Accord de libre-échange Canada-Colombie

2014/03/28 | Par GOPA

Les groupes de défense des droits de la personne, les organisations de développement et les syndicats sont extrêmement sceptiques quant aux intentions du gouvernement canadien de mener une étude consciencieuse des répercussions du controversé Accord de libre-échange Canada-Colombie (ALÉCC) sur les droits de la personne, chose à laquelle il est pourtant contraint par les exigences de reddition de comptes annuelle figurant à l’entente.

Le signal d’alarme a été tiré après que la vérité sur le rapport 2014 ait éclaté au grand jour : l’analyse du gouvernement, exigée au plus tard le 15 mai, sera basée en partie sur une consultation en ligne qui n’aura duré que six jours ouvrables.

Un appel public auprès des « parties intéressées » a discrètement été affiché sur le site Web du gouvernement le 19 mars 2014, mais l’échéance pour participer a été fixée à seulement six jours ouvrables plus tard, soit le 26 mars 2014.

Or, il y a des mois que des organisations canadiennes présentes depuis longtemps en Colombie demandent aux responsables du gouvernement de faire la lumière sur leur plan de consultation, y compris les dates, les échéances et les modalités qui s’y rapportent. Pourtant, cette information n’a été rendue publique qu’après le début de cette période déraisonnablement courte.

Le processus de consultation est si lacunaire que nombre d’organisations et d’activistes ont décidé, devant l’impossibilité de respecter une échéance aussi dérisoire, de ne pas déposer de mémoire.

« Le gouvernement prétend vouloir consulter les parties intéressées, mais nos organisations membres, qui collaborent étroitement avec des secteurs de la société colombienne qui subissent les pires violations des droits de la personne, n’ont pas été avisées dans des délais acceptables de cette occasion (extrêmement limitée dans le temps) de s’exprimer », s’indigne Stacey Gomez, coordonnatrice du Groupe d’orientation politique pour les Amériques (GOPA).

« Qui plus est, aucune annonce publique n’a été faite pour lancer cette brève période de consultation. Les organisations ne l’ont découvert qu’après coup, et ce, uniquement à force d’insister auprès des responsables du gouvernement. »

« Dans ces conditions, comment le gouvernement peut-il s’attendre à recevoir une rétroaction significative? En fait, la situation soulève de sérieuses questions quant aux intentions du gouvernement », affirme  Alex Neve, secrétaire générale d’Amnistie internationale Canada.

« Cela nous inquiète beaucoup que le gouvernement semble si peu enclin à écouter les personnes et les organisations qui détiennent des renseignements de première main sur la portée des violations des droits de la personne en Colombie – renseignements qui s’avèrent essentiels, voire centraux, à toute étude d’impact sérieuse sur le sujet. »

« À répétition, les deux États parties nous ont assuré que l’Accord de libre-échange Canada-Colombie contribuerait à améliorer la situation des droits de la personne. Or en 2013, 26 activistes et chefs syndicaux ont été assassinés, comparativement à 4 en 2012 », rapporte Robyn Benson, présidente nationale de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC).

« Nous avons également été témoins d’un élan de répression et de violence contre les personnes faisant obstacle à l’hyper développement des pétrolières, des mines et de l’agriculture en Colombie, des secteurs auxquels les investisseurs étrangers ont maintenant accès grâce à l’Accord de libre-échange. »

Les membres du GOPA continuent de réclamer qu’une étude d’impact crédible et indépendante soit réalisée à intervalles réguliers dans le cadre de l’ALÉCC, en guise de mécanisme de diligence raisonnable visant à empêcher que les échanges commerciaux n’exacerbent la crise des droits de la personne en Colombie. De plus, ils s’attendent à ce que les organisations canadiennes et colombiennes surveillant l’état de ces droits depuis des décennies en Colombie se voient accorder un délai raisonnable pour contribuer au processus. Consultez cerapport.


Contexte

Malgré l’inquiétude généralisée soulevée par la grave crise des droits de la personne qui sévit en Colombie, l’ALÉCC a été signé à la condition supplémentaire que les deux États présentent chaque année à leurs instances législatives respectives un rapport détaillant son incidence sur les droits de la personne. L’entente est entrée en vigueur en août 2011.

 En 2012, le gouvernement canadien déposait un rapport vide, prétextant un manque de temps et de données. Il récidivait en 2013, avec un rapport qui ne réussissait pas du tout à rendre compte des réalités funestes entourant les droits de la personne en Colombie, et encore moins à les analyser. Et lorsque les organisations de la société civile canadienne ont voulu offrir leur rétroaction, elles se sont heurtées à un mur de silence. Le rapport de 2013 affirme que le gouvernement a lancé sur son site Web, neuf jours avant l’échéance de remise dudit rapport, un appel public au dépôt de mémoires, et ce, « afin de s’assurer que toutes les parties intéressées aient la possibilité de faire part de leurs commentaires ». Toujours selon ce rapport, ce mécanisme n’a généré aucune rétroaction.

 Voilà qui soulève d’inquiétantes questions quant aux efforts faits pour véritablement ouvrir la consultation aux communautés, aux personnes et aux organisations qui sont en mesure de témoigner directement des effets de l’ALÉCC sur les droits de la personne. Ce n’est certainement pas une annonce obscure faite sur une page Web du gouvernement qui attirera leur attention, surtout qu’aucun avis public ne semble avoir été diffusé. Pire, la page n’est même pas disponible en espagnol.

 La gravité de la situation en Colombie en lien avec les droits de la personne a été soulignée à l’occasion d’une table ronde parlementaire le 5 février. Des défenseurs des droits autochtones ont en effet présenté un témoignage troublant au Groupe parlementaire multipartite pour la prévention du génocide et autres crimes contre l'humanité : menaces, attaques et assassinat sont sans cesse perpétrés contre les peuples autochtones occupant des terres destinées à l’exploitation des richesses naturelles, y compris celles monopolisées par des sociétés canadiennes. Des syndicalistes continuent d’être terrorisés, attaqués et massacrés, tandis qu’une flambée meurtrière ravage toujours les collectivités qui cherchent à se réapproprier les terres usurpées dans la foulée d’un interminable conflit armé, ou qui s’opposent à l’utilisation des terres pour des mégaprojets commerciaux.

 Le Groupe d’orientation politique pour les Amériques (GOPA) réunit des dizaines d’ ONG œuvrant dans le domaine du développement international et de l’aide humanitaire, des groupes de défense des droits humains, des syndicats, des instituts de recherche ainsi que des associations confessionnelles et des regroupements de solidarité canadiens, dont Amnistie internationale et l’AFPC, pour travailler sur des questions politiques liées à la justice sociale et au développement.

 Amnistie internationale Canada est une organisation impartiale de défense des droits de la personne qui surveille de près la situation en Colombie et dans d’autres pays du monde, et qui milite pour la prévention et la fin des violations des droits de la personne.