Pour notre élite : les États-Unis, un modèle à géométrie variable

2013/10/24 | Par Léo-Paul Lauzon


Les États-Unis étant la plus grande puissance économique mondiale – avec un très gros produit intérieur brut (PIB) par habitant – et notre principal partenaire économique (je dirais même notre maître économique avec une énorme mainmise juridique sur nos entreprises), tout en étant un concurrent commercial, il est tout à fait normal que le patronat québécois et ses sbires prennent souvent ce pays comme modèle dans l’énoncé des politiques économiques, fiscales et sociales.

Les États-Unis, avec un gros PIB, détenu toutefois par le 1% des plus riches, est cependant le plus inégalitaire des pays industrialisés. À quoi, ça sert de viser le plus gros PIB possible, s’il est accaparé par une minorité, et que les politiques ne redistribuent pas adéquatement la richesse?

Au Québec, pour faire très peur au monde, il n’y a pas mieux que de brandir le spectre de notre grosse dette publique, quoique pas si grosse que ça, selon les agences de notation américaines Moody’s et Standard & Poors.

Mais, pour anesthésier les gens et les amener à accepter sans rechigner des coupures dans leurs services sociaux, il n’y a pas mieux que le très émérite économiste universitaire Pierre Fortin, qui a toujours les mêmes idées que le Québec Inc., ce qui en fait un préposé très prisé et adulé, par les médias et les élus.

Monsieur Fortin a déjà dit très sérieusement, que le Québec était assis sur une «bombe atomique», à cause du niveau de notre dette publique, que nous étions sur le «bord du précipice». Rien de moins! J’ai très peur pour les générations futures.

Le spécialiste du concoctage de données économiques «home made», et très tordues, en arrive, à l’encontre des faits élémentaires, à conclure que la classe moyenne se porte à merveille, que le Québec est un endroit quasi-égalitaire, où il n’ a pas beaucoup d’écart entre les riches et les pauvres, qu’il serait opportun de baisser les impôts des compagnies (même si, selon KPMG, les principales villes du Québec, comme Montréal et Québec, sont parmi les moins imposées en Occident, en incluant, oh que oui, les taxes sur la masse salariale).

Fortin affirme que le Québec jouit d’une fiscalité progressiste, même si elle l’est moins qu’aux États-Unis, qui ont six paliers d’imposition contre quatre au Québec, qui ont deux à trois fois moins de taxes de vente, et qui ont de lourds impôts successoraux.

Mais, vous le savez bien mes amis, quand vous arrimez vos idées sur le patronat, vous devenez du coup novateur, audacieux, visionnaire et lucide. Et les médias et les politiciens vous aiment. Je dirais même qu’ils vous adorent.

Monsieur Fortin, que dire de la dette abyssale des États-Unis et du Japon? Ça, on tient ça mort! Comme on trouve qu’il ne serait pas bon de copier les States en éliminant, au fédéral, la taxe de vente et en abaissant celle du Québec, ou encore en augmentant drastiquement l’impôt des compagnies au même niveau que celui des States, ou en réintroduisant, comme chez nos voisins du sud, les impôts successoraux.

Jamais, au Québec, on entend des politiciens parler d’inégalités économiques entre les riches et les pauvres, de l’appauvrissement constant de la classe moyenne, de la nécessité de hausser les impôts des riches et des compagnies, tout en charcutant leurs démoniaques abris fiscaux.

Même si le Québec est aussi riche que la vaste majorité des pays européens, nos élus corrompus, et forcément complices, continuent à vous répéter sans cesse cette affligeante énormité, qu’il faut créer la richesse avant de la partager. C’est un prétexte minable pour continuer à baisser les impôts des compagnies et des nantis, et les inonder de subventions publiques, afin de créer supposément et faussement de la richesse.

Quand on est rendu à constater que de nombreux élus américains prêchent et adoptent des politiques fiscales «interdites» par les notables qui dirigent le Québec… Et dire que les timbrés continuent à clamer que le Québec est dirigé par de dangereux socialistes, qui contrôlent aussi les médias d’information, et qui vont nous mener au communisme!

Prenons, mes amis, quelques exemples récents de 2013. Comme l’élection, la semaine dernière, lors de la primaire démocrate, de Bill de Blasio, qui est largement favori pour gagner les prochaines élections à New York. Eh bien, monsieur de Blasio a déclaré que «près de la moitié des citoyens de New York vivent autour du seuil de la pauvreté. Les progressistes du pays peuvent se réjouir du fait que le message économique de gauche s’est révélé payant pour moi… et enfin qu’il va falloir hausser les impôts des riches» (16 septembre 2013). Avez-vous entendu nos inféodés Couillard, Legault et Marois tenir un discours semblable? Jamais dans cent ans.

Et puis, nul autre que le président Barack Obama a déclaré, au mois de juillet 2013 qu’« avant et après la crise financière de 2007, la classe moyenne a subi une érosion de son pouvoir d’achat, tout en déplorant que le 1% des plus riches a quasiment monopolisé les augmentations de la richesse avant la crise, et au cours des 10 dernières années» (25 juillet 2013). Monsieur Obama «demande une nouvelle hausse de la fiscalité des plus riches».

Au Québec, faut surtout pas suggérer de hausser les impôts des riches et des compagnies, et de baisser ceux de la classe moyenne, sinon on risque de se faire lyncher vivant, drette-là, sur la place publique, par des gens comme le commis junior du monde des affaires, René Vézina, du journal Les Affaires et de 98,5 FM, qui accusent ces hérétiques (Obama, de Blasio et cie) de se lancer à la «chasse aux riches». Petit innocent va! Pour rester poli, je me retiens de livrer le fond de ma pensée.

Enfin, que dire du gouverneur de la Californie, le plus important État américain à tous les points de vue, Jerry Brown, qui a augmenté significativement l’impôt des riches, et qui, de ce fait, a éliminé le déficit de l’État de 27 milliards de dollars (Business Week, 29 avril 2013).

Monsieur Brown n’a pas, comme le recommandent notre Québec Inc. d’amour, et ses éminents universitaires Pierre Fortin et Luc Godbout, diminué l’impôt des compagnies et augmenter la taxe de vente. Oh que non, leur en déplaise, il a haussé l’impôt des grosses pointures, ce qui fait que, contrairement à ce qui est véhiculé par les patroneux et leurs mascottes, la Californie est devenu un autre État américain, où les impôts des particuliers sont plus élevés qu’au Québec, lorsque l’on inclut, comme il se doit, les impôts sur le revenu, sur la richesse et successoraux. Et ne parlons pas des impôts des compagnies, qui sont, au moins, deux fois plus élevés aux States.

Même le très conservateur premier ministre de la Grande-Bretagne, David Cameron, a osé dire, oh sacrilège : «Faites votre juste part. David Cameron veut mobiliser le G8 dans la chasse aux grandes entreprises qui éludent l’impôt» (Le Devoir, 25 janvier 2013).

Au Québec, nos députés domestiqués ne disent jamais de gros mots méchants à l’endroit de leurs maîtres, ces supposés créateurs de richesse, et n’oseraient jamais, au grand jamais, prononcer des paroles, comme celles du président français François Hollande : «Si nous vouloir avoir la maîtrise de nos finances publiques, la méthode la plus simple c’est de faire payer l’impôt par ceux qui s’y refusent, s’y soustraient» (Le Journal de Montréal, 19 juin 2013).