Figure marquante du syndicalisme québécois

2014/05/26 | Par Nicole de Sève

Enseigner en milieu rural au cours des années 1930, c’est vivre des conditions de travail catastrophiques. Les commissions scolaires utilisent leur pouvoir d’engagement individuel de chaque institutrice pour imposer leurs conditions salariales et de travail.

Elles doivent fournir les livres, la craie, les brosses à tableau, le balai, le savon et très souvent payer le bois nécessaire pour chauffer l’école. Leur traitement est inférieur à 300 $ et plusieurs gagnent moins de 200 $ par année.

Conscient de cette injustice, le Comité catholique de l’instruction publique accorde un revenu minimum annuel de 300$ par an. Devant l’opposition systématique des commissions scolaires rurales, le gouvernement recule et reporte le salaire à 250$ par an.

Laure Gaudreault, enseignante et journaliste au Progrès du Saguenay, s’insurge contre cette situation. À ceux qui lui disent que l’instruction n’a pas de prix, elle leur rétorque « Sans doute est-ce cela la raison pour laquelle on ne nous paie pas ».

Elle fonde, en 1936, à la Malbaie, avec une trentaine de femmes, l’Association catholique des institutrices rurales. Son objectif est d’obtenir un salaire minimum à 300$ par année et abaisser à 20 ans le nombre d’années de service pour obtenir une pension de retraite.

Son idée fait boule de neige et d’autres associations se créent à travers le Québec. Rapidement, il faut regrouper ces militantes dans une organisation nationale. Pour cela, il faut obtenir l’autorisation du secrétaire provincial.

Laure Gaudreault impose, le 19 février 1937, une rencontre avec l’honorable Albini Paquette. Son message est sans équivoque « Nous ne venons pas ici pour suivre la mode parce que les délégations sont bien portées et qu’il est chic de venir se balader au Parlement. Nous ne gagnons pas assez cher pour nous payer cela. Nous venons (…) pour dire les conditions matérielles pitoyables dans lesquelles les institutrices des campagnes accomplissent leur mission ».

Devant l’arrogance du ministre, elle lui lance « Rappelez-vous, monsieur, que les ministres passent, mais que les associations demeurent ».

La Fédération catholique des institutrices rurales de la province de Québec est créée le 2 juillet 1937 à la Malbaie. Laure Gaudreault est élue présidente. Elle abandonne l’enseignement pour un syndicalisme qui s’inscrit nettement dans le courant du syndicalisme confessionnel catholique.

Commence alors tout le travail d’organisation de cette nouvelle association syndicale qui se donne un outil d’information indispensable, soit le bulletin Notre petite feuille.

Syndiquer ces institutrices est un travail titanesque. Chaque année, il faut recruter une à une ces femmes et vaincre leur peur de perdre leur emploi. Face à des institutrices qui avaient peur des commissaires d’école, elle leur répondait « Un droit c’est un droit; ça ne se demande pas, ça se prend ».

Malgré toutes les difficultés, des sections locales se développent dans toutes les régions du Québec, avec souvent l’appui du clergé et de certains élus locaux. Il faudra toutefois attendre 1942 avant que l’Office des Salaires raisonnables permette aux institutrices rurales d’obliger les commissions scolaires à leur verser un salaire minimum annuel de 300 $.

En 1944, le gouvernement abolit le droit de grève dans les services publics et introduit l’arbitrage obligatoire. La Fédération lance alors une opération visant à réclamer, devant les tribunaux d’arbitrage, un salaire minimum de 600 $ pour l’année scolaire 1944-1945.

En 1946, 96 % du personnel enseignant laïc des commissions scolaires rurales et urbaines est syndiqué et plus de mille conventions collectives sont signées.

Devant le succès de l’opération, le gouvernement de Maurice Duplessis adopte la Loi pour assurer le progrès de l’éducation retirant le droit à l’arbitrage en milieu rural et fixant le salaire minimum à 600 $ par année.

Devant les attaques au mouvement syndical enseignant, le regroupement des associations d’enseignants devient une priorité. Aussi, en 1946, est créée la Corporation des Instituteurs et Institutrices catholiques de la province de Québec (CIC).

Mais les mesures législatives antisyndicales, les congédiements arbitraires paralysent l’action syndicale. En 1952, il n’y a plus que 23 commissions scolaires où il y a une convention collective.

La CIC doit se restructurer. Les trois fédérations provinciales, qui regroupent différentes catégories d’enseignantes et d’enseignants, cèdent leur place à des fédérations diocésaines.

Laure Gaudreault est inquiète de ce changement, car les institutrices rurales sont noyées dans des fédérations où leurs préoccupations n’occupent plus la première place.

Au fil des ans, elle observe aussi que le corporatisme enseignant doit céder la place à un syndicalisme plus militant et revendicateur. En 1958, le congédiement obligatoire des institutrices à la fin de l’année scolaire est aboli. En 1959, la CIC obtient l’adhésion automatique du personnel enseignant de l’élémentaire et du secondaire œuvrant dans le secteur public et la déduction à la source.

En 1960, le droit à l’arbitrage est rétabli et le salaire minimum légal pour les institutrices rurales fait un bond prodigieux de 600 $ à 1 500 $ par an. Il demeure toutefois bien en deçà du salaire des instituteurs et des institutrices des villes

Toujours présente au sein de la CIC, Laure Gaudreault fonde en 1961 l’Association des retraitées et des retraités de l’éducation afin d’améliorer la rente de retraite du personnel enseignant.

Celle qui disait « Non, ce n’était pas le bon vieux temps. On s’est arraché le cœur à le changer » quitte le Conseil d’administration de la CIC en 1964. Elle a 75 ans. La même année, le nouveau code du travail accorde aux enseignantes et aux enseignants le droit de grève.