Embargo contre Cuba et changement de régime

2014/06/03 | Par André Maltais

Le 21 avril dernier, l’Agence de nouvelles Associated Press dévoilait une nouvelle tentative états-unienne de faire déraper la révolution cubaine : le financement d’un réseau social de type Tweeter, baptisé celui-là ZunZuneo, à travers lequel des SPAM de propagande politique étaient envoyés à des dizaines de milliers de citoyens cubains, pour la plupart des jeunes, les incitant à poser des actions subversives contre leur gouvernement.

La USAID utilisait comme paravent une organisation à but non lucratif de Miami, appelée Raices de Esperanza (Rayons d’espoir), qui veut faire des jeunes Cubains «les protagonistes de leur avenir» en leur donnant rien de moins qu’accès à des téléphones cellulaires!

Les premiers SMS parviennent à Cuba, en février 2010, après qu’une équipe états-unienne de criminels cybernétiques se soit introduite dans les banques de données de l’entreprise cubaine de télécoms, ETECSA, y recueillant des informations confidentielles sur plus de 60 000 citoyens et regroupant ces derniers par profils selon l’âge, le sexe, les intérêts, etc.

ZunZuneo cesse brusquement ses activités, en mars 2012. Il est immédiatement remplacé par Piramideo, un second projet dont l’intention de «dégeler Cuba grâce à Internet» montre le même infini mépris envers ce pays.

Piramideo est parrainé par l’Institut républicain international (IRI), la Heritage Foundation, le Cuba Study Group et Google Ideas dont le président, Jared Cohen, est décrit par Julian Assange comme «l’efficace directeur des changements de régimes de Google» et «le canal de transmission entre le Département d’État et la Silicon Valley».

Ce type d’agression n’est malheureusement pas nouveau pour Cuba, pays contre lequel les Etats-Unis ont tout essayé: isolement diplomatique et politique, blocus économique et commercial, actes de terrorisme, opérations d’espionnage et de sabotage, promotion de la subversion interne pour provoquer un soulèvement contre-révolutionnaire, tentative d’invasion militaire.

Mais, cette fois-ci, dit le journaliste et éditeur cubain, Iroel Sanchez, cela survient alors que Cuba est au milieu d’un délicat processus de réformes économiques et sociales et qu’en ce moment, la lutte idéologique entre le capitalisme et le socialisme y est très vive.

Entrepris peu après l’arrivée au pouvoir de Raul Castro, en 2008, ce processus, entre autres choses, étend la propriété coopérative au détriment de la propriété d’État, qui perd du terrain, et à l’avantage de la petite propriété privée qui, elle, grandit, notamment dans l’agriculture et les nouvelles industries. Il réduit aussi de moitié (de 30% à 15%) l’impôt sur les bénéfices nets des investisseurs étrangers.

Les États-Unis, nous dit Sanchez, cherchent à placer dans le débat interne en cours dans toute l’île, leur propre vision de l’avenir de Cuba. Mais l’embargo maintenu contre ce petit pays depuis plus d’un demi-siècle est devenu un boulet qui les désavantage face à leurs alliés de l’Union européenne. L’échec de ZunZuneo montre encore que Washington n’a pas la même liberté d’action à Cuba qu’au Venezuela, par exemple.

Le 8 novembre 2013, au cours d’une collecte de fonds à la résidence de Jorge Mas Santos, président de la Fondation cubano-américaine, Barack Obama lui-même plaidait pour une politique plus créatrice envers Cuba.

La semaine suivante, son Secrétaire d’État, John Kerry, précisait devant l’Organisation des états américains (OEA) que les voyages d’états-uniens et l’envoi d’argent à Cuba faisaient partie de cette créativité envisagée : «Aux Etats-Unis, dit-il, nous pensons que nos gens sont en réalité nos meilleurs ambassadeurs, les ambassadeurs de nos idéaux, de nos valeurs, de nos croyances».

On ne peut mieux dire, écrit Iroel Sanchez qui rappelle qu’on peut malheureusement être contre l’embargo et pour un changement de régime à Cuba. Ce que Washington n’est pas parvenu à faire par l’agression, dit-il, il est maintenant prêt à l’essayer par l’ouverture et l’amabilité. Le but demeure toutefois le même : ramener Cuba là où il était, en 1959, c’est-à-dire au capitalisme colonial.

C’est ainsi que le Cuba Study Group vient de consacrer tout le mois de mai à la campagne, CubaNow, dans le métro de Washington, placardant les murs de photos et citations de la blogueuse et opposante cubaine favorite des Etats-Unis, Yoani Sanchez, qui se prononce contre l’embargo.

Le quotidien, USA Today, répète presque les mots de Kerry quand il dit que CubaNow vise à presser l’administration Obama d’étendre la possibilité pour les États-uniens de voyager à Cuba et d’envoyer de l’argent à la nouvelle communauté d’affaires émergente, là-bas.

CubaNow et les médias, explique Iroel Sanchez, essaient de faire croire que la population états-unienne pousse son gouvernement à assouplir l’embargo alors qu’en réalité, l’initiative vient bel et bien du gouvernement. En se cachant derrière la pression populaire, celui-ci pense minimiser la méfiance cubaine et l’aveu d’une longue erreur de 54 ans suivie d’une honteuse défaite compte tenu des forces en présence.

Beaucoup de publicité est aussi accordée à un récent sondage du Conseil Atlantique, proche de l’OTAN, mené auprès des habitants de l’anticastriste Floride, qui vient montrer que 63% d’entre eux sont favorables à un dégel des relations avec Cuba, un pourcentage supérieur à celui de la moyenne nationale (56%).

À l’intérieur de Cuba, nous dit l’écrivain cubano-états-unien, Emilio Ichikawa, la contre-révolution vêtue de contre-révolution est battue et les Etats-Unis le savent. L’heure est probablement maintenant à la contre-révolution vêtue de révolution.

Ichikawa donne l’exemple d’un événement tenu du 6 au 8 mars dernier, à La Havane, par Espace laïc, organisation liée au Diocèse de La Havane et recevant des fonds de la Norvège. Un séminaire intitulé Foi religieuse, institutions nationale et modèles sociaux, aurait servi de prétexte aux plus jeunes participants pour se quereller avec la vieille dissidence traditionnelle traitée d’inefficace.

Cette nouvelle opposition «révolutionnaire et socialiste», dit Ichikawa, n’hésite pas à critiquer le retour au capitalisme de certaines des réformes en cours telles la création d’une zone spéciale de développement dans le port de Mariel et l’ouverture aux investissements étrangers (surtout s’ils sont brésiliens, russes ou chinois) en même temps qu’elle prône un retour au multipartisme et la fin du monopole de l’État sur l’éducation.

Ce tout petit réseau de blogueurs et twitteurs peut paraître ridicules en ce moment, à Cuba, écrit pour sa part le journaliste espagnol, Rodolfo Crespo, mais il attend son heure qu’il espère voir venir en 2018, année de réforme constitutionnelle et de sortie de scène politique pour Raul Castro, dernier membre de la génération historique de la Révolution.

Il est peut-être aussi moins seul qu’il ne paraît, ajoute Crespo, car plusieurs artistes et intellectuels cubains, comme le chanteur mondialement connu, Silvio Rodriguez (pour qui Cuba ne doit plus rimer avec révolution mais avec évolution), profitent du débat interne pour augmenter leur popularité internationale.

Quelques mois seulement avant la désintégration de l’URSS, rappelle Crespo, la population russe avait voté par référendum le maintien de l’Union Soviétique. Mais, dit-il, la tactique occidentale de flatter la vanité des politiciens, artistes et intellectuels soviétiques, a fini par convertir le politiquement impossible en politiquement inévitable.

ZunZuneo, Piramideo, CubaNow et l’emploi de vedettes comme Yoani Sanchez et Silvio Rodriguez, tout semble faire partie d’un même plan de changement de régime qui viendrait perturber l’atterrissage en douceur dans le capitalisme que se prépare Cuba.