir simplement appliqué le protocole d’intervention de MMA. L’histoire ne dit pas si le président de cette compagnie merdique les a au moins remerciés d’avoir éteint le feu, en faisant seulement déjà une 4ème intervention en 8 ans. Méchant bon client.

Oui, Burkhardt mérite son bonnet d’âne et tout notre mépris pour sa négligence et son manque d’empathie. Et je ne parle même pas de sa très mauvaise gestion de crise. Mais le dicton dit que l’occasion fait le larron. Or, je rappelle que MMA n’aurait jamais eu l’occasion de faire autant de dégâts sans l’aide d’un gouvernement fédéral négligent.

En attendant, que dire du fait que MMA soit le principal bouc émissaire aux yeux de médias vendeurs de pétrole, comme Gesca, et de tous ceux qui marchent aussi sur des œufs pour éviter de critiquer l’industrie pétrolière ? Pratique. Très pratique pour éviter un débat écologique sur l’électrification des transports et la production puis la vente de véhicules écolos via une société d’État. (Surtout quand on sait qu’on pourrait déjà rouler sans pétrole depuis longtemps puisque les véhicules électriques datent de plus de 100 ans ! Hydro-Québec a même déjà inventé un moteur-roue.) À lire La Presse, on croirait que le train de la mort transportait du jus de raisin.

Parlant de jus de raisin, conservez votre contenant en plastique après l’avoir rincé et séché et, avant de le recycler, essayez de l’utiliser pour acheter ne serais-ce qu’une seule goutte d’essence dans une station-service. Quoi ? C’est interdit ? On ne peut pas transporter de l’essence dans un contenant non sécuritaire ? Dans ce cas, faudrait peut-être informer les compagnies pétrolières qui utilisent un réseau ferroviaire délabré pour transporter leurs  « petits » millions de litres de pétrole dans des vieux wagons rouillés aussi solides que du carton…