La Charte des valeurs : une avancée majeure vers la laïcité

2013/09/18 | Par Libres penseurs athées

Libres penseurs athées (LPA), association qui prône la laïcité et la défense des droits des athées, appuie le projet du gouvernement du Québec d'adopter une Charte, dite de « valeurs québécoises » qui entérinera le statut laïque de l'État québécois. Nous avons pris connaissance des orientations de ce projet sur le site web www.nosvaleurs.gouv.qc.ca qui y est dédié.

Cette Charte déclare formellement la séparation des religions et de l’État, la neutralité religieuse de l’État et le caractère laïque de ses institutions ; impose un devoir de réserve et de neutralité religieuse pour le personnel de l’État en service ; proscrit les symboles religieux ostentatoires dans le service public ; et établit des balises pour encadrer les accommodements dits « raisonnables ». De plus, elle rend obligatoire le visage découvert pour la clientèle des services publics. Toutes ces mesures vont dans le sens de formaliser la nature laïque de l'État et d'assurer l'indépendance et l'autonomie de cet État par rapport aux religions. On ne peut que s'en réjouir.

Toutefois, comme la plupart des gens qui appuient cette Charte, nous le faisons avec certaines réserves. Premièrement, son titre « Charte des valeurs québécoises » est très mal choisi. C'est une charte de la laïcité qu'il nous faut, une charte qui exprime des valeurs à vocation universelle et humaine, les valeurs des Lumières.

Deuxièmement, il n'est pas prévu d'enlever le grand crucifix accroché au mur de l'Assemblée nationale. Cet objet y a été installé en 1936 par le gouvernement Duplessis de l'époque pour entériner son alliance avec l'Église catholique. Si ce crucifix représente une « valeur québécoise », c'est la pire valeur envisageable dans ce contexte. La présence de ce crucifix dans la plus importante enceinte de l'État québécois est une atteinte flagrante à la laïcité, un flagrant symbole de la non-laïcité ! La Charte devrait stipuler son renvoi – dans un musée par exemple. Le laisser où il se trouve actuellement serait totalement incohérent et exposerait les auteurs du projet à des accusations d'hypocrisie. Toutefois, il est important de se rappeler que le maintien du crucifix dans l'Assemblée nationale n'est pas explicité dans la Charte proposée. Au fait, ce crucifix n'y est même pas mentionné.

Troisièmement, l'intention d'interdire le port de symboles religieux par les employés d'État dans l’exercice de leurs fonctions a été présentée de façon maladroite. Il est prévu d'insérer dans la Charte des droits et libertés les exigences d'un éventuel code vestimentaire des fonctionnaires. Mais cette Charte en tant que document quasi-constitutionnel ne devrait contenir que le devoir de réserve – c'est-à-dire le principe de neutralité de la fonction publique face aux religions – et établir un mécanisme pour la mise en œuvre de ce principe. Le code vestimentaire et les autres aspects de la conduite des fonctionnaires relèvent de l’application de la Charte des droits et libertés et ne devrait pas y figurer. Ainsi, les détails et l'étalement dans le temps de cette application resteraient ouverts aux débats démocratiques.

Le projet de Charte ayant été rendu public depuis une semaine à peine, nous continuons à l'étudier. D'autres aspects du projet mériteraient une lecture critique. D'ailleurs, une charte laïque complète comporterait plusieurs dispositions non mentionnées dans le projet annoncé – comme par exemple couper les fonds publics accordés aux écoles privées religieuses ; interdire la prière lors des séances municipales ; interdire les salles de prière dans les édifices publics ; mettre fin aux accommodements religieux consentis aux abattoirs rituels ; interdire toute mutilation du corps humain sans raison médicale et sans le consentement de l'intéressé ou l'intéressée adulte ; retirer le programme Éthique et culture religieuse des écoles publiques; retirer les avantages fiscaux accordés aux institutions religieuses et aux religieux. Ces éléments représentent des lacunes à corriger.

L'association Libres penseurs athées félicite le gouvernement pour son courage. Nous constatons qu'il n'est pas responsable des abus démagogiques et des dérives politiques de l'opposition débridée qui s'est élevée contre ce projet de laïcisation de l'État, même s'ils étaient facilement prévisibles. Ce projet n'est pas une manœuvre identitaire. Les accusations d'intolérance, de xénophobie et parfois même de racisme sont d'une malhonnêteté extrême, voire diffamatoires. Toutefois, le gouvernement aurait pu éviter le pire et minimiser les dégâts en écartant toute mesure servant de prétexte aux opposants. S'il est nécessaire d'exclure les symboles religieux afin d'assurer non seulement la neutralité religieuse de l'État mais aussi la perception de cette neutralité, alors, de la même manière, il faut non seulement éviter les dérives identitaires, mais également prévenir toute perception de telles dérives. Si le projet prévoyait d'enlever le crucifix de l'Assemblée nationale, si son titre avait une portée plus universelle, s'il essayait de mieux gérer l'élimination progressive des symboles religieux de la fonction publique, alors la vacuité intellectuelle de l'opposition au projet aurait été plus évidente et celle-ci aurait été grandement désamorcée.

Malgré nos réserves, nous appuyons ce projet. Cette nouvelle charte pourrait servir de modèle ailleurs, dans toute province et juridiction canadienne, tout en l'adaptant à ses conditions particulières et à condition bien sûr de l'améliorer – en particulier en évitant les défauts que nous venons de signaler.

En tant qu'athées, nous attachons du prix à la liberté de religion, car les athées et les apostats sont très souvent parmi les premières victimes lorsque cette liberté est bafouée. Nous savons que la liberté de religion est incomplète, voire creuse, si celle-ci n'inclut pas le droit de pouvoir se libérer de la religion. Voilà donc l'importance de la laïcité non seulement pour nous les athées mais également pour les croyants : des institutions publiques, c'est-à-dire d'État, indépendantes de toute religion, et simultanément une totale liberté de pratiquer la religion de son choix, ou de n'en pratiquer aucune, en privé ainsi qu'en public en dehors de ces institutions.