Des contrats sans appel d’offres à Proaction

2013/08/21 | Par Maude Messier

Il y a bel et bien eu des lacunes dans l’attribution des contrats d’optimisation par certains CSSS de la région de Montréal au cours des deux dernières années. C’est ce que révèle le rapport sur l’application des règles d’octroi des contrats d’optimisation rendu public mardi matin par le ministre de la Santé et des Services sociaux, Réjean Hébert.

Les auteurs du rapport indiquent que huit des dix contrats octroyés à la firme Proaction examinés ne respectent pas l’esprit et les principes de la Loi sur les contrats des organismes publics.

Cinq contrats de plus 100 000 $ (pour un total de 2 177 095 $) ont été octroyés de gré à gré alors qu’ils auraient dû faire l’objet d’un appel d’offres public tel que le prévoit la Loi sur les contrats des organismes publics. Aucun de ces contrats n’a par ailleurs été publié dans le système électronique d’appel d’offres (SEAO) tel que requis.

Le rapport relève aussi que Proaction avait exécuté des travaux préliminaires et des analyses gratuitement avant même le lancement des appels d’offres, permettant à la firme d’avoir un accès privilégié à des renseignements et la plaçant dans une position avantageuse par rapport à ses concurrents, ce qui est évidemment contraire au principe d’équité.

Ce fut le cas pour les contrats attribués par les CSSS Bordeaux-Cartierville-Saint-Laurent, Ahuntsic-Montréal-Nord et Jeanne-Mance. Une situation qui s’est aussi présentée pour des contrats octroyés de gré à gré aux CSSS Cavendish, Pointe-de-L’Île et Sud-Ouest-Verdun.


Un rapport qui évite l’essentiel

Dans le dossier de Proaction, les procédures d’octroi des contrats ont été vertement dénoncées par les syndicats de même que les méthodes d’optimisation préconisées par la firme qui mettent en périls la qualité des soins au profit des gains de productivité selon les organisations syndicales (Ici et ici ).

Le rapport indique d’ailleurs que les directions des CSSS visés se sont dites contraintes par la pression exercée pour résorber les déficits et par les exigences de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal de réaliser des projets d’optimisation en ce sens.

Proaction offrait, souvent sans frais, une analyse préliminaire et chiffrait des économies réalisables à court terme. Accompagnée d’une garantie de remboursement, l’offre de Proaction représentait alors un risque financier nul pour les établissements et une solution à la portée de la main.

L’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) et la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN (FSSS) ont multiplié les manifestations, les déclarations publiques et même déposé une pétition à l’Assemblée nationale, réclamant des actions concrètes de la part du ministre de la Santé.

« Nous avons toujours dit que les millions qui ont été consentis à Proaction auraient dû aller à l'embauche d'ergothérapeutes, de physiothérapeutes, de travailleuses sociales, de nutritionnistes, d'intervenants sociaux, entre autres. En période de compressions, il est insensé d'avoir jeté autant de millions par les fenêtres pour une firme qui ne connait rien au réseau de la santé », a déclaré, mardi, la présidente de l’APTS, Carolle Dubé.

Le ministre Hébert a annoncé qu’il donnerait suite aux recommandations du rapport. « (…) Nous nous assurerons que les recommandations formulées dans le rapport soient appliquées à la lettre et de manière à ce que de telles situations ne se reproduisent plus. Les présidents des conseils d'administration de même que les directeurs généraux des CSSS visés ont déjà tous reçu une copie du rapport et ont été dûment informés des nouvelles mesures mises de l'avant », a-t-il déclaré par voie de communiqué.

De nouvelles responsabilités seront notamment attribuées aux vérificateurs externes pour s'assurer que les contrats octroyés de gré à gré fassent l'objet d'une reddition de comptes conforme. Les conseils d'administration seront aussi tenus de passer annuellement en revue l'ensemble des contrats octroyés par leur établissement et le Secrétariat du Conseil du trésor assurera une surveillance plus étroite quant à la conformité des contrats publiés dans le système électronique d'appel d'offres (SEAO), tant pour les contrats de gré à gré que pour ceux faisant l'objet d'appel d'offres.

L'APTS regrette toutefois que le rapport ne s’en tienne qu’au mode d'attribution des contrats. « Nous invitons, dès maintenant, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Réjean Hébert, à réfléchir sur les effets pervers de l'obsession du rendement statistique. Nos membres sont épuisés et croulent sous la paperasse, ce qui les éloigne de leur mission première : servir la population.»

Un constat partagé par la vice-présidente de la FIQ, Sylvie Savard, qui le juge insuffisant. « Le rapport confirme nos appréhensions, mais ce n’est que la pointe de l’iceberg. Pour nous, ce rapport ne se penche pas sur l’essentiel. »

Mme Savard explique que la présence de Proaction dans les établissements pose des problèmes beaucoup plus profonds quant à la qualité et la dispensation des soins, la déshumanisation des actes et la remise en question du jugement professionnel.

« La méthode Proaction qui prône, entre autres le minutage des activités dans les soins à domicile, ne permet pas une certaine souplesse de la part des professionnelles, pourtant nécessaire à la dispensation de soins particulièrement auprès de personnes à mobilité réduite, âgées ou handicapées »

Tant à l’APTS qu’à la FIQ, des consultations sont en cours pour documenter les problématiques liées aux méthodes de Proaction sur le terrain. Des rapports doivent être déposés cet automne.


Proaction Groupe Conseils Inc. a obtenu des contrats de services professionnels avec dix-huit établissements de santé et de services sociaux totalisant 9,8 millions $ à l’échelle du Québec.

Dans la région de Montréal, la firme a des contrats avec neuf CSSS pour un total de 5,3 millions $.



Crédit photo : Jacques Nadeau, ledevoir.com