Il est temps de changer nos façons de faire

2014/02/04 | Par Jacques Benoit


L’auteur est coordonnateur de la Coalition solidarité santé

Monsieur le ministre,

Dans le cadre des consultations pré-budgétaires du gouvernement du Québec, la Coalition solidarité santé vous soumet les idées suivantes pour permettre qu’un réel redressement des finances publiques s’opère et que notre société québécoise puisse conjuguer justice sociale, fiscale et budgétaire.

Abordons tout d’abord les dépenses.

Nous réitérons ce que nous avons déjà dit par le passé concernant le régime d’assurance médicaments : un seul régime universellement public, en lieu et place du régime hybride public-privé actuel, augmenterait le pouvoir de négociation du gouvernement pour l’achat de médicaments aux pharmaceutiques. Jumelé à une politique du médicament, cela permettrait de mieux contrôler les coûts des médicaments et du régime d’assurance. Tel que démontré par le chercheur Marc-André Gagnon, on parle ici d’économies pouvant atteindre un milliard de $ annuellement, près de la moitié du déficit que vous avez prévu.

Toujours dans l’optique de contrôler les coûts et de gérer avec rentabilité, efficacité et efficience notre bien commun, nous demandons que le gouvernement réduise la sous-traitance et cesse la privatisation de nos services publics. Nous savons tous et toutes que les services assumés par le secteur public nous sont rendus au prix coûtant, alors qu’avec le privé, nous devons payer en plus le profit qu’il veut engranger.

C’est pour cela qu’à prix égal, le privé diminuera la qualité ou la quantité des services qu’il nous rendra, ou il rognera sur les salaires et les conditions de travail de ses employé-e-s qui nous les rendront. Et la pratique a démontré qu’il fera les deux… et augmentera quand même ses prix! Nous ne gagnons rien, comme société, à sous-traiter ou à privatiser nos services publics, même au regard du financement pour la réalisation des services.

Nous référons ici au mode de réalisation en PPP dans lequel le gouvernement s’est drapé ces dernières années. Comme le disait Pierre Hamel, professeur à l’INRS : « La plus grosse entreprise privée du monde va emprunter à un taux plus élevé que la plus petite municipalité du Québec.

Quand c’est un privé qui finance, ça coûte plus cher! » Dans le domaine de la Santé, des projets comme le CHUM, le CUSM et le CHSLD St-Lambert-sur-le-golf ont été dénoncés par plusieurs.

Dans une lettre adressée au Ministre Hébert en décembre dernier, la FSSS-CSN soulignait l’impact à la hausse de ce mode sur les coûts de construction : 385% plus cher pour le CHUM, 290% de plus pour le CUSM. Même le Vérificateur général s’est inquiété de ce qui se trame autour de ces contrats. Le gouvernement doit cesser ces mauvaises pratiques de gestion qui se font au détriment de notre bien commun, et mettre fin à ces contrats dans les meilleurs délais.

Les dépenses déjà encourues ont assez couru!...

Sur le moyen le plus équitable de contribuer au bien commun, nous voulons rappeler que ce n’est pas l’utilisateur-payeur qui remplit ce rôle mais bien la contribution en fonction de la capacité de payer, soit l’impôt progressif sur les revenus. Et sur tous les revenus : dividendes et gains en capital inclus, revenus des individus et des entreprises, incluant les financières. Cela signifie que les tarifications appliquées de plus en plus dans les services publics doivent être bannies définitivement et remplacées par l’ajout de paliers supplémentaires d’impôts aux mieux nantis, individus et entreprises.

Plus particulièrement, nous vous demandons de rappeler votre première proposition d’abolition de la taxe santé, qui la remplaçait par une augmentation des taux d’imposition pour les contribuables qui gagnent plus de 130 000 $ et en taxant davantage les gains en capital et les dividendes. Et, M. Marceau, ne craignez pas les députés de l’opposition qui déchireront leurs chemises sur l’angoisse fiscale des plus riches: ils n’en feront que mieux rouler l’économie textile au Québec!

Toujours à la poursuite de notre bien commun, nous vous invitons à revoir les choix fiscaux :

- en réinstaurant plus de progressivité dans l’impôt des particuliers;

- en rétablissant un équilibre entre les impôts des particuliers et les impôts des entreprises;

- et en luttant contre la fraude : la corruption, bien sûr, mais aussi l’évitement fiscal et l’évasion fiscale.

À cet effet, nous vous référons aux propositions de la Coalition opposée à la tarification et la privatisation des services publics. Il y a là plusieurs milliards de dollars pour non seulement éliminer notre déficit et réduire notre dette, mais pour consolider également notre bien commun, permettant ainsi à tous les citoyennes et citoyens, quels que soient leurs revenus, de profiter de multiples services publics de qualité.

Parlant de bien commun, nous vous demandons que le présent budget rende concret l’engagement qu’a pris l’automne dernier votre gouvernement de hausser le financement des organisations communautaires de 120 millions de $ sur 3 ans. Mais, du même souffle, nous vous rappelons que votre promesse n’est pas à la hauteur de leurs besoins qui se chiffrent plutôt à 225 millions $ par année. La démonstration de l’impact de leur travail auprès de la population n’est plus à faire. Il ne vous reste maintenant qu’à le reconnaître à sa juste valeur.

Enfin, l'assurance autonomie qu’on nous promet pour 2015 ne doit pas échapper aux recommandations précédentes. L’exemple malheureux de l’Isle-Verte devrait particulièrement nous guider dans cette réorganisation des services et des soins par l’application du principe de précaution envers les personnes en perte d’autonomie et les personnes handicapées : les soins et services doivent être publics, gratuits à l’usage, et financés par les impôts des particuliers et des entreprises.

Comme l’a si bien dit le Ministre Hébert à Paul Arcand : « Lorsqu’on laisse introduire du privé de plus en plus, ça coûte de plus en plus cher au contribuable.» De plus, l’idée d’une caisse autonomie, prévue dans le projet de loi bientôt à l’étude, ressemble plutôt à une caisse « autonome », séparée des budgets de la santé.

Évoquée par le ministre Hébert comme moyen de protéger les budgets dédiés à ces soins et services, plusieurs d’entre nous craignent plutôt qu’elle puisse rapidement être utilisée pour limiter les services par rapport aux besoins, et ainsi forcer les gens à aller vers le privé, ou à s’en priver!

Et c’est ce qui arrivera pour l’écrasante majorité des personnes visées, qui n’aura pas les moyens de le faire. Nous devons au contraire protéger ces personnes vulnérables, en leur assurant la plus grande qualité, continuité, sécurité et adéquation des soins et services requis par leur condition.

En terminant, Monsieur le ministre, des économistes et des chroniqueurs ont exprimé récemment que nos finances publiques vont frapper un mur si nous ne changeons pas nos façons de faire. Nous sommes d’accord avec cette affirmation. En effet, les dernières années ont vu les budgets de tous les gouvernements à Québec et à Ottawa donner la préférence aux mesures d’austérité de réduction des programmes sociaux et des impôts des plus hauts revenus et des entreprises privées et financières, avec le résultat désastreux que nous pouvons voir sur nos finances publiques.

Il est effectivement temps de changer nos façons de faire.

Respectueusement,

Jacques Benoit,

Coordonnateur,

Coalition solidarité santé