Reportage sur le Congrès de la FTQ – Jour 4

2013/11/29 | Par Maude Messier


Résolutions du jour

Le Congrès a adopté, tout au long de la journée de jeudi, un nombre important de résolutions. Les délégués se sont prononcés en faveur de pressions exercées par la FTQ, ses syndicats affiliés et le Congrès du travail du Canada sur les syndicats locaux afin qu’ils s’abstiennent de soumettre ou de recommander à leurs membres de nouvelles clauses de disparité de traitement, ou apparence de telles clauses : régimes de retraite, avantages sociaux, échelles salariales ou autres.

La résolution mandate aussi la FTQ pour faire pression auprès des gouvernements en vue de faire adopter une loi et des dispositions interdisant clairement ces pratiques.

Compte tenu que les débats sur la question des clauses orphelins liés aux régimes de retraite ont été largement traités avec l’adoption, mercredi, d’une résolution concernant le RRFS-FTQ, cette proposition a rapidement été adoptée à l’unanimité.

Des États généraux sur le renouveau syndical pour réfléchir sur les pratiques syndicales, faire face aux attaques de la droite et organiser une mobilisation rassemblant des organisations de la société civile autour d’un plan d’action devront être tenus d’ici trois ans.

Renforcer le mouvement syndical, les capacités de représentation et de défense des travailleurs, l’action politique des syndicats, former des militants, rejoindre les membres et agir sur l’opinion publique. C’est dans ce but qu’une campagne de mobilisation sera mise en œuvre par la FTQ, inspirée par la campagne « Ensemble pour un monde plus juste » du Congrès du travail du Canada.

Dans la foulée des « attaques antisyndicale de la droite », une résolution sur la défense des droits syndicaux a été adoptée demandant que la FTQ, de concert avec ses syndicats affiliés et le CTC, fassent pression en vue du maintien de la formule Rand et combatte toutes les attaques contre le mouvement syndical, dont les projets de lois C-377 et C-525.

Une autre résolutions adoptée demande que des pressions soient exercées pour faire retirer du projet de loi C-4 les modifications au Code canadien du travail relativement à la nouvelle définition de la notion de danger qui limite, entre autres, le droit de refus des travailleurs et la présence d’un agent de sécurité sur les lieux de travail.

Les délégués ont aussi adopté une résolution d’urgence relative à l’Accord économique et commercial global entre l’Europe et le Canada survenue en octobre dernier. La FTQ insistera donc auprès des différents paliers de gouvernements pour que les textes et les documents d’analyses de cet accord soient divulgués et qu’un débat public ouvert soit rendu possible, via des consultations publiques élargies et une commission parlementaire.

Solidarité internationale : le cas du Bangladesh

« Quand j’avais 12 ans, mon père est tombé malade. Ma mère devait rester à la maison parce que ma petite sœur était bébé. Mon frère de 10 ans et moi avons été travailler. On nous payait 6 $ par mois. On a été floués; on ne connaissait pas nos droits. À 15 ans, j’étais dirigeante de mon syndicat local. À 16 ans, j’étais congédiée pour être une fauteuse de troubles. Je faisais des ennuis dans une usine, maintenant je fais autant d’ennuis, mais dans plusieurs usines! »

Kalpona Akter est directrice du Centre de solidarité des travailleurs et des travailleuses du Bangladesh. Elle a dressé un éloquent portrait de la situation des droits syndicaux et des conditions de travail dans les usines de textile, basé sur son expérience du terrain, devant un groupe de délégués réunis pour une activité de solidarité internationale mercredi midi.

Le Bangladesh compte quelque 4 millions de travailleurs et travailleuses du textile dans environ 5 000 usines. Ce sont très majoritairement des femmes, à 85%, qui y travaillent dans des conditions précaires, de 10 à 12 heures par jour, parfois 14, 6 jours par semaine, à un rythme de production excessif, voire impossible.

« Si une travailleuse peut faire 60 pièces de textile à l’heure, on lui en demande 100 », d’expliquer Mme Akter.

Devant subir du harcèlement verbal constant pour 38 $ US par mois, maintenant 68 $ US depuis une semaine, elles travaillent dans des conditions de misère quand elles ne sont pas carrément dangereuses.

On se souviendra l’effondrement du Rana Plaza en avril dernier qui a tué quelque 1 200 employés, de même qu’une série d’incendies dans différentes usines depuis quelques années. Selon ses propos, Il y aurait eu environ 1 800 décès dans les usines de textile au cours de la dernière année.

Les droits syndicaux aussi y sont déplorables. Dans les faits et sur papier, la liberté d’association et le droit à la négociation collective sont bel et bien réels mais, dans les faits, la réalité est toute autre, explique Kalpona.

Moins de 1 % de ces 4 millions de travailleurs sont syndiqués et seulement une centaine de syndicats sont reconnus officiellement et accrédités. De ce nombre, une soixantaine l’ont été au cours des six derniers mois grâce à des pressions du gouvernement américain.

« Bien sûr que les travailleurs veulent disposer de leurs droits syndicaux, soutient-elle. Mais dans les faits, 10% des propriétaires d’usines sont des parlementaires, alors ils ne vont certainement pas changer la législation. »

Son organisation supporte les travailleurs, offre de la formation, une assistance juridique gratuite et mène notamment des campagnes pour une hausse du salaire minimum, de meilleures conditions d’hygiène et de santé et sécurité, et la présence d’un représentant syndical sur les lieux de travail.

Elle explique que les grandes multinationales ont des codes de conduite et de responsabilité sociale, mais que leur mise en œuvre est complexe et que les patrons des usines de textile sont prévenus à l’avance des visites.

Une charte de responsabilité sociale a été cosignée par différentes entreprises à la suite du drame du Rana Plaza, surtout par des entreprises européennes, soutient Kalpona Akter. Elle dénonce le fait que les victimes du Rana Plaza n’ont par ailleurs toujours pas reçu les compensations financières promises.

« Cette charte a des contraintes juridiques, ils s’exposent à des poursuites. Il faut que les entreprises signent cette charte. C’est un outil important. Mais les entreprises américaines la trouvaient trop contraignante, alors ils ont élaboré une autre charte, sans contraintes juridiques, et c’est Walmart qui est derrière. »

Kalpona Atker insiste. « Vous êtes des consommateurs, vous avez une responsabilité, comme syndicats aussi. Il faut faire des pressions pour que les travailleurs du Bangladesh soient payés décemment. Et ce n’est pas aux consommateurs de payer, même si 0,50$ ou 1 $ de plus sur les vêtements, ce n’est rien. Les multinationales engendrent des profits faramineux. C’est à eux de partager leurs revenus et de payer! »


Portrait des femmes à la FTQ

En 2012, les femmes représentaient 37% des effectifs de la FTQ estimés alors à 545 000 membres. Il s’agit d’une hausse par rapport à 1989, dernières données compilées, alors qu’elles représentaient 33 %.

Pourtant, derrière cette hausse de leur présence dans les rangs, se cache une sous-représentation des femmes dans les structures syndicales, spécialement dans les hautes sphères. Le monde syndical n’échappe pas à cette réalité.

C’est ce que révèle un portrait des femmes à la FTQ et chez les syndicats affiliés présenté au Congrès ce jeudi.

Selon les données du rapport, on constate que dans les syndicats locaux, la représentativité des femmes est assez similaire au taux de représentativité général. Parfois un peu plus bas, parfois plus haut, notamment dans les fonctions de secrétaires et de trésorières.

Or, c’est en montant dans les hiérarchies que ça se gâte. Par exemple, leur représentativité au sein des exécutifs des grands syndicats de la FTQ est deux fois moindre que dans les effectifs.

Ainsi, si elles prennent de plus en plus de place dans les structures syndicales locales, plus on monte dans la hiérarchie, moins elles sont présentes, parfois quasiment absentes. Dans les instances de la FTQ, au Conseil général et au Congrès, elles sont systématiquement sous-représentées.

Ce qui est intéressant, c’est de constater à quel point les obstacles identifiés par l’étude n’ont pas vraiment évolué dans le temps. La moitié (51%) des répondantes ont identifié les préjugés, les jugements, le harcèlement, la non-reconnaissance comme principaux obstacles.

Viennent ensuite le fonctionnement organisationnel, la surcharge, les contraintes et les conditions du travail syndical (28%) et la vie personnelle, la conciliation travail-famille, le manque de confiance en soi (13%).

Le rapport propose des pistes de solutions en identifiant des mesures qui facilitent l’implication syndicales des femmes : soutient, réseautage, mentorat, formation, conditions de travail, horaires, services de garde, conciliation, ouverture, égalité homme-femmes, reconnaissance.

Depuis 1989, les obstacles identifiés sont les mêmes. L’égalité en emploi et l’équité salariale ne règlent pas tout; les femmes disent clairement qu’elles subissent de la discrimination, du harcèlement, mais sous des formes plus subtiles. Rappelons qu’il s’agit d’un rapport sur leur présence dans les structures syndicales, pas en milieu de travail.

Les stéréotypes ont la vie dure et les préjugés sont tenaces. Force est de constater, selon le rapport, que les organisations syndicales ont une « culture machiste » même en 2013, glissant même vers une « culture masculiniste qui banalise et nie la discrimination systémique et la violence que vivent les femmes. »

Les répondantes ont indiqué vouloir notamment du temps pour exercer leurs fonctions syndicales sans surcharge, du respect et de la considération, du soutien dans leur cheminement de militante, de l’accueil par les structures syndicales et de l’ouverture à leurs idées et leur vision. Autrement dit, elles veulent « humaniser l’engagement syndical ».