Lock-out chez Kronos Canada

2013/11/13 | Par Maude Messier


Aujourd’hui, 13 novembre, marquait un cinquième mois de lock-out pour les 320 travailleurs de l’usine Kronos Canada à Varennes, filiale de la multinationale Kronos Worldwide, une entreprise spécialisée dans la production de dioxyde de titane, un élément utilisé dans les pigments de peinture.

En entrevue à l’aut’journal, le vice-président du Syndicat national des employés de Kronos (CSN), François Morin, indique que les parties en sont à la 29e rencontre de négociation, dont 21 en processus de conciliation. « Les parties se parlent toujours. Ça avance à très petits pas, mais des rencontres sont convoquées. »

Un blitz de négociation avec des dirigeants de l’entreprise en provenance du siège social de Dallas est d’ailleurs prévu à compter d’aujourd’hui, à Montréal. « On sait quand ça commence, mais on ne sait pas quand ni comment ça se terminera. »

Rappelons que les négociations ont débuté le 18 mai dernier. La partie patronale a déposé une offre qualifiée de globale et finale dans la nuit du 12 au 13 juin, offre que les syndiqués ont refusée dans une proportion de 93,5%.

La direction a répondu en décrétant un lock-out à l’usine de Varennes le même soir. Or, la convention collective des employés arrivait à échéance seulement deux jours plus tard, soit le 15 juin 2013.

Pour la CSN et le syndicat local, il s’agit d’un conflit de travail illégal et des procédures judiciaires sont en cours. « Vous comprendrez qu’on ne commentera pas davantage sur ce point. Mais je peux vous dire que l’employeur fait tout pour extensionner les délais. » La prochaine date de représentation dans le dossier n’est prévue qu’en janvier prochain.

Pendant le conflit, la production à l’usine de Varennes est assurée par le travail des cadres, accompagnés par des gardiens de sécurité. De nombreuses injonctions limitent aussi les rassemblements près de l'usine et le piquetage.

Une campagne IndustriALL

S’il semble toujours possible qu’une entente survienne avant les Fêtes selon M. Morin, le syndicat prépare tout de même la suite des choses.

Dans le but de « mettre de la pression pour forcer l’entreprise à négocier dans le respect et de bonne foi », explique-t-il, la Fédération de l’industrie manufacturière (FIM) a développé des alliances avec d’autres syndicats de Kronos Worldwide, dont la Fédération générale du travail de Belgique, la Confédération des syndicats chrétiens de Belgique et la Mining, Chemical and Energy Industrial Union en Allemagne.

Au support moral s’ajoutent aussi des actions de visibilité, dont deux heures de grève, le 13 décembre prochain, dans une installation minière et une usine de Kronos Worldwide en Norvège, où travaillent plus de 450 salariés.

Un appui financier ainsi que des actions de visibilité dans une usine de la Louisiane viennent aussi d’être confirmés.

Les lock-outés bénéficient de l’appui de IndustriALL global Union, qui regroupe 50 millions de travailleurs dans les secteurs minier, de l'énergie et de la manufacture dans 140 pays.

Un support financier à même les rangs de la CSN, en provenance des différents syndicats affiliés, leur est aussi offert. Les membres du Syndicat des Ouvriers du Fer et Titane ont d’ailleurs adopté à l’unanimité, le 29 octobre dernier, une proposition qui haussera de 1000 $ à 5000 $ par mois leurs contributions, assorties d'un montant de 5 $ par paie prélevé à chacun des 1100 salariés, pour une aide globale mensuelle d'environ 28 000 $.

Une manifestation est également prévue le 14 décembre prochain dans les rues de Varennes à laquelle participeront les lock-outés, leurs familles ainsi que des syndiqués « de tous les milieux et de toutes les allégeances syndicales », indique-t-on à la CSN.

Le « core business »

« À ce stade-ci, on a fait beaucoup de chemin pour libérer nos demandes syndicales. Il n’est question que des demandes de l’employeur. De notre côté, pour sauver des acquis, on serait prêts à une entente sur le statu quo », indique François Morin, spécifiant que la priorité demeure une entente négociée.

La question salariale n’est pas au cœur du litige, lequel porte plutôt sur la modification du régime de retraite, le recours accru à la sous-traitance et les limitations à la portée de l’accréditation syndicale.

En ce qui concerne le régime de retraite à prestations déterminées, l’employeur souhaite notamment en fermer l’accès aux nouveaux employés, qui bénéficieront plutôt d’un régime à cotisations déterminées. « L’employeur veut aussi mettre fin à la couverture des assurances collectives aux retraités actuels et futurs », ajoute M. Morin.

Mais c’est surtout le fait que l’entreprise souhaite centrer ses opérations essentiellement autour de sa production, le « core business », et reléguer le reste à la sous-traitance qui fait bondir le syndicat. François Morin soutient que ça pourrait représenter des pertes d’emplois allant jusqu’au tiers des emplois actuels.

« Et ce n’est pas seulement la maintenance, toutes les sphères sont touchées. L’employeur veut revoir la clause de la convention collective qui balise la sous-traitance. Il veut la discrétion totale et entière pour traiter quels postes et combien de postes seront envoyés en sous-traitance. »

Pertes directes d’emplois syndiqués, diminution des conditions de travail pour ces employés et création d’une seconde classe d’employés non syndiqués sont anticipées. Sans compter que l’employeur réclamait initialement une limitation importante des libérations syndicales. François Morin soutient qu’une des demandes sur la table vise à exclure cinq postes de l’accréditation pour en faire des postes cadres.

« Il n’y a rien, pour nous, qui justifie ce changement. Le problème, c’est que cette demande, jumelée à la sous-traitance, vient sabrer sérieusement dans notre rapport de force et donc, éventuellement, dans les négociations futures de nos conditions de travail. »

Négociations qui piétinent, conciliation qui s’éternise, conflit de travail illégal, accumulation d’injonctions et de délais de procédures, le syndicat voit dans les pratiques de Kronos intransigeance, provocation et atteinte à la liberté de négociation. À la lumière des appuis qui se multiplient à la faveur des lock-outés de Varennes, ils ne sont visiblement pas les seuls.