L’intervention de l’État dans l’économie

2014/05/23 | Par Gabriel Ste-Marie

L’idée selon laquelle il faudrait diminuer l’intervention de l’État pour développer l’économie est un fâcheux mythe. Aux États-Unis, en Europe, en Chine, au Canada et ailleurs, le rôle de l’État demeure crucial, tant dans le soutien aux entreprises et à l’emploi que dans l’innovation.

Le Québec a tout avantage à se doter d’un État qui serve ses intérêts plutôt que ceux de ses voisins, que ce soit l’Ontario, l’Alberta ou Terre-Neuve. Il s’agit d’un argument économique majeur en faveur de l’indépendance du Québec.

Si, dans plusieurs pays, l’État délaisse son rôle de redistribution de la richesse, il n’en continue pas moins d’intervenir massivement dans l’économie, surtout depuis la récente crise économique.

Pour les sauver de la faillite, le gouvernement américain a nationalisé de grandes banques comme AIG et le constructeur automobile GM. Pour combattre la récession, il a déployé un plan d’aide aux entreprises et aux institutions financières de plusieurs centaines de milliards $, sans compter l’injection par sa banque centrale de milliers de milliards $!

L’État n’intervient pas seulement lors des récessions. Il défend ses intérêts nationaux lorsqu’il ratifie les différents traités internationaux, comme l’accord économique Canada-Europe (AÉCG). Il fournit les infrastructures pour le bon fonctionnement de l’économie (communication, services sociaux, sécurité, énergie, etc.).

Pour assurer ces services, il octroie des contrats à des entreprises nationales leur permettant de se consolider afin qu’elles soient ensuite présentes sur la scène internationale.

Les multiples scandales liés aux bureaux d’ingénieurs montrent que ces effets leviers peuvent être parasités par une clique de profiteurs. L’économiste James Galbraith l’a brillamment illustré dans L’État prédateur (Seuil).

Le pan législatif est aussi fréquemment axé vers la défense des intérêts nationaux. L’ancien premier ministre Jacques Parizeau a rappelé, à plusieurs reprises, que des États comme la France, le Royaume-Uni et les États-Unis se sont dotés de mécanismes pour la défense de leurs intérêts nationaux, en protégeant le contrôle national dans des secteurs stratégiques comme l’énergie, la sécurité ou l’agriculture.

La recherche fondamentale est un autre secteur où l’État joue le premier rôle. Dans un récent ouvrage, The Entrepreneurial State: Debunking Public vs. Private Sector Myths , l’économiste Mariana Mazzucato montre que la majorité des innovations émanent du secteur public.

Les découvertes scientifiques sont le plus souvent issues de la recherche fondamentale réalisée par des universités ou des centres de recherche publics, ou encore par le secteur militaire. L’exemple le mieux connu est l’Internet, qui a été conçu par le Département de la Défense américain. La Silicion Valley s’est aussi développée à la faveur de contrats militaires.

La plupart des technologies utilisées dans les iPod, iPad et iPhone viennent du secteur public. L’apport de l’entreprise de Steve Jobs a été de combiner ces innovations afin d’en faire des produits commercialisables.

La situation est la même avec l’industrie pharmaceutique. Mazzucato explique que 75% des nouveaux produits pharmaceutiques découverts entre 1993 et 2004 proviennent de laboratoires gouvernementaux.

Le rôle de l’État dans l’économie est primordial. En restant dans le Canada, le Québec se trouve affaibli. Le Québec province ne bénéficie pas d’un État entier pour assurer le plein développement de son économie et l’État canadien protège avant tout les intérêts du Canada anglais. De plus, ce dédoublement étatique met une pression indue sur les finances publiques.

Le gouvernement canadien sert mal les intérêts du Québec. Les exemples de cette asymétrie sont nombreux. Pour la filière énergétique, l’État central subventionne l’industrie pétrolière à coups de milliards de dollars et a mis en place une règlementation complaisante à son égard. La filière nucléaire, concentrée en Ontario, bénéficie aussi d’un important soutien financier et logistique de l’État canadien. Ottawa n’accorde aucun soutien à notre hydroélectricité, mais a promis des milliards $ en garantie de prêt pour financer le câble sous-marin qui permettra à Terre-Neuve d’exporter son électricité en contournant le réseau Québécois.

Suite à la grande récession, l’État canadien a secouru l’industrie automobile ontarienne avec un plan de treize milliards $. Pourtant, en 2002, il n’avait rien fait pour éviter la fermeture de l’usine de GM à Boisbriand, la seule usine d’assemblage automobile au Québec.

Le gouvernement canadien a aussi été laxiste par rapport aux emplois de l’industrie textile, principalement concentrés au Québec. Alors que les États-Unis ont défendu leur secteur textile face à la concurrence déloyale des pays en développement, le Canada a laissé filer les emplois avec la délocalisation des usines.

On justifie souvent les dépenses militaires par les emplois qu’elles créent au pays. Les derniers contrats de navires, totalisant 33 milliards $, ont été octroyés par Ottawa à des entreprises de Vancouver et Halifax. Les Chantiers Davie de Lévis ont été écartés. Tout porte à croire que les prochains contrats de jets militaires ne bénéficieront pas non plus au Québec, même si nous représentons le pôle aérospatial du Canada.

Sur la scène internationale, le gouvernement canadien défend avant tout les intérêts de ses pétrolières, quitte à sacrifier les protocoles environnementaux de même que sa réputation. Dans le récent Accord Canada-Europe, il a laissé tomber les fromagers québécois. Il aurait bradé le fromage contre le bœuf de l’Ouest. Il serait aussi prêt à abandonner le système de quota en agriculture dans les négociations avec les pays du Pacifique.

Le gouvernement canadien s’est accaparé des surplus de l’assurance-chômage pour financer le remboursement de sa dette publique. Les récentes compressions dans ce régime, en plus d’affaiblir un important outil de stabilisation économique, viennent chambouler tout le modèle d’occupation du territoire québécois.

Les mesures de soutien aux emplois saisonniers permettaient à une partie de la population de demeurer dans leurs régions. Leur retrait force à l’exode. Un des objectifs poursuivis est de favoriser la migration de ces travailleurs vers l’industrie des sables bitumineux, afin de pallier la pénurie de main-d’œuvre. Avoir une stratégie d’occupation du territoire est essentiel pour toute nation. Se la voir ainsi attaquer, sans dialogue, est un scandale.

Les exemples du désintérêt de l’État canadien pour l’économie québécoise sont nombreux. Par exemple, le Pont Champlain, qui menace de s’effondrer, aurait dû être rénové, il y a dix ans. Le fédéral a préféré ignorer les rapports alarmants. Il annonce en plus qu’il y aura un péage, puisqu’il s’agirait d’un pont régional, même s’il s’agit du pont le plus achalandé au Canada!

Face à cette asymétrie de traitement continuelle, le Canada anglais nous sert l’argument de la péréquation. Le montant transféré provenant des autres provinces est moins élevé qu’il n’y parait. Dans son livre Un gouvernement de trop (VLB), Stéphanie Gobeil a calculé qu’il serait de 4,6 milliards $, somme inférieure aux impôts des Québécois qui sont dépensés dans les autres provinces.

Par exemple, il y a 100 000 fonctionnaires fédéraux de plus qui travaillent en Ontario qu’au Québec. Au net, selon les calculs de Gobeil, un Québec indépendant épargnerait plus de deux milliards $ par année.

Tous ces exemples illustrent comment l’État canadien intervient dans l’économie pour défendre et développer les intérêts nationaux du Canada anglais. Avec la Révolution tranquille, l’État du Québec s’est développé et a soutenu, dans les limites de ses moyens, le développement de notre économie.

Ainsi, la Caisse de dépôt et de placements du Québec a joué un rôle important quant au financement de nos entreprises, alors qu’Hydro-Québec a développé nos régions et a permis l’émergence de nombreuses entreprises.

Cet État limité ne possède pas les avantages d’un État indépendant, comme de ratifier les traités internationaux, avoir les pleins pouvoirs de juridiction sur son territoire, mener sa propre politique économique, ou bénéficier de la politique monétaire de sa banque centrale.

Évidemment, les États indépendants n’ont pas une latitude absolue et doivent notamment composer avec la conjoncture mondiale. Par exemple, un Québec souverain aurait de la difficulté à mener seul une lutte à l’évasion fiscale. Mais il pourrait faire entendre sa voix parmi les autres nations pour réclamer ce genre d’actions. En attendant, c’est le gouvernement canadien qui parle en notre nom.

Face à la pression des finances publiques, alors que les déficits s’accumulent à Québec et les surplus à Ottawa, on évoque la privatisation d’Hydro-Québec. La Caisse de dépôt ne joue plus son rôle de financier de l’économie québécoise, préférant les rendements maximaux. À titre illustratif, une étude de l’IRÉC révélait qu’en 2011, 14% du portefeuille de la Caisse étaient placés en actions d’entreprises œuvrant dans les sables bitumineux!

Le Québec a tout avantage à reprendre en main les instruments permettant son développement économique, à mieux négocier les choix politiques d’Ottawa, et surtout à travailler à son indépendance.