La situation dans les prisons canadiennes

2013/11/19 | Par Mohamed Lotfi


La situation des prisons canadiennes est préoccupante. Alors que le taux de criminalité baisse, la population carcérale ne cesse d’augmenter. Les fermetures de plusieurs prisons et la réduction massive des libérations conditionnelles a entrainé la surpopulation. Plusieurs prisons ou les cellules étaient individuelles ne le sont plus. Il est donc normal que ces conditions favorisent une certaine tension, une certaine violence.

Face à cette réalité, l’émission « Enquête » a opté pour un traitement particulièrement sensationnaliste en s’arrêtant sur les dérapages de quelques gardiens. Le citoyen qui ignore tout de la chose carcérale retiendra que de cette émission spéciale (images et plusieurs reconstitutions à l’appui) que dans nos prisons les gardiens sont méchants et que les détenus sont des victimes impuissantes.  Je me méfie de toute enquête qui sépare le monde entre d’un côté des bons et de l’autre, des méchants.

« Enquête » avait l’occasion de faire un portrait beaucoup plus global et plus nuancé sur la situation des prisons au Québec et en Ontario sans laisser la forte impression que les gardiens seraient les seuls responsables de ce qui va mal en dedans..  La majorité des gardiens qui font très bien leur travail se trouvent entachés par cette caricature sous forme d’enquête.

Une enquête vraiment sérieuse nous aurait appris, par exemple, que les conditions de vie des détenus, affectent nécessairement les conditions de travail des gardiens. On aurait surtout appris que la prison est un choix de société. Quelle que soit la situation d’une prison, cela demeure le résultat de notre propre choix de société.

Une société qui ignore ses prisons, ignore une part d’elle même.
Une société qui regarde les prisonniers ou les gardiens comme des extraterrestres vit dans le déni.

Voici deux textes que j’ai publiés en 2003 et en 2005. C’est ma réplique à l’émission « Enquête »:

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Punir ou guérir..?

Une émeute éclate, les médias accourent. On en parle beaucoup. La prison et ses prisonniers existent soudain. Entre deux émeutes, il se passe des années, durant ce temps la prison et ses prisonniers n’existent pas. Quand ça n’éclate pas, ça n’explose pas, ça n’existe pas..! Seule une émeute, un suicide, une surpopulation, un dérapage ou une guerre de gangs rappellent l’existence d’une prison. Évidement une émeute, c’est encore plus frappant pour envahir les nouvelles à toute heure de la journée, durant quelques jours.

Et si par hasard, une des causes de l’émeute, de la crise, de la tension, de la violence, du dérapage, était cette inattention chronique que nous pratiquons à l’égard de la prison..?

Par définition, la prison est un foyer de tension, toutes sortes de tensions. Celles des prévenus, des détenus, des gardiens et tous ceux qui se trouvent à l’intérieur des murs, que ce soit pour garder ou être gardé. Tous ne réagissent pas à cette tension de la même façon ni avec la même vulnérabilité.

Évidemment, les différentes activités et programmes aident beaucoup à faire baisser les tensions, mais jamais complètement. Malgré tout le contrôle qu’on exerce pour canaliser les tensions, le volcan est imprévisible parce que personne ne peut contrôler ce qui se passe dans la tête d’un homme entouré de murs.

L’espace de liberté qui reste pour un prisonnier est dans sa tête. C’est peu et c’est beaucoup, cela dépend de sa capacité de profiter de tout ce qui peut donner sens à ce reste de liberté. Cela dépend aussi du degré d’encouragement et de promotion qu’on exerce à l’égard des activités et programmes pour qu’ils profitent aux maximums de détenus.

Il est possible pour un prisonnier en prison d’exister autrement que dans son statut de détenu. Il est possible aussi pour un gardien d’exister autrement que dans son rôle de surveillant. Un gardien qui aide un détenu à choisir l’activité qui convient à ses besoins n’est plus seulement et uniquement un gardien. La relation d’aide entre gardiens et gardés non seulement ça canalise les tensions en prison, cela pourrait faire aboutir le prisonnier vers un aller simple pour la société. C’est ce qu’on appelle la réinsertion sociale.

Mais l’attention du gardien vers le prisonnier et toutes les activités qu’on lui offre ne peuvent suffire si la société reste indifférente au sort du détenu. Si on accordait aux détenus le dixième de l’attention qu’on lui accordait aux déroulements des procès aux palais de justice, ça serait déjà mieux. Une fois jugée et sentencée, une fois passée de l’autre côté des murs de la prison, la personne contrevenante ne nous intéresse plus. Elle n’a plus rien à dire. Elle est bonne à punir. L’oublie est la pire des punitions.

C’est moins par bonté ou par charité qu’on devrait accorder davantage d’attention aux prisonniers que par intérêt social et économique. Ce qui nous coûte dramatiquement plus cher qu’une émeute à tous les dix ans, c’est le taux de récidive des prisonniers évalué entre 55 % et 60 %. Ce qui nous coûte cher aussi ce sont nos préjugés sur la prison qui causent des dommages insoupçonnés. Nos préjugés sont les véritables murs qui nous séparent de l’univers carcéral.

La perception que la majorité des médias, particulièrement la télé, donnent de la prison et des prisonniers, a elle seule, me paraît plus dangereuse que bien des émeutes.    « Avons-nous perdu le contrôle sur nos prisons ? ».   C’est suite à un reportage de Dimanche Magazine, la prestigieuse émission de Canada Canada, que cette question a été posée aux auditeurs. J’aurais préféré entendre  « Connaissons-nous assez nos prisons pour comprendre ce qui est arrivé à la dernière émeute ? ».   Cette question suppose que ça va mal dans toutes les prisons du Québec. Une information non équilibrée est une fausse information. Un journaliste qui se contente de ses préjugés pour faire un reportage sur une émeute, une tension, une violence ou un dérapage en prison, perpétue l’image d’une prison synonyme de mal. Barricade, bagarre, feu, casse, gangs, drogue, des mots qui croustillent et réconfortent les préjugés.

Alors qu’il y a tellement d’autre chose qui se passe entre deux émeutes. Tellement de chose à dire sur la prison qui peut faire oublier même son nom. Nous sommes plusieurs à travailler avec des prisonniers dans le sens de l’épanouissement et de l’ouverture sur la communauté. Dans chaque prison il y a une vraie école avec des vrais profs, des vrais cours scolaires, de musique, d’art plastique, d’informatique, de croissance personnelle et une grande bibliothèque. Cet aspect de la prison n’est presque jamais couvert dans les médias ou à peine mentionné. L’attention dont les prisonniers ont besoin passe aussi par la valorisation collective de leurs activités occupationnelles, culturelles et scolaires. La tension d’une prison, bien canalisée, provoque aussi des trésors de réflexions et de poésie.

À tous les jours, des émeutes de mots en prison éclatent en rap, des mots explosent en vers et en proses, frappent, assiègent, dérapent, étonnent, détonnent, des mots écrits et criés, confiés, des mots colères, des mots repentir, des mots qui font du bien, des mots qui ne demandent qu’à être entendus. Une autre façon de payer sa dette à la société, c’est d’y revenir un peu moins révolté, moins frustré, moins délinquant, moins criminel et pourquoi pas plus épanoui. http://www.souverains.qc.ca/vie.html

Tous les détenus ne sont que de passage en prison, mais beaucoup multiplient leur passage. Pourquoi..? Le concept d’une prison dont la seule vocation est de faire payer aux criminels leur dette à la société ne tient plus.

Le système correctionnel au Québec encourageant l’ouverture des personnes incarcérées à la communauté. C’est à mon avis la meilleure façon de rendre la prison plus humaine et moins dangereuse pour la société que les criminels qui se trouvent en dedans.

En faisant le choix de la réhabilitation, le Québec fait déjà beaucoup mieux que le reste du Canada. Il pourrait faire encore mieux en suivant le modèle suédois ou le modèle norvégien qui ont fait un choix révolutionnaire. De plus en plus, leurs détenus passent leur sentence en milieu ouvert avec des résultats spectaculaires en matière de réinsertion. Depuis 2004, en Suède, le nombre des détenus diminue de 1% chaque année. Les réformes pénales privilégient les peines probatoires et la réinsertion effective des délinquants.

La prison nous appartient et nous sommes les premiers responsables de ce qui lui arrive. À nous de choisir clairement.

Une prison pour punir ou pour guérir ?

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Ce dont personne ne parle!

Pourquoi des détenus sont-ils libérés avant la fin de leur sentence? C’est une question légitime, mais pour une société qui a choisi l’option de la réhabilitation de ses criminels, je poserais plutôt d’autres questions.

Que fait-on avec un détenu pendant son passage en prison? Peu importe qu’il soit libéré au sixième, au tiers ou aux deux tiers de sa sentence, que se passe-t-il entre son entrée et sa sortie? Un détenu jugé dangereux, libéré au terme de sa sentence, devient-il soudainement moins dangereux?

L’objectif des libérations conditionnelles et des sorties temporaires est de permettre à la personne incarcérée de faire une transition entre la prison et la communauté. Si parfois les libérations conditionnelles ont été utilisées pour libérer des cellules, cela ne devrait pas remettre en question la raison d’être d’un tel progrès de notre système correctionnel. C’est fondamentalement sur ce point qu’il se distingue d’autres systèmes correctionnels ailleurs dans le monde.


Libérations et réinsertion

À l’émission Tout le monde en parle, vous ne verrez jamais un détenu dont la libération conditionnelle a contribué à sa réhabilitation parce que, justement, personne n’en parle. Mais à y entendre Yves Thériault, auteur du livre Tout le monde dehors, on croirait que tous les détenus sont des prédateurs sexuels et que la prison, telle une machine, fabrique et garantit la réhabilitation uniquement quand un détenu est libéré au terme de sa sentence!

Puisqu’il a écrit un livre sur le sujet, M. Thériault doit savoir que des études prouvent le contraire. Les libérations conditionnelles contribuent à la réinsertion parce qu’elles permettent un encadrement et donc un retour graduel à la société. M. Thériault sait sûrement aussi que les prédateurs sexuels ne sont pas acceptés ni tolérés par la population carcérale. Un pédophile n’aimerait pas goûter à leur justice. Pourquoi confondre les uns avec les autres?

Paul Valéry a écrit: «La politique, c’est l’art de se servir des gens», mais nul besoin d’être politicien pour exploiter l’ignorance. Il suffit d’écrire un livre et de lui donner un titre aussi frappant qu’un missile: Tout le monde dehors. Pourquoi pas Plus personne en dedans?


L’émotion vendeuse

Apparemment, M. Thériault s’est bien servi des médias pour ne pas manquer sa cible, c’est-à-dire nos cœurs, encore ébranlés par l’assassinat du jeune Alexandre Livernoche par un prédateur sexuel. Certains journalistes ont fait de la sortie de Tout le monde dehors une occasion d’exposer leur propre ignorance du système correctionnel du Québec, un moment de sensationnalisme qui cultive la confusion.

L’assassinat du jeune Alexandre par un prédateur sexuel n’a pas fini de nous émouvoir. Mais l’émotion est vendeuse. D’une tribune à une autre, M. Thériault répète à qui veut l’entendre qu’il s’agit de la sécurité de sept millions de Québécois! On se croirait aux États-Unis devant un discours de Bush!

Nous sommes sensibles, oui, mais pas cons. Au risque de choquer M. Thériault, je porte à sa connaissance que certaines personnes incarcérées sont moins dangereuses pour la société que la prison dans laquelle ils se trouvent. De petits criminels devenus de grands criminels à cause de leur passage en dedans, quel titre vendeur donner à un livre relatant leur histoire?

Prévenir l’imprévisible: aucun système ni personne n’en est capable quand il s’agit de prédateurs sexuels et de violents chroniques. Dans leur cas aussi, les sentences ont une fin.

Par ailleurs, la réinsertion sociale des personnes incarcérées ne consiste pas à donner une première ou une deuxième chance aux personnes contrevenantes. Ce n’est pas une affaire de pitié, de compassion ou de faveur à leur égard. C’est dans l’intérêt de la société, d’un point de vue économique et social, de diminuer le taux de récidive dans les prisons.

Une libération conditionnelle est un moyen parmi d’autres: Quelques erreurs, même graves, ne devraient pas la remettre en question. Comme la laïcité, le concept des libérations conditionnelles fait partie des progrès de notre société.