Québec Solidaire et l’indépendance du Québec

2014/06/06 | Par Luc Charlebois et Hélène Lévesque

Premier d’une série de textes.

Au sein de QS, que reste-t-il de la ligne de pensée de l’Union des Forces Progressistes (UFP) qui liait indissociablement la lutte nationale aux luttes sociales? Peu de choses, sinon le constat que cette ligne de pensée ne s’est pas relevée de la fusion avec Option Citoyenne.

Pour comprendre ce détournement de sens et d’orientation de la gauche militante québécoise, qui a mené à une lutte fratricide entre personnalités de gauche à la dernière élection, un retour en arrière s’impose.

Tout d’abord, en 1998, à l’initiative de l’aut’ journal et de Paul Cliche, la gauche indépendantiste se réunit pour fonder le Rassemblement pour une Alternative Politique (RAP). Des discussions houleuses eurent lieu à savoir si le volet indépendantiste devait avoir préséance ou non sur le volet social. M. Cliche n’ayant pas donné d’orientation de base au mouvement qu’il avait mis au monde dans les pages de l’aut’journal.

Le résultat en a été des déchirements pour les uns, et des déceptions pour les autres. Bref, beaucoup de tirage de couverture de la part des différentes tendances organisées présentes à l’époque.

Parmi celles-ci le Parti Communiste du Québec (PCQ), le Parti de la Démocratie Socialiste (PDS), le Parti Vert, de nombreux syndicalistes, et de nombreuses militantes féministes. Toutes ces tendances (sauf le Parti Vert) ont convenu de créer, par la suite, un parti politique, en l’occurrence l’UFP.

Pour dénouer l’impasse, l’indissociabilité de la lutte nationale et des luttes d’émancipation sociales a été la position défendue par le nouveau parti réunissant les trois tendances majeures : le PDS (comprenant notamment le mouvement Gauche Socialiste), le RAP, et le PCQ.

Cette position de principe a rallié la gauche québécoise d’alors. Voici son libellé issu de la fondation du parti en juin 2002 :

« Tous et toutes, au sein de l’UFP, s’accordent à dire que la solution à cette question (nationale) nécessitera l’obtention de la souveraineté pour le peuple québécois. Ils s’entendent pour souligner le fait que la question nationale est liée à l’émancipation sociale.1


Il est à noter que cette position de principe résolument indépendantiste et à gauche sera répétée dans toutes les plates-formes politiques du parti ainsi que dans son préambule commun à toutes2. Malheureusement, cette bonne idée n’a pas été reprise à la naissance de QS en 2006.

Le point de bascule qui a emporté l’indissociabilité des deux luttes a été évidemment l’union avec Option Citoyenne, qui prônait :

Sans être une garantie, la souveraineté représente l'un des moyens de fournir au Québec les outils nécessaires à la réalisation d'un projet politique et social progressiste3

Avec cette position, OC faisait donc fi de la position de l’UFP, qui avait pourtant l’avantage de réconcilier toutes les tendances. De plus, en parlant de la souveraineté comme d’un moyen parmi d’autres, on mettait celle-ci de facto sur le même pied que le cadre fédéral canadien, qui n’était plus exclu.

Un retour en arrière s’est donc effectué et le vieux démon de la gauche québécoise est réapparu : la hiérarchisation des deux luttes, complémentaires dans leur essence même, du fait qu’aucune ne pourra se réaliser sans l’autre. C’est cette dernière position qu’incarne QS aujourd’hui.

La question qui se pose maintenant est celle-ci : comment des militants de la défunte UFP aussi aguerris que ceux provenant du PDS, du PCQ, du RAP et de Gauche-Socialiste entre autres ont-ils pu se faire passer un tel sapin?

Et surtout, comment se fait-il qu’on ne tente pas de défendre plus ardemment l’indissociabilité de l’indépendance nationale et de l’émancipation sociale au sein de QS, ce qui respecterait au moins les convictions étalées au grand jour par la majorité des membres de la gauche québécoise d’avant l’union avec OC?

Ramener la question sur le tapis à QS aurait plusieurs avantages, dont la cohérence du discours ne serait pas le moindre…

En effet, un de ces bénéfices serait d’incarner une réelle prise de position émancipatrice. Mme David a beau jeu de se dire souverainiste lors de débats télévisés, sa position à ce sujet est contredite par la position officielle de QS qui parle de constituante sur ce que le monde voudra bien. Bref, tout et n’importe quoi. Exactement dans la veine d’Option Citoyenne, comme si l’UFP n’avait jamais existée.

Un autre avantage serait de rapprocher les différentes tendances de gauche. De toute évidence, QS en rejetant l’indissociabilité des deux luttes a procédé à une scission de la gauche.

Comment se fait-il que le SPQ libre, M. Céré, Mme Mailloux, M. Breton, Mme Ouellet, les membres d’Option Nationale et tant d’autres ne se reconnaissent pas dans QS ?

On parle de citoyens très actifs à gauche qui devraient normalement être au moins en accord avec un parti identifié à la gauche québécoise.

De la même manière que l’indépendance nationale n’est pas la propriété exclusive du PQ, le discours de gauche n’est pas la propriété exclusive de QS; d’autant plus que par sa prise de position discutée plus haut, elle porte la responsabilité du fractionnement de cette même gauche.

Avec consternation, QS a envoyé ses coups les plus bas lors des dernières élections à M. Breton, M. Céré et Mme Mailloux, consacrant ainsi le caractère fratricide des divisions de la gauche.

L’arrachage systématique d’affiches électorales, les graffitis haineux et le vandalisme de locaux leur étant réservés.

Rien de tout cela contre la droite libérale de M. Couillard cependant… Objectivement, il s’agit là de tactiques dignes de la GRC/SCRS. En tous cas, ceux-ci n’auraient pas fait mieux, et n’en espéraient pas tant, le tout fait bénévolement en plus! Un gâchis sur toute la ligne pour la gauche québécoise.

Pour sortir de cette dynamique néfaste, il faut redonner à QS l’impulsion des débuts de l’UFP, afin que QS ne devienne la réédition du Mouvement socialiste, de la Ligue et tant d’autres qui n’ont su voir l’élan libérateur d’une lutte nationale pour leur propre cause.

En fait, nous ne considérons pas ce texte comme une dénonciation, mais comme un appel. M. Cliche et Khadir sont issus de l’UFP. Ils ont défendu la ligne de pensée de l’UFP à l’époque, nous les invitons donc à faire preuve de cohérence en défendant de nouveau leurs convictions d’antan, en remettant cette position au centre du discours de QS. Nous en faisons de même pour nos anciens camarades de lutte du PDS et du RAP.

Parce qu’en 2006, ce qui est apparu comme un compromis temporaire est clairement devenu une compromission en 2014.


3 Option Citoyenne, Le bien commun et la question nationale. Point 4. Document adopté lors de la rencontre nationale, octobre 2005