Sommes investies dans la santé

2014/03/04 | Par Jody Heymann et Douglas Barthold

Voici un fait que nous ignorons pour la plupart : les Canadiens vivent plus vieux que les Américains. Au Canada, l’âge moyen des femmes est de 83 ans, comparé à 80 ans aux États-Unis; celui des hommes est de 78 ans, comparé à 75 ans là-bas. Pourquoi? L’explication réside dans le lien clair entre le taux de mortalité et la façon d’investir dans les soins de santé et l’amélioration des conditions sociales.

Récemment,nous avons publié une étude dans l’American Journal of Public Health sur l’efficience des systèmes de santé en rapport avec l’espérance de vie, couvrant les deux dernières décennies. Et les nouvelles sont excellentes pour les Canadiens et les Québécois.

Chaque tranche supplémentaire de cent dollars investie dans la santé au Canada se traduit par un prolongement de près de deux mois de l’espérance de vie. Aux États-Unis, le même montant la prolonge d’à peine deux semaines.

Nous avons analysé la progression de l’espérance de vie en fonction des dépenses de santé dans 27 pays et en comparant les sexes dans chacun d’eux. Après avoir contrôlé pour les variables du développement économique, des dépenses sociales et du comportement, nous avons constaté des écarts importants entre les pays sur le plan de l’efficience. Le Canada s’est classé huitième, alors que les États-Unis arrivent au 22e rang.

Dans les faits, nous avons une très bonne idée des raisons pour lesquelles les politiques de santé sont si efficaces au Canada et au Québec. Jumelées à des mesures de prévention et de promotion de la santé, les approches préconisées en santé de la population, qui visent une amélioration des conditions sociales, ont contribué à réduire les maladies chroniques et les maladies aiguës.

Autrement dit, ce n’est pas seulement le montant qui compte, mais aussi la façon dont on investit celui-ci. De plus, les dépenses de santé ne sont pas l’unique facteur qui a une incidence notable sur les résultats de santé. Nous avons constaté que les investissements sociaux d’un pays contribuaient eux aussi à une progression importante de la longévité.

Les conclusions d’une synthèse de la recherche publiée par l’Organisation mondiale de la Santé confirment le rôle important des déterminants de la santé. Elles démontrent que les conditions sociales (l’accès à l’éducation, le revenu, l’amélioration des soins à la petite enfance et celle des conditions de travail) ont une forte incidence sur notre état de santé.

Par bonheur, les décisionnaires du fédéral, des provinces et des territoires ont souvent investi là où ça compte : du filet social aux services destinés à la petite enfance, du congé parental à l’accès aux études universitaires à un coût abordable.

Ainsi, le Canada et le Québec sont en bonne posture par rapport aux États-Unis, mais si on les compare aux autres pays développés analysés dans notre étude, qu’en est-il? Le tableau n’est pas aussi favorable.

Même si la progression de l’espérance de vie est beaucoup plus rapide au Canada qu’aux États-Unis relativement aux montants investis, elle n’est que la moitié de celle qu’affiche l’Allemagne. Parmi les autres pays dont l’efficience est supérieure à celle du Canada, on trouve la Suisse, l’Italie, l’Autriche, la Nouvelle-Zélande, le Danemark et la France.

Ces écarts sur le plan de l’efficience pourraient s’expliquer par différents facteurs. Pour améliorer notre propre système de santé, il sera nécessaire d’en savoir davantage sur les caractéristiques des pays où le rendement est supérieur. Quel poids faut-il accorder aux prestataires de soins, à la formation et aux mesures incitatives? Aux patients, à l’accès aux soins et au prix qu’ils paient pour les recevoir? À l’organisation du système de prestation des soins médicaux? L’étude des meilleurs bilans pourrait nous offrir des leçons essentielles à cet égard.

Au-delà de la seule question des soins médicaux, il faudrait aussi mieux cerner en quoi les facteurs sociaux conditionnent l’état de santé. Les pays mieux classés que le nôtre consentent des investissements sociaux dans la promotion de la santé et du bien-être chez les enfants comme chez les adultes.

Pour n’en relever que deux : des congés payés avec garantie de retour au travail pour s’occuper des besoins en matière de santé et, dans la grande majorité des cas, un programme universel d’éducation de la petite enfance.

Même si le Canada devance les États-Unis au chapitre des mesures de promotion de la santé, son intervention est inégale et accuse du retard par rapport à un grand nombre de ses concurrents. Certaines provinces comme le Québec ont investi massivement dans l’accès universel aux services destinés à la petite enfance, alors que d’autres n’ont presque rien mis en place. On peut en dire autant de mesures élémentaires comme le congé de maladie avec garantie de retour au travail, qui varient d’une province à l’autre. Enfin, les logements abordables sont devenus une denrée rare dans la plupart des centres urbains du pays.

Le taux de pauvreté augmente au Canada et au Québec, même s’il reste inférieur à celui des États-Unis. La pauvreté, on le sait, est l’un des principaux déterminants en matière de santé.

Si nous voulons que l’espérance de vie continue de progresser au Canada et au Québec, il faudra investir dans la prévention de la maladie et la promotion de la santé, tout en cherchant à connaître les moyens les plus efficaces de dépenser les sommes que nous consacrons aux personnes qui tombent malades.


Doyenne de la UCLA Fielding School of Public Health, Jody Heymann est experte-conseil auprès d’EvidenceNetwork.ca. Elle a dirigé une Chaire de recherche du Canada sur la santé et les politiques sociales dans le monde à l’Université McGill. Douglas Barthold est doctorant en économie et boursier à l’Institut des politiques sociales et de la santé de l'Université McGill.