Opération détournement dans le dossier des régimes de retraite

2014/02/10 | Par André Fleury


L’auteur est retraité.

De façon exceptionnelle, pour régler le problème de certaines entreprises du secteur des pâtes et papiers qui étaient sous la protection des tribunaux, a été élaborée une formule se voulant originale : le régime de retraite à prestations cibles.

Ce régime libère l’employeur de l’obligation imposée par la loi de rembourser le déficit de la caisse du régime de retraite en place. Dorénavant, la cotisation de l’employeur sera fixe et, pour assumer les déficits potentiels de la caisse de retraite, les salariés devront assumer une hausse de cotisation ou une baisse de leurs droits acquis. Les retraités pourraient également être appelés à contribuer par une réduction de leurs rentes.

Dès lors, le montant des prestations de retraite n’est plus fixé d’avance, mais devient une cible à viser. Rapidement, les autres entreprises dans le secteur des pâtes et papiers ont réclamé le même privilège.

Les employeurs du Québec y ont vu une formule élégante pour se libérer en douce des déficits de leur caisse de retraite et transférer tout le risque à leurs salariés et à leurs retraités. L’opération menée de main de maître par le gouvernement (successivement libéral et péquiste), avec la complicité bienveillante de la Régie des Rentes, a été mise en marche par la publication du Rapport D’Amours.

En effet, celui-ci passe sous silence la responsabilité des employeurs pour ouvrir la porte à des régimes dans lesquels on reporte cette responsabilité sur le dos des salariés et, par ricochet, sur celui des retraités.

On s’attaque d’abord au noyau dur. Après avoir placé les syndicats du secteur municipal sur la défensive, en les mettant en opposition avec les citoyens payeurs de taxes foncières, on les invite à négocier (sans rapport de force et avec la menace d’un arbitrage des différends par la Commission des relations de travail) en affirmant qu’ils devront faire leur part pour assumer le déficit du service passé. La pression est énorme. Cette décision devra être prise dans chacune des assemblées syndicales.

Déjà aux prises avec des contraintes financières (les ménages québécois sont endettés à plus de 150 %), les salariés ne peuvent assumer des hausses de cotisation à répétition. Ils vont inévitablement se retourner vers leurs anciens confrères et consoeurs de travail : la fameuse équité intergénérationnelle dont parle le Rapport D’Amours.

En effet, selon ses auteurs, pour assurer la survie des régimes de retraite, il faut apporter une flexibilité dans la loi actuelle et mettre fin à la protection des droits acquis. Les retraités devront se montrer moins individualistes pour sauvegarder le régime collectif (p.112). Cela a le mérite d’être clair.

La stratégie d’opposer les générations entre elles n’est pas nouvelle. Des employeurs y ont eu recours pour se débarrasser de leur régime à prestations déterminées pour les remplacer par des régimes à cotisations déterminées, moins contraignants.

C’est souvent le couteau sous la gorge, après un long conflit de travail, quand ce n’est pas sous la menace de perdre leurs emplois, que les syndiqués étaient contraints d’accepter en assemblée générale de mettre en place des conditions de travail inférieures (clause orphelin), pour les futurs embauchés.

Après avoir mis en opposition les salariés face aux « jeunes », maintenant on les place face aux « aînés ». Dans les deux cas, les syndiqués sont seuls à prendre des décisions qui ont un impact majeur sur d’autres groupes.

Les syndicats étant autonomes, les centrales peuvent toujours inciter leurs membres à rejeter une «clause orphelin » ou à résister à une demande de contributions de la part des retraités, le sort des jeunes et des aînés est concentré entre leurs mains.

Pour les retraités, c’est un contrat qui a été signé de bonne foi qui serait modifié en cours de route, sans qu’ils aient un mot à dire. Désormais, qui sera prêt à renoncer à du salaire et à faire confiance aux promesses, si celles-ci peuvent être brisées 10 ou 20 ans plus tard? Beaux débats en perspective…

Les employeurs s’en frottent déjà les mains.


Photo : Ledevoir.com - Jacques Nadeau