L’individualisation de la retraite ou la « dépossession tranquille »

2014/03/28 | Par Maude Messier


Que ce soient les difficultés économiques des municipalités, du secteur public ou des entreprises, de la dette publique ou de l’iniquité intergénérationnelle, la question de la retraite est un catalyseur largement utilisé pour parler de tout ce qui va mal et pointer comme source de bien des maux.

La santé des régimes de retraite allait bien avant la crise financière de 2008. On en faisait peu état. Mais depuis 2008, le sujet est récurrent et fait les choux gras de bien des commentateurs et analystes. Les régimes collectifs de pensions, spécialement ceux du secteur public et parapublic, sont la cible des attaques de la droite économique.

« On ne peut blâmer ou tenir pour responsables les retraités et les travailleurs qui participent à ces régimes. C’est du salaire différé. Les employeurs ont choisi que de payer plus tard, sous la forme de rentes, plutôt que de payer des hausses de salaires en période faste. Et ils se sont octroyés des congés de cotisations en période de surplus, affirmant qu’ils seraient responsables des déficits. L’histoire le démontrera autrement… », d’affirmer Ève-Lyne Couturier, chercheure à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), devant une assemblée de quelque 350 syndicalistes réunis à Montréal, ce jeudi et vendredi, pour le séminaire annuel de la FTQ sur la retraite.

Ève-Lyne a fait le tour de quelques lieux communs sur les régimes de retraite, déboulonnant ces formules toutes faites, entendues et répétées partout.

Par exemple, le départ à la retraite des baby boomers ne date pas d’hier et jusqu’à présent, ça ne semblait pas être un problème si préoccupant. Elle fait valoir que ce ne sera pas le premier changement dans la société où il y aura une inversion démographique du ratio actifs-inactifs. « Lorsque les boomers sont venus au monde, il a y a eu des chamboulements dans la société. Ce ne sera donc pas la première fois. »

S’il est vrai qu’il y a moins de personnes considérées comme actives, elles travaillent toutefois de plus en nombre d’heures, affirme la chercheure. Plus, les données utilisées pour comptabiliser les actifs et inactifs au fil des ans et établir des comparatifs dans le temps ne tiennent pas compte du fait que les femmes, bien que considérées comme actives, n’ont pas toujours occupé une aussi grande place dans le marché du travail. Avant 1970, nombreuses étaient celles qui ne travaillaient pas, comme salariées à proprement dit.

Pour mieux comprendre l’évolution des régimes de retraite au Canada et au Québec, un bref survol historique permet de mieux comprendre le paradigme qui dicte, à son avis, les orientations politiques d’aujourd’hui.

De la fin du 19e siècle jusqu’à 1945 environ, les régimes de retraite étaient plutôt rares et non garantis. Ils étaient présents d’abord pour palier la dangerosité d’un emploi, une forme de compensation pour les « survivants ». Ils seront aussi un outil de contrôle social par les employeurs, une monnaie d’échange, pour empêcher la syndicalisation.

De 1945 à 1980, la hausse du taux de syndicalisation et l’augmentation du rapport de forces des travailleurs fait en sorte que l’établissement de régimes de retraite fait partie des revendications des syndiqués. Pendant les années fastes des trente glorieuses, alors qu’il y a une transformation dans la perception du rôle de l’État comme acteur social, les gouvernements concèdent des avantages fiscaux pour favoriser la mise en place de régimes de retraites privés et collectifs par les employeurs.

La composante fordiste a aussi un rôle à jouer. Si l’économie roule grâce à la consommation, encore faut-il que les travailleurs aient les moyens de consommer ce qu’ils produisent, y compris au moment de la retraite.

De 1980 à 2010, c’est la montée de l’individualisme. Si les régimes d’épargne retraite (REER) ont été créés en 1977 pour permettre aux travailleurs autonomes d’épargner, on y voit désormais une solution généralisée.

Alors que les régimes de retraites reposaient sur les principes du financement collectif et de la gestion collective des risques et de la longévité, l’épargne en vue de la retraite repose de plus en plus sur les individus.

« Il y a un véritable travail de fond sur les idéaux qui s’effectue et il en résulte un effritement social, l’érosion des acquis, insiste Ève-Lyne Couturier. À ce jour, la majorité de la population ne peut pas s’attendre à avoir des revenus adéquats la retraite venue. »

C’est dans cette perspective que s’inscrivent les REER, les Comptes d'épargne libre d'impôt (CELI) et le Régime volontaire d'épargne-retraite (RVER).

Dans son discours d’ouverture, le président de la FTQ, Daniel Boyer, a insisté sur le fait que l’épargne individuelle devrait être « le crémage, et non pas le gâteau ». Il déplore que le gouvernement du Québec ait choisi de miser sur le RVER, des « plasters », selon lui, qui ne font que « patcher les bobos », sans s’attaquer au véritable problème de la pauvreté chez les aînés.

Pourtant, même le rapport d’Amours et l’OCDE ont reconnu que les régimes de retraite collectifs à prestations déterminées sont les plus efficaces et offrent une meilleure protection, à moindres coûts.

À la défense du RVER, certains invoqueront le modèle de la Nouvelle-Zélande qui a connu de belles réussites. Mais encore faut-il mentionner que ce régime contraint l’employeur à cotiser, ce qui n’est pas le cas ici, et que le gouvernement verse un montant de base pour les nouveaux participants.

La couverture, soit le nombre de personnes couvertes par un régime, est « excellente », précise M. Couturier, mais le taux de remplacement du revenu à la retraite est sous la barre des 50%. On parle généralement d’un taux acceptable lorsqu’il se situe autour de 70%.

La chercheure cite plutôt le cas des Pays-Bas qui ont développé un système à trois composantes : un régime public fort, des régimes privés fort et de l’épargne personnelle. Les régimes complémentaires privés sont sectoriels, quasi obligatoires et tous à prestations déterminées, explique-telle. Le taux de remplacement dépasse 100%!

« Mais c’est une révolution. Il faudrait tout mettre à terre et reconstruire. Mais on peut faire mieux à partir de ce qu’on a déjà ici, le Régime de rentes du Québec. »

Elle souligne que les régimes publics (Régime de pensions du Canada et RRQ) n’offrent pas un revenu de remplacement suffisant pour bénéficier d’une retraite décente. De plus, à peine 35% des Québécois ont accès à un régime complémentaire de retraite. Pour tous les autres, la balance à combler des revenus à la retraite reposent sur l’épargne individuelle.

La FTQ mène au Québec depuis quatre ans, de concert avec le CTC ailleurs au Canada, la campagne « Une retraite à l’abri des soucis! », qui a d’ailleurs recueilli l’appui d’une centaine de groupes de la société civile, de femmes, de retraités, de défense des droits des plus démunis, etc.

Pour assurer une retraite décente et diminuer la pauvreté chez les aînés, la FTQ propose notamment une bonification substantielle du RRQ afin d’en doubler la rente, la faisant passer de 25% à 50% du revenu moyen en carrière. Elle souhaite aussi augmenter le revenu cotisable maximum à 69 000 $, comme pour la CSST et la SAAQ. Le tout, dans un fonds entièrement capitalisé.

Combien de tels changements coûteraient? 3% de la cotisation sur 7 ans.

Parlant de pauvreté chez les aînés, actuellement, la rente moyenne mensuelle pour les femmes est d’un peu plus de 370$ et de près de 565$ pour les hommes. Au Québec, 44% des gens de 65 ans et plus reçoivent des prestations de Supplément de revenu garanti, «l’allocation de bien-être social des retraités». Ailleurs au Canada, la proportion est de 34% et de 28% en Ontario.

Le taux d’activité a doublé entre 2008 et 2012 chez la catégorie des 65-69 ans au Canada. La FTQ y voit un retour au travail forcé pour plusieurs en raison des déboires des marchés financiers. Une autre démonstration des conséquences de faire porter les risques sur les épaules des individus seuls plutôt que collectivement.

Pour bonifier le RPC et le RRQ, il faut l’accord des provinces représentant les deux tiers de la population. Ce consensus a été atteint l’an dernier, mais le ministre des Finances fédéral, Jim Flaherty, a imposé son veto.

Sylvain Schetagne du CTC a rappelé aux participants du séminaire que, devant la sourde oreille et l’immobilisme du gouvernement fédéral, la bataille se déplace donc dans l’arène politique en vue des élections d’octobre 2015. Il a souligné que les différentes élections provinciales, spécialement celles du Québec et de l’Ontario, seront aussi cruciales pour ne pas perdre ce consensus, impossible à atteindre sans elles.