La charte des valeurs à la CBC  

2014/01/24 | Par Claude G. Charron


On sait qu’en vertu de sa loi constitutive, la Société Radio-Canada a l’obligation de promouvoir l’unité canadienne et par conséquent le multiculturalisme qui est inscrit dans la Constitution en tant que valeur garante de cette unité. On comprend dès lors que «l’information y émanant risque d’être fortement colorée par cette obligation à un moment où un gouvernement provincial remet en question cette valeur. »

Un simple visionnement de l’émission Les coulisses du pouvoir du 15 décembre dernier nous démontre sans ambigüité que ce mandat est rigoureusement respecté.



Totale unanimité contre la charte

On s’attendait à ce que les trois chroniqueurs réguliers de l’émission s’accordent sur le fait qu’en 2013, le scandale du Sénat aie été l’évènement marquant au Canada. Et qu’au Québec, la charte le soit tout autant. On pouvait également prédire que les Castonguay, Hébert et Auger allaient tous trois prévoir une importante décote des conservateurs en 2014.

Mais comment comprendre qu’à propos de la charte, nos trois «sages» allaient s’entendre comme larrons en foire ? Celle-ci divisant les Québécois, n’aurait-il pas fallu que pour cette émission spéciale de fin d’année, à ces trois commentateurs réguliers, on ajoute un analyste moins hostile à la charte ? Hélas, unité canadienne oblige !


Bref survol du procès de la charte

Alec Castonguay a été le premier à monter au prétoire. Il entonne tout de go un air bien connu à la CAQ. La charte a fait qu’à l’Assemblée nationale, la période des questions a trop souvent dévié sur le terrain identitaire alors que la situation économique est catastrophique.

Au tour ensuite de Michel C. Auger d’ouvrir le feu. Selon lui, le véritable débat n’a pas eu lieu, « celui de savoir si l’État a le droit de décider comment les gens vont s’habiller». Auger accuse donc Drainville de vouloir fouiner dans nos garde-robes.

L’animateur du 15-18 a peut-être une propension naturelle à caricaturer. Il reste que, même si on se refuse à interpréter son discours au premier degré, il trompe quand même les téléspectateurs en déclarant que n’a pas encore eu lieu le débat sur les signes ostentatoires dans la fonction publique. Cela fait pourtant depuis des lunes que l’on ne discoure que de cela, en fait, depuis une rumeur de fin d’été voulant que le gouvernement aille de l’avant avec une laïcité plus ferme.

Ce débat avait rejoint plus d’un million de citoyens et de citoyennes quand la pro-charte Benhabib a croisé le fer avec la très voilée et très fardée Awada au Tout le monde en parle du dimanche 29 septembre.

Combien de lignes ouvertes à la radio depuis sur ce sujet? Combien de chroniqueurs, semaine après semaine, ont constamment ferraillé sur la question ? Pour ne pas parler de tout ce qui a pu être lu à ce propos sur les blogues ainsi que sur Facebook et Twitter. Du moins du côté du Québec français, le débat s’est fait avec fréquents tournements et retournements de médaille. Wake Up Auger !

C’est ensuite au tour de Chantal Hébert de nous laisser entendre que l’on fera bientôt face à un fait inusité : « celui d’un État qui tente d’enlever des droits ». Curieux argument que celui-ci puisqu’il n’y a pas si longtemps, bien des États ont enlevé des droits à une catégorie bien spécifique de citoyens : les fumeurs. En leur interdisant au surplus de pratiquer leur « vice » dans des espaces on ne peut plus privés : les bars et les restaurants. Sans que cela ne fasse de chichi.

Michel C. Auger en ajoute encore. Il accuse le gouvernement Marois d’être responsable « d’un anti-islamisme » qui était déjà trop présent au Québec. Quant à Castonguay, il ne semble pas apprécier les résultats des plus récents sondages donnant une majorité de Franco en faveur de la charte. Heureusement, ajoute-t-il, que des voix plus sérieuses se feront entendre lors de la commission parlementaire et que les arguments des minorités seront enfin entendus. Comme s’ils n’étaient pas à journée longue partout entendues. Spécialement dans à la Gazette et à la radio anglaise.

À Chantal Hébert ensuite de prophétiser : « si la 60 loi passe, les tribunaux agiront pour restaurer l’État de droit au Québec». Ajournement de procès. Ouf !


Et si nos trois sages étaient à côté de la plaque

Chantal Hébert a sûrement depuis été mise au courant de l’entrevue que, Me Roger Tassé a accordée à son collègue, Guy Gendron, entrevue qui a été diffusée au Désautels - le dimanche du 29 décembre. Si elle en a entendu parler, comment peut-elle continuer à prétendre que, dans le cas spécifique de la charte, les tribunaux canadiens feront un ixième bras d’honneur au Québec ?

Et qu’a dit à Gendron «celui qui tenait la plume», (dixit GG) lors de l’écriture de la Charte canadienne des droits et libertés ? Qu’il trouve tout-à-fait normal que cette charte des valeurs vise à affirmer le caractère laïc des institutions publiques québécoises. Et qu’il y voit un avantage à ce qu’on le dise clairement. « On ne le dit pas clairement dans la Charte canadienne des droits et dans la Charte québécoise des droits. Donc, il peut y avoir un intérêt à ce que le législateur dise clairement que l’Etat québécois est laïc. »

Et Gendron ensuite de lui demander : « L’interdiction du voile pour une infirmière dans un hôpital, si un jour c’est adopté, est-ce que ça va se rendre devant les tribunaux et qu’est-ce que dirait la Charte canadienne, à votre avis ? » Réponse de RT: «D’après moi et contrairement à ce que certains ont dit, dont la Commission des droits de la personne du Québec pour qui, c’est entendu, c’était illégal, je ne suis pas convaincu de cela. Je pense qu’un argument pourrait être développé. Il faudrait qu’une analyse soit faite. Que le débat ait lieu au plan politique. Puis que le législateur décide de ce qu’il y aura dans la charte. »

De quoi décoiffer Chantal. Et quelle opinion a Auger de Me RogerTassé ? Le considère-t-il comme un dangereux anti-islamiste ? Les positions de cet ex-grand-commis de l’État fédéral rejoignent pourtant celles qu’avait exprimées Henri Brun lors de son passage au 24/60 du 19 septembre. Chantal Hébert a sûrement eu vent de l’entrevue que cet éminent constitutionnaliste a accordée à Anne-Marie Dussault. Motus et bouche cousu à propos de ce « quidam » ayant eu le tort de conseiller Pauline Marois dans la rédaction de sa charte des valeurs.

Pas plus que n’a de poids aux yeux de nos trois sages les avis du sociologue Guy Rocher entendus le 16 septembre à l’émission d’Anne-Marie Dussault. « Le Québec travaille sur le long terme» y a répété celui qui a largement collaboré à la rédaction d’une autre charte, celle de la langue française du regretté docteur Laurin.


Faudrait-il repenser Les coulisses ?  

J’ai longtemps hésité avant de placer ce présent texte sur la toile. Après tout, me suis-je dit, qu’est-ce que ce petit écart de la part des trois journalistes dont, par ailleurs, leur haut degré de compétence ne peut être remis en doute?

Grande tentation à le garder sous le boisseau quand j’ai senti avec quel brio Michel C. Auger a tassé dans le coin la vice-présidente de la Commission scolaire English-Montréal venue dire au 15-18 du 9 janvier que son organisme était prêt à pratiquer la désobéissance civile plutôt que d’appliquer les règlements d’une loi 60 très légalement adoptée par l’Assemblée nationale.

Le lendemain, à Pas de midi sans info, Joseph Facal déclare que la couverture médiatique des travaux de la commission parlementaire risque fort de nuire au gouvernement car, même si les sondages démontrent que la majorité des parlants français sont pro-charte, la grande discrétion de ceux-ci a fait que le nombre de mémoires déposés par cette majorité est moins grand que ceux venant des citoyens et organismes se présentant contre la charte.

Voilà un fait dont se félicitait Alec Castonguay le 15 décembre dernier : la bienfaisante opportunité pour les minorités à pouvoir se faire entendre à la commission parlementaire du projet de loi 60.

Castonguay, et surtout Chantal Hébert, ont donc bien assimilé ce que le multiculturalisme de Pierre-Elliott avait comme principal objectif, celui d’enlever toute possibilité à l’Assemblée nationale du Québec à faire des lois à l’encontre « des droits fondamentaux » des minorités.

Et ce 15 décembre, tant Castonguay, que Chantal Hébert et Michel C. Auger, semblaient se réjouir que ce soit le gouvernement de juges, tous nommés unilatéralement par Ottawa, qui puisse déterminer jusqu’où on peut encore parler de «droits fondamentaux » au Québec.

Et on est maintenant rendu à ce qu’une vice-présidente de la Commission scolaire English-Montréal vienne nous dire que son organisme est prêt à promouvoir la désobéissance civile contre une loi 60 qu’elle-même, cette dame Lo-Bianco, considère comme tout-à-fait illégitime.

Il est peut-être temps de revoir la façon d’analyser le travail de nos parlementaires avec cette émission qu’on appelle : Les Coulisses du pouvoir. Elle est peut-être trop conçue et préparée dans les coulisses d’un seul pouvoir, celui qui nous est de plus en plus étranger. De plus en plus hostile à notre émancipation collective.