Bilan des CSSS après 10 ans

2014/03/17 | Par Jacques Fournier


L’auteur est organisateur communautaire retraité

Pour employer des mots charitables, le bilan de la réforme Couillard, entraînant les fusions forcées des établissements en 2003, présente des résultats plutôt douteux, pour ne pas parler d’échec. L’accessibilité aux services pour les usagers, la proximité, le développement de la première ligne, la réduction de l’attente, l’enracinement local, la démocratisation, le développement des services psychosociaux, la réduction des coûts : ces résultats ne sont pas au rendez-vous.

Par contre, l’augmentation du nombre des cadres, l’amélioration de leurs revenus (et ceux des médecins), l’alourdissement et la complexification du système, la démobilisation du personnel et la privatisation répondent : présents.

C’est le résumé que l’on peut faire d’une soirée-débat fort intéressante et instructive, organisée par la Coalition Solidarité Santé, le 12 mars, par une bonne tempête de neige, et tenue au Centre St-Pierre à Montréal, sous la chaleureuse animation de Lorraine Guay, militante féministe.

Quatre panelistes ont dressé la table : David Levine, ancien PDG de l’Agence de Montréal et maintenant consultant; Johanne Archambault, ancienne cadre du réseau; André-Pierre Contandriopoulos, professeur au Département d’administration de la santé de l’U. de M. et René Lachapelle, ancien organisateur communautaire, doctorant en service social et professionnel de recherche à l’UQO.

Leurs interventions ont été enregistrées sur vidéo par 99media.org et on peut visionner les présentations des quatre panelistes (une heure pour les quatre) :

  • vidéo 1 http://www.ustream.tv/recorded/44821148 (34 min.)
  • vidéo 2 http://www.ustream.tv/recorded/44822350 (11 min.)
  • vidéo 3 http://www.ustream.tv/recorded/44822935 (12 min.)
  • vidéo 4http://www.ustream.tv/recorded/44823395 (58 min.)
  • vidéo 5 http://www.ustream.tv/recorded/44825288 (28 min.)
  • Pour vous mettre l’eau à la bouche, quelques extraits rapides (sans toutes les nuances) :

    - David Levine : Je m’exprime à titre personnel. J’ai été DG d’un CLSC dans les années 70. On manquait alors de médecins. On en manque toujours. J’étais très en faveur de la réforme Couillard au départ. Il fallait développer la première ligne. Deux dangers : que la prévention-promotion se perde; que les CH pompent les ressources.

    Pour plusieurs continuums de services, on a réussi : cliniques pour les maladies chroniques (diabète), etc. Le temps d’attente n’a pas été réduit par la réforme. Car les moyens n’ont pas été mis en place. La réforme n’a pas réduit les coûts. Les services sociaux ont été protégés mais n’ont pas augmenté.

    L’hospitalocentrisme demeure. Et on est en train de développer des CH avec uniquement des chambres à lits simples, ce qui est très coûteux et ne se fait pas ailleurs. Le communautaire génère un excellent retour sur l’investissement. La réforme est un premier pas, on a fait le volet structurel, on n’a pas fait la transformation des soins cliniques qui était requise. Des médecins mieux appuyés verraient plus de clients.

    - Johanne Archambault : Pour les clientèles vulnérables (santé mentale, maladies chroniques, etc.), des pas ont été franchis. Les sommes étaient ciblées. Il n’y a pas vraiment eu de transfert des budgets de 3e et 2e lignes vers la première ligne. Peu d’investissements dans les services courants. Quelques équipes interorganisationnelles (par exemple, en jeunesse) ont été créées.

    La responsabilité populationnelle : c’est passé dans le discours mais ce n’est pas descendu dans les organisations. Oui, il y a plus de cadres mais il y a aussi plus de programmes, c’est plus complexe. Participation citoyenne : des comités d’usagers diversifiés ont été mis sur pied. On a sous-estimé l’ampleur de la réforme. On aurait dû procéder plus progressivement. L’hospitalocentrisme demeure.

    - André-Pierre Contandriopoulos : La réforme a apporté peu de choses pour les malades. A partir des années 80, la crise structurelle s’était amplifiée. On a mis la pédale sur l’accélérateur : développement des technologies, etc. Le système chauffe. Coût du système de santé par an par citoyen : 5500 $.

    Aller vers plus d’efficience, ce n’est pas nouveau. Le Rapport Rochon, le Rapport Clair, etc., tous disaient la même chose en faveur de la première ligne. Les autres pays aussi parlent « d’intégrer » les services. On n’aurait pas dû faire des CSSS semblables en ville et en région. Les CSSS des régions vont mieux que ceux de Montréal.

    Les raisons des échecs des réformes sont profondes. Il faut modifier les pratiques des malades, des médecins, des intervenants, des gestionnaires. Il faut une révolution culturelle. Le concept des CLSC est usé, on ne peut le réutiliser. Il faudrait payer les omnipraticiens davantage que les spécialistes (comme en Angleterre). Comme le disait Martin Luther King, l’histoire est l’illustration que les groupes privilégiés ne renoncent pas d’eux-mêmes à leurs privilèges.

    - René Lachapelle : J’aborde la question sous l’angle de la communauté-territoire. Rappel du contexte des changements dans la définition du rôle de l’État. La Nouvelle gestion publique est maintenant axée sur les résultats : on parle de clients à satisfaire, et non pas de citoyens. Les CRD (Conseils régionaux de développement) étaient gérés en partie par des citoyens, les CRE (Conférences régionales des élus) ont maintenant des administrateurs cooptés entre eux.

    Il faut faire attention aux effets possibles de nos critiques du réseau public : on pourrait paver la voie à davantage de recours au privé. Les organismes communautaires sont maintenant en contact direct avec les directions des établissements, ils ne passent plus nécessairement par les organisateurs communautaires (OC). Le nombre d’OC s’est maintenu : certains sont très encadrés par des programmes normés, d’autres sont demeurés plus en lien avec les besoins particuliers du terrain.

    Certains CSSS ont des territoires pas possibles, qui correspondant à un bassin hospitalier, ce qui ne veut rien dire au plan sociologique. Le sentiment d’appartenance est absent. L’enracinement dans la population est affaibli. Les GMF ne tiennent pas leurs promesses et n’en sont pas pénalisés financièrement.

    La Fondation privée Chagnon détermine certaines priorités conjointement avec le gouvernement dans certains programmes. Mentionné plus tard : les OC se sont donné une communauté de pratiques (le RQIIAC, regroupement des OC) pour maintenir le cap.

    Les participants-es dans la salle ont ensuite eu une bonne période d’une heure pour faire part de leurs témoignages sur le vécu de la réforme. Tant du côté des usagers que du personnel, ce sont les échecs concrets de la réforme Couillard qui ont été exposés. Certains témoignages étaient assez touchants.

    La soirée s’est terminée sur une synthèse pertinente par Jacques Benoit, coordonnateur de la Coalition, qui a démontré que la réforme Couillard a entraîné un important développement de la privatisation : les ressources du public sont maintenant de plus en plus au service du privé. Voici le texte intégral de sa synthèse.


    Photo: Chrystine Montplaisir