Régimes de retraite : le piège dissimulé dans le retour à la solvabilité

2014/04/07 | Par Maude Messier

« Alors que certains croient avoir sauvé leur régime à prestations déterminées, ces régimes désormais fermés aux nouveaux employés sont en fait sous respirateur artificiel. Négo après négo, on craint de les voir fermer avec le retour à la solvabilité », soutient Marie-Josée Naud, conseillère syndicale à la FTQ et responsable du dossier de la retraite.

Les indices financiers sont de plus en plus encourageants quant à la santé financière des régimes de retraite qui se portent beaucoup mieux qu’au 31 décembre 2012, indique-t-elle. Un grand nombre renoueront sous peu avec la solvabilité, voire même avec les surplus.

« Je dirais que c’est un message qu’on essaie de passer depuis quelques années : il faut profiter de la période creuse pour restructurer nos régimes de retraite afin qu’ils puissent passer au travers des tempêtes par la suite.Depuis 2008, il est vrai que les employeurs ont bénéficié de mesures d’allègement, mais ils paient cher pour renflouer les régimes de retraite. Et il est clair que ça a été une expérience douloureuse. »

En janvier dernier, le gouvernement du Québec a mis en place trois forums de travail paritaires en vue de la restructuration des régimes de retraite à prestations déterminées, dont un pour le secteur privé.

Pour Mme Naud, une approche de financement plus prudente est impérative : pas de congé de cotisation ou de bonification automatique dès qu’il y a des surplus, financer des réserves, mettre certaines prestations accessoires, gérer les surplus de façon responsable et peut-être toucher l’âge de la retraite dans certains cas. « Il faut une approche plus fourmis que cigale. Certains l’ont fait et c’est tout à l leur honneur. Ces régimes là ont plus de chances de survivre. »

Mais pour avoir participé aux rencontres, elle affirme que le message envoyé par la partie patronale est sans équivoque : « La pérennité des régimes de retraite, ça ne nous intéresse pas. Ce qui nous intéresse, nous et nos actionnaires, c’est la pérennité de nos entreprises. C’est aussi clair que ça. »

À son avis, il s’agit d’un message alertant. Spécialement si on considère que les régimes PD à la charge de ces entreprises sont souvent les seuls qu’il leur reste. « Ailleurs dans le monde, pour une entreprise comme Rio Tinto par exemple, et c’est loin d’être la seule, les régimes PD, c’est fini. Alors oui, ils discutent de restructuration à court terme, mais ce qu’ils ont en tête, pour la majorité d’entre eux, c’est de trouver une autre option où ils ne seront plus exposés aux déficits des régimes de retraite. »

Ce qui se confirme d’ailleurs par la forte tendance qu’ont les employeurs depuis quelques années, lors des négociations de renouvellement de conventions collectives, de demander la fermeture du régime PD en place aux nouveaux employés, leur donnant plutôt accès à un régime à cotisations déterminées (CD).

À la FTQ, comme pour d’autres organisations syndicales, cette pratique revient à introduire des clauses de disparités de traitement. Mais la législation entourant les clauses orphelins est floue en ce qui concerne les régimes de retraite et la pratique n’est donc pas considérée comme illégale.

« Je ne jette pas de pierre à personne. Dans la majorité des cas, ces clauses sont adoptées avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête, en échange d’investissements ou encore avec menace de fermeture. Souvent même, l’exécutif syndical local s’y oppose, mais les syndiqués votent pour. Parce que les travailleurs que ça affectera ne sont pas assis avec eux, ils ne sont pas engagés. Il n’y pas de conséquence immédiate autre que celle d’avoir l’impression, et c’est une impression, de sauver leur régime de retraite. Mais rien n’est moins sûr. »


Arrêter de saigner avant de couper le bras

Les entreprises cherchent donc à se départir non pas directement des régimes de retraite, qui peuvent souvent constituer un élément d’attraction et de rétention de main-d’œuvre, mais bien du risque que les régimes PD représentent.

D’autant plus que depuis 2013, avec les nouvelles normes comptables internationales, les déficits des régimes de retraite font partie du bilan financier des entreprises. Les entreprises plus jeunes, sans régime PD ou avec un régime qui n’est pas mature, sont donc avantagées. Ce qui ajoute une pression sur les régimes PD.

« Concrètement, une entreprise dans le même créneau que Bombardier serait donc avantagée parce que Bombardier a un régime mature avec beaucoup de retraités. »

Mais fermer un régime déficitaire coûte cher, parce que les employeurs sont responsables du déficit et doivent renflouer la caisse. Introduire une disparité de traitement, un régime CD pour les nouveaux employés, revient finalement à mettre une pansement pour éviter la saignée.

Mais, à la FTQ, on craint qu’il ne s’agisse, pour plusieurs, que d’une mesure transitoire. Une fois le retour à la solvabilité du régime, il sera plus facile et moins couteux pour un employeur de fermer définitivement le régime PD.

Bien entendu, la fermeture d’un régime doit se faire dans le processus de négociation, à moins que le régime ne fasse pas partie de la convention collective. Dans ce cas, c’est la prérogative de l’employeur.

Mme Naud souligne qu’il ne s’agit pas d’une situation avérée à l’heure actuelle, mais « nous sommes dans un moment charnière. Beaucoup de régimes ont retrouvé la voie de la pleine solvabilité. C’est aux prochaines négociations qu’on pourra vérifier la situation, voir si c’est amené aux tables. Mais c’est une crainte réelle. »

Si les régimes PD disparaissent, que restera-il? Les régimes d’accumulation de capital (CD, RVER, REER, CÉLI), par opposition aux régimes d’accumulation de rentes, comme les régimes PD… et les régimes à prestations cibles (RPC).

« En fait, ce que les employeurs attendent présentement, c’est la possibilité de convertir leur PD en RPC. Ça fait d’ailleurs partie des sujets à aborder aux travaux du forum : comment ça va marcher les RPC. »

Les régimes à prestations cibles existent déjà ailleurs au Canada. Le Nouveau-Brunswick a d’ailleurs récemment transformé le régime PD du secteur public en RPC. Pour le moment au Québec, les RPC n’existent que dans le secteur du papier, avec une règlementation spécifique pour répondre aux grandes difficultés économiques qu’a connues le secteur. Mais il est clair pour la FTQ que c’est vers cette tendance que le vent souffle.

Dans un RPC, l’employeur verse une cotisation fixe et n’assume pas de responsabilité en cas de déficit, elle repose entièrement sur les participants. En cas de déficit, il faut soi augmenter les cotisations, ne pas verser un avantage prévu mais conditionnel au rendement, comme l’indexation par exemple, ou diminuer la rente des retraités le temps que la santé du régime se rétablisse.

C’est cette dernière partie qui inquiète le plus. « Dans l’éventualité de la mise en place du RPC, nous souhaitons que le législateur prévoit des balises importantes dans ces régimes pour éviter que les retraités ne soient coupés. »

Pour la FTQ, à partir du moment où l’employeur n’assume aucun risque en dehors de verser sa cotisation, la représentativité majoritaire des travailleurs à la gouvernance des régimes est essentielle puisque ce sont eux qui prennent tous les risques.

Mais comme les modalités du RPC ne sont pas connues pour le moment, le mot d’ordre syndical est la protection des régimes PD.


Le RRSF-FTQ : les bases d’un nouveau modèle?

Mais un RPC pour lequel il serait impossible, sauf dans des cas très exceptionnels, de toucher la rente des retraités, ressemblerait en beaucoup de points au Régime de retraite par financement salarial de la FTQ (RRFS).

Mis sur pied en 2008, le RRSF-FTQ compte aujourd’hui tout près de 8 000 cotisants et la caisse atteignait 41,5 millions $ au 28 février 2014. Le taux de capitalisation du régime est de 194,5% et celui de solvabilité, 117,6%.

Si le RRFS-FTQ permet aux syndicats affiliés qui n’ont pas accès à un régime PD auprès de leur employeur d’avoir accès à un meilleur régime de retraite, au dernier congrès de la FTQ, en décembre 2013, une résolution a été adoptée pour aussi permettre l’accès au RRSF-FTQ dans les milieux de travail où un régime CD a été mis en place pour les nouveaux employés.

Cette possibilité est conditionnelle à ce que l’employeur verse une cotisation équivalente à ce qu’il verse aux autres travailleurs bénéficiant du PD. Une précision qui vise à éviter d’encourager la déresponsabilisation totale des employeurs face aux régimes PD, faisaient valoir les débats sur le plancher du congrès.

Ces discussions ne sont font pas sans heurts en milieu syndical. Il y a des mentalités à changer, des constats à analyser, et des solutions à développer. Certains syndicats, et travailleurs, voient par exemple dans les RPC, et le RRFS-FTQ, une menace à la sauvegarde des régimes PD traditionnels.

Le cas de Rolls Royce, dans l’ouest de Montréal, est intéressant à cet effet. En 2013, devant une demande de l’employeur pour introduire un régime CD pour les nouveaux employés, le comité de négociation a réussi à le convaincre de plutôt carrément fermer le régime PD et de transférer la totalité du régime dans le RRFS-FTQ, pour l’ensemble des employés.

Une situation qui, même si elle signait la terminaison du PD, garantissait l’équité intergénérationnelle et un régime de qualité pour tous les employés. L’employeur aurait continué de verser sa cotisation, mais n’aurait plus eu à assumer les risques. Les syndiqués ont voté contre à 51%, préférant préserver leur régime PD. « Mais pour combien de temps? », questionne Marie-Josée Naud.

75% des promoteurs cotés en bourse ont déjà fermé au moins un régime aux nouveaux participants, selon des données révélées par Aon Hewitt en 2013. La FTQ craint de voir de plus en plus de travailleurs se retrouver avec un régime de retraite moins avantageux, un CD pour ne pas le nommer, pour lequel ils doivent assumer individuellement les risques liés aux fluctuations des marchés financiers et les coûts d’administration des régimes. Et tous ne sont pas à la même page lorsqu’il est question de littéracie financière.

Signe que le choc des dernières années et les difficultés que rencontrent les syndicats dans les négociations collectives lorsque survient le dossier des régimes de retraite amènent les mœurs à changer, des voix s’élèvent pour exprimer le fait que les RPC, adéquatement balisés, pourraient en fait constituer une occasion de prise en charge collective, et syndicale, de la retraite par les travailleurs.

Oui, les RPC signifient la fin de la responsabilité du risque pour les employeurs, mais pas la fin des cotisations.

Ils pourraient aussi signifier la fin de la mainmise patronale sur les surplus. La fin de la gouvernance patronale des régimes de retraite des travailleurs, pourtant financés par du salaire différé. Ils pourraient être une occasion d’éducation financière et d’activisme d’actionnaires pour les organisations syndicales, leur donnant un nouveau levier dans leur rôle social et économique.

La création d’une fiducie globale, avec les petits et les gros groupes de cotisants, pourrait présenter des avantages considérables, notamment sur les frais de gestion.

Mais la mise en place de la règlementation entourant les RPC pourrait tarder. Entretemps, la crainte est de voir des régimes PD qui auront renouvelé avec la solvabilité disparaitre au profit des CD.