Le pacte des deux nations

2014/06/11 | Par Christian Néron

L’auteur est membre du Barreau du Québec, Constitutionnaliste, historien du droit et des institutions.

Patrimoine Canada a commencé sa publicité afin d’inviter la population canadienne à participer à de nombreuses célébrations qui s’échelonneront jusqu’au 150ième anniversaire de la Confédération, le 1er juillet 2017. Déjà, on annonce de nombreuses activités pour commémorer la Conférence de Charlottetown le 1er septembre prochain, ainsi que la Conférence de Québec à partir du 10 octobre 2014, conférence au cours de laquelle ont été adoptées les Soixante-douze résolutions qui allaient constituer la base de la nouvelle constitution de 1867. Toutefois, il y a une omission majeure dans les projets de commémoration : il s’agit du Pacte des deux nations conclu à Québec au cours du mois de juin 1864.

Ce pacte, pourtant fondamental, a toujours été le parent pauvre et oublié de notre histoire constitutionnelle. Ce parent pauvre et oublié constitue malgré tout l’évènement politique le plus important et le plus décisif au regard des droits constitutionnels de la province de Québec, au point qu’il devrait être considéré comme essentiel à l’interprétation de la Loi constitutionnelle de 1867. Mais les avocats et les juges en ignorent souvent jusqu’à l’existence.

Si ce pacte avait été plaidé et pris en compte dans l’interprétation de la constitution depuis près de cent cinquante ans, il est certain que le fédéralisme canadien ne serait pas celui que l’on connaît aujourd’hui. Alors, de quoi s’agit-il ?

En peu de mots, il s’agit d’un pacte solennel, conclu entre deux nations habitant un même territoire, et dont les tensions politiques étaient telles qu’elles risquaient de s’aggraver et de se résoudre dans une guerre civile, comme c’était alors le cas juste au sud de la frontière. Pour tenter de comprendre ce conflit à la lumière de la version qui en a été donnée par George Brown – concepteur, stratège et principal artisan de la Confédération –, ce pacte a constitué un moment historique où les représentants des « descendants des vainqueurs et des vaincus »1 ont convenu qu’il était devenu impératif de cesser de reporter la question constitutionnelle, de s’asseoir calmement, de fumer le calumet de la paix, de mettre un terme aux « maux et injustices » découlant de l’Acte d’Union, et de convenir d’une constitution de type fédéral, pourvue de deux chambres, dont l’une serait basée sur la population, et l’autre sur l’égalité des deux provinces.

Un pacte de paix fut donc conclu entre les deux nations. Puis, quelques semaines plus tard, c’est sur cette base que les « représentants des vainqueurs et des vaincus » ont convenu de participer à une conférence élargie tenue à Charlottetown le 1er septembre 1864. Sur la base d’une entente préliminaire alors conclue, ils ont invité les représentants des Maritimes à participer à une conférence constitutionnelle devant se tenir à Québec le 10 octobre 1864. C’est lors de cette conférence que les Soixante-douze résolutions à la base de la Confédération seront adoptées. Voyons dans quelles circonstances le Pacte des deux nations a pris forme.

Le gouvernement Taché-McDonald avait été défait en Chambre le 14 juin 1864. Il s’agissait du troisième gouvernement depuis le renversement du gouvernement Cartier-McDonald survenu le 20 mai 1862. Le lendemain, le gouverneur-général Monk accueillait une demande de dissoudre le parlement et de convoquer un appel au peuple. Toutefois, compte tenu du caractère persistant du conflit constitutionnel entre les deux populations, il insistait poliment auprès de l’équipe ministérielle d’essayer de former un gouvernement de coalition capable de trouver une solution durable au contentieux qui perdurait en s’aggravant et qui risquait de mener le pays au bord du gouffre. Dans le Haut-Canada, les marques d’impatiences se faisaient de plus en plus précises et alarmantes.

Dans le Bas-Canada, la population comprenait que l’impasse exigeait une solution, mais laquelle ? Les députés du Haut-Canada étaient pratiquement unanimes à exiger des changements majeurs à la constitution, alors que ceux du Bas-Canada étaient unis dans leur volonté de maintenir l’égalité législative garantie par l’Union. Le désaccord entre les deux populations était devenu tel, et l’animosité si grandissante, que certains, dont George Brown, n’hésitaient plus à claironner que la population du Haut-Canada était justifiée de recourir à toute espèce de moyens pour remédier aux maux et injustices qu’elle subissait de la part du Bas-Canada. Le recours à la guerre civile n’était même plus exclu ; tant de peuples d’ailleurs y avaient eu recours tout au long de ce siècle ! Le blocage était réel, sans solution en perspective. Le Haut-Canada exigeait « justice, et justice maintenant ! » Lui accorderait-on ? Sinon, irait-il jusqu’à passer de la parole aux actes ? À court terme, c’était peu probable, mais compte tenu du passé vindicatif de la population d’origine britannique, rien n’était exclu.

Le Bas-Canada devait-il céder à des menaces qui portaient ombrage à la sécurité de sa population ? George Brown, pour sa part, leader des réformistes du Haut-Canada et astucieux stratège politique, avait pavé la voie à une solution, idéale pour le Haut-Canada, et acceptable à une partie de la population du Bas-Canada : il s’agissait d’une constitution de type fédéral entre les deux provinces, avec représentation proportionnelle dans la chambre basse et égalité entre les deux provinces dans la chambre haute. De plus, chaque province demeurait autonome pour toutes les questions d’intérêt local. En fait, l’idée n’était pas originale, puisque lord Durham en avait fait état et que George-Étienne Cartier avait lui-même proposé une formule semblable en 1858.

Suite à la défaite du gouvernement, le mardi 14 juin, une première rencontre entre John A. McDonald et George Brown eut lieu le jeudi, en fin d’après-midi, puis une autre le vendredi matin, 17 juin. À la reprise des travaux de la Chambre, en après-midi, John A. McDonald annonçait que les pourparlers en cours permettaient d’espérer la formation d’un gouvernement de coalition disposé à s’engager dans une réforme de la constitution.

Le lendemain, samedi le 18, la reprise des entretiens a de quoi étonner : deux ennemis de longue date, George Brown, à titre de représentant des « descendants des vainqueurs », et George-Étienne Cartier, à titre de représentant des « descendants des vaincus », acceptent de se rencontrer face à face, se donnent une accolade de réconciliation, et conviennent de s’asseoir pour discuter d’une constitution, possiblement fédérale, capable de rétablir les ponts et de favoriser une véritable collaboration entre les deux nations. Les pourparlers se poursuivent pendant la journée entière. Le soir venu, Cartier, qui représente la majorité de la députation du Bas-Canada, accepte de renoncer aux garanties de l’Acte d’Union pour s’engager en faveur d’une constitution de type fédéral à deux chambres. Un pacte est pour ainsi dire conclu.

Mardi le 22 juin, le pacte conclu entre les représentants des « vainqueurs et des vaincus » est présenté officiellement et acclamé des deux côtés de la Chambre, à l’exception d’une partie de la députation du Bas-Canada qui craint la perte de droits politiques acquis de hautes luttes depuis plus de cinquante ans. Cartier prend la parole pour rassurer les députés du Bas-Canada. Il les informe que la constitution envisagée sera formée de deux chambres, soit l’une basée sur la population, et l’autre sur l’égalité entre les deux provinces. La chambre basse donnera pleine satisfaction aux revendications du Haut-Canada, et la chambre haute protégera le Bas-Canada contre toute législation contraire à ses intérêts fondamentaux. De plus, chaque province aura l’assurance d’une autonomie qui lui laissera le plein contrôle de ses propres affaires. Bref, le Bas-Canada sera pratiquement souverain sur le plan provincial. Plus encore, il demeurera à l’abri de toute législation abusive ou contraire à ses intérêts sur le plan fédéral. Le pacte parait acceptable à la majorité des députés du Bas-Canada.

Pour se faire une meilleure idée des circonstances qui ont conduit au pacte réellement convenu entre les deux nations, rien de plus instructif que la version qu’en donnait quelques mois plus tard le représentant des « descendants des vainqueurs » lors des débats sur la confédération tenus devant l’Assemblée législative du Canada-Uni. S’agissait-il d’une abdication ? ou d’un pacte conclu entre deux nations ? Chacun pourra s’en faire une idée à la lecture de larges

extraits de l’allocution de George Brown. Voici donc cette première partie du discours présenté le mercredi 8 février 1865 :2


DÉBATS PARLEMENTAIRES
sur la Question de la

CONFÉDÉRATION

des
PROVINCES DE L'AMÉRIQUE BRITANNIQUE DU NORD

3e Session, 26e Parlement Provincial du Canada

QUÉBEC, 1865

_____________________0________________________

MERCREDI, 8 février 1865


« L’ordre du jour pour la reprise des débats sur la résolution au sujet d’une union des colonies de l’Amérique Britannique du Nord ayant été lu : « L’Hon. GEORGE BROWN se lève et dit : M. l’Orateur, c’est avec un sentiment de satisfaction que je me lève pour adresser la parole à cette chambre en cette occasion.

«Une lutte de réforme constitutionnelle qui a absorbé la moitié de la durée d’une vie humaine ; l’agitation du pays et de violents débats dans cette chambre ; la discorde et des contestations sans merci ni trêve pendant plusieurs années, vont trouver une fin dans le plus grand projet qui nous est actuellement soumis. (Applaudissements)

« Notre attitude en ce moment en Canada peut, à bon droit, attirer l’attention des autres pays. Voici un peuple composé de deux races distinctes, parlant des langues différentes, dont les institutions religieuses, sociales, municipales et d’éducation sont totalement différentes ; dont les animosités de section à section étaient telles qu’elles ont rendu tout gouvernement presqu’impossible pendant plusieurs années ; dont la constitution est si injuste au point de vue de la population anglaise qu’elle justifie le recours… à toute espèce de moyens pour y remédier ! Et cependant, M. L’Orateur, nous sommes ici siégeant, discutant patiemment et avec calme, afin de trouver un moyen de faire disparaître, pour toujours, ces griefs et ces animosités ! (Écoutez ! écoutez !)

« Nous cherchons à régler des difficultés plus grandes que celles qui ont plongé d’autres pays dans toutes les horreurs de la guerre civile ! Nous cherchons à faire, paisiblement et d’une manière satisfaisante, ce que la Hollande et la Belgique, après des années de luttes, n’ont pu accomplir. Nous cherchons, par une calme discussion, à régler des questions que l’Autriche et la Hongrie, que le Danemark et l’Allemagne, que la Russie et la Pologne, n’ont pu qu’écraser sous le talon de fer de la force armée ! Nous cherchons à faire, sans intervention étrangère, ce qui a arrosé de sang les belles plaines d’Italie. Nous nous efforçons de régler, pour toujours, des différends à peine moins importants que ceux qui ont déchiré la république voisine et qui l’exposent aujourd’hui à toutes les horreurs de la guerre civile. (Écoutez ! écoutez !) 

« N’avons-nous donc pas raison, M. L’Orateur, d’être reconnaissants de ce que nous ayons trouvé une solution plus avantageuse que celle qui a produit de si déplorables résultats dans d’autres pays ? Ne devrions-nous pas nous efforcer de nous élever à la hauteur de la circonstance, et chercher sérieusement à traiter cette question jusqu’à la fin avec la franchise et l’esprit de conciliation qui ont, jusqu’à présent, marqué la discussion ? (Écoutez ! écoutez !) 

« La scène qu’offre cette chambre en ce moment a peu de parallèles dans l’histoire. Cent ans se sont écoulés depuis que ces provinces sont devenues, par la conquête, partie de l’empire britannique. Je ne veux pas faire de vantardise – je ne veux pas pour un instant évoquer de pénibles souvenirs – car le sort fait alors à la brave nation française aurait bien pu être le nôtre sur ce champ de bataille mémorable. Je ne rappelle ces temps que pour faire remarquer que les descendants des vainqueurs et des vaincus de la bataille de 1759 siégent ici aujourd’hui avec toutes les différences de langage, de religion, de lois civiles et d’habitudes sociales presque aussi distinctivement marquées qu’elles l’étaient il y a un siècle. (Écoutez ! écoutez !)

« Nous siégeons ici aujourd’hui et cherchons, à l’amiable, un remède à des maux constitutionnels et à des injustices dont se plaignent… les vaincus ? Non ! M. l’Orateur, mais dont se plaignent… les conquérants ! Ici siégent les représentants de la population anglaise qui réclame justice ! et justice seulement ! Ici siégent les représentants de la population française qui délibèrent, dans la langue française ! sur la question de savoir… si nous l’obtiendrons ? […] Dans quelle page de l’histoire, M. l’Orateur, trouverons-nous un fait semblable ? Ce trait ne restera-t-il pas comme un monument impérissable de la générosité de la domination anglaise ! […]

« Il est une considération, M. l’Orateur, qu’on ne saurait bannir de cette discussion, et que nous devons, je pense, ne pas perdre de vue dans tout le cours des débats : le système constitutionnel du Canada ne peut rester ce qu’il est aujourd’hui ! (Écoutez ! écoutez !) Il faut trouver un remède à cet état de choses. On ne peut rester dans la position où nos sommes ! De même, on ne peut retourner à ces temps d’hostilité et de désaccord entre les deux provinces, en un mot, aux crises ministérielles à perpétuité ! Les évènements des derniers huit mois ne doivent pas être oubliés, pas plus que les faits reconnus par les hommes de tous les partis.

« La justice que réclame le Haut-Canada, il faut qu’il l’ait !... et qu’il l’ait maintenant ! Je dis donc que tous ceux qui élèvent la voix contre cette mesure doivent avoir à l’avance réfléchi aux conséquences périlleuses de se rejet. J’affirme que tout homme qui veut le bien du pays ne doit pas voter contre ce projet s’il n’a à offrir quelque mesure plus propre à mettre fin aux maux et à l’injustice dont le Haut-Canada est depuis si longtemps menacé ! (Écoutez ! écoutez !) […]

« Que nous demandions une réforme parlementaire pour le Canada seul, ou une union avec les provinces maritimes, il faut consulter les vues des franco-canadiens aussi bien que les nôtres. Ce projet peut être adopté, mais nul autre qui n’aurait pas l’assentiment des deux populations ne pourrait pas l’être !

« L’Hon. Proc.-Gén. CARTIER : Écoutez ! écoutez ! Là est toute la question !

« L’Hon. M. BROWN : Oui ! c’est là toute la question ! […]

« Ce projet, M. l’Orateur, peut être envisagé de deux manières : d’abord au point de vue des maux existants auxquels il doit remédier, ensuite quant aux nouveaux avantages qu’il nous assurera comme peuple. Commençons par la première.

« Il met fin à l’injustice du système actuel de représentation en parlement ! Le peuple du Haut-Canada s’est plaint amèrement de ce que la population du Bas ait autant de représentants qui lui, bien qu’il compte quatre cent mille âmes de plus, et que sa part de contribution au revenu soit de trois ou quatre louis contre un versé par sa sœur province (!) Éh bien ! M. l’Orateur, la mesure devant nous met fin à cette injustice : elle fait disparaître la ligne de démarcation entre les deux provinces sur toutes les matières d’un intérêt commun ; elle donne la représentation d’après le nombre dans la chambre d’assemblée ; et elle pourvoit d’une manière simple et facile au remaniement de la représentation après chaque recensement décennal. (Applaudissements.)

« L’essence de notre convention est que l’union sera fédérale et nullement législative. Nos amis du Bas-Canada ne nous ont concédé la représentation d’après la population qu’à la condition expresse qu’ils aient l’égalité… dans le conseil législatif ! Ce sont là les seuls termes possible d’arrangements ! Pour ma part, je les ai acceptés de bonne volonté. Du moment que l’on conserve les limites actuelles des provinces et que l’on donne à des corps locaux l’administration des affaires locales, on reconnaît jusqu’à un certain point une diversité d’intérêts et la raison pour les provinces moins populeuses de demander la protection de leurs intérêts… par l’égalité de représentation dans la chambre haute ! […]

« Si, à raison de la concession que nous avons faite de l’égalité de représentation dans la chambre haute, nous ne pouvons forcer le Bas-Canada à subir une législation contraire à ses intérêts, nous aurons du moins ce que nous n’avons jamais eu jusqu’ici : le pouvoir de l’empêcher de faire ce que nous regardons comme des injustices à notre égard !!! Je crois le compromis juste et je suis persuadé que son exécution sera facile et ne blessera aucun intérêt. (Écoutez ! écoutez !)

« Ce projet rend justice à tous les partis : il remédie aux vices du système actuel, et je suis persuadé que l’application en sera facile et satisfaisante pour la grande masse du peuple. Je vais plus loin : quand même toutes ces objections seraient valables, elles disparaissent en vue des maux dont le projet nous délivre, en vue des difficultés qui entravent jusqu’à présent toute réforme parlementaire en Canada. (Applaudissements.) Les hon. MM. qui épuisent leur énergie à trouver des taches dans la nouvelle constitution ont-ils réfléchi un instant aux injustices criantes !... qui existent à l’endroit du Haut-Canada dans la constitution actuelle ! Depuis six mois, l’opinion publique a fait un grand pas en ce qui concerne la représentation d’après la population, mais où en étions-nous une semaine avant la formation du ministère de coalition actuel ?

« Pour ma part, M. l’Orateur, je dis sans hésiter que la complète justice que cette mesure doit assurer pour toujours au peuple haut-canadien, seulement sous le rapport de la représentation parlementaire, fait plus que contrebalancer tous les défauts qu’on lui prête. (Applaudissements prolongés.)

« De plus, M. l’Orateur, le second avantage de ce projet c’est que, dans une grande mesure, il met fin à l’injustice dont le Haut-Canada a eu à se plaindre en matières de finance. Nous autres, Haut-canadiens, nous avons eu à nous plaindre de ce que nous avions moins de contrôle que le peuple du Bas-Canada sur l’impôt et l’emploi des deniers publics, et cela, bien que nous contributions pour plus que les trois-quarts de tout le revenu (!) Éh bien ! M. l’Orateur, le projet que nous avons remédie à cela ! Cette absurde ligne de séparation des provinces n’existe plus en ce qui concerne les matières d’un intérêt général : nous avons dix-sept membres de plus en chambre qui tiennent les cordons de la bourse, et les contribuables du pays, partout où ils se trouvent, auront leur juste part de contrôle sur le revenu et la dépense. (Écoutez ! écoutez !)

« Ce projet, M. l’Orateur, remédie encore à cela ! Toutes les affaires locales doivent être bannies de la législature générale ! Les gouvernements locaux seront chargés des affaires locales et, si nos amis du Bas-Canada jugent à propos de faire trop de dépenses, eux seuls en porteront le fardeau. (Écoutez ! écoutez !) Nous n’aurons plus à nous plaindre qu’une section fournit les fonds, et que l’autre les dépense (!) Dorénavant, ceux qui contribueront dépenseront, et ceux qui dépenseront plus qu’ils ne le doivent, en supporteront la peine. (Écoutez ! écoutez !) […]

« Il y a, M. l’Orateur, dans notre système actuel, un autre grand vice auquel la confédération va remédier : c’est qu’elle assure aux populations de chaque province le plein contrôle sur leurs affaires locales. Dans le Haut-Canada nous nous sommes plaints de ce que, grâce à un trop petit nombre de représentants, un parti battu dans les élections du Haut-Canada a été, pendant des années, maintenu au pouvoir par les votes du Bas-Canada, et que tout le patronage local a été réparti par des gens qui ne possédaient point la confiance du peuple. Or, le projet actuel remédie à ces inconvénients. ![…]

« Je suis encore en faveur de ce projet, M. l’Orateur, parce qu’il va mettre fin à la discorde du Haut et du Bas-Canada. Il fait disparaître la ligne de démarcation entre les provinces, en ce qui concerne les affaires générales du peuple ; il nous met tous au même niveau, et les membres de la législature fédérale se réuniront enfin comme citoyens d’un même pays. Les questions qui d’ordinaire excitaient entre nous les sentiments les plus hostiles sont enlevées à la législature générale et soumises au contrôle des corps locaux. Personne maintenant n’aura plus à craindre l’insuccès dans la vie publique pour la raison que ses vues, populaires dans sa province, ne l’étaient pas dans l’autre, car il n’aura plus à s’occuper de questions particulières à une section. Ainsi, les occasions pour le gouvernement de faire de la propagande en flattant les préjugés locaux seront grandement diminuées si elles ne disparaissent pas entièrement. (…) Le jour où cette mesure deviendra loi sera donc un des plus heureux pour le Canada, car tous les sujets de discorde seront bannis… de la législature générale ! (Écoutez ! écoutez !)

« J’entends l’hon. Député de Chateauguay s’écrier “écoutez ! écoutez !” d’un singulier ton de crédulité, mais il est le dernier qui devrait avoir quelques doutes à ce sujet ! N’a-t-il pas lutté lui-même pour en arriver là ? Est-il resté étranger aux sentiments d’hostilité et d’animosité qui ont envahi cette chambre et tout le pays ?

« Croit-il qu’à l’étranger comme ici on n’a pas compris que le Haut-Canada achevait de rester courbé sous le joug que le Bas-Canada lui imposait !... et que personne ne pouvait dire ce qui arriverait !... si les relations des deux provinces du pays ne subissaient pas des modifications essentielles ?

« Aussi, lorsqu’il nous sera donné de voir la mesure actuelle votée, de voir la justice faite aux deux provinces, tout le monde placé sur un même pied égal, les intérêts locaux abandonnés au contrôle de chaque localité, les dépenses locales supportées par chacun, est-ce qu’il n’en résultera pas pour tous un sentiment de sécurité et de stabilité que nous avons cessé depuis longtemps de connaître et dont nous n’aurions pu jouir sous l’état actuel des choses ? (Applaudissements.) Au point de vue de la cessation des maux existants, je n’hésite pas à dire, M. l’Orateur, que le projet qui nous est aujourd’hui soumis est le remède sage et efficace qui fera disparaître les griefs et les injustices dont souffre le Haut-Canada depuis si longtemps. (Applaudissements.) […]

« Lors de mon dernier voyage en Angleterre, je fus chargé de négocier avec les autorités impériales pour l’ouverture des territoires du Nord-Ouest. J’ai toujours cru que l’ouverture du Nord-Ouest était une entreprise chère à mes hons. amis du Bas-Canada. Il y a quelques années, alors qu’on agitait cette question, j’étudiai à fond cette vie du Nord-Ouest ; j’eus occasion de lire les intéressantes relations des voyages dans le Nord-Ouest aux temps anciens, et l’histoire des luttes pour la prédominance commerciale dans les vastes régions des pelleteries. Une impression m’est restée de ces lectures : c’est que les Canadiens-français ont encore droit d’être fiers du rôle qu’ils ont joué dans les aventures de cette époque !

« Rien peut-être n’a plus contribué à leur donner un caractère national !... que les habitudes vigoureuses, la patience, l’aptitude aux expéditions lointaines qu’ils ont acquises dans l’ouest en faisant le commerce des pelleteries. (Écoutez !) C’est donc à juste titre qu’ils attendent avec anxiété la réalisation de cette partie du projet dans le ferme espoir que le trafic du Nord-Ouest sera ouvert encore aux hardis traiteurs et voyageurs canadiens. (Écoutez ! écoutez !) […]

« L’Hon. M. Holton : Le parlement anglais vous a-t-il conféré le pouvoir de conclure [un traité] ?

« L’Hon. M. Brown : Non ! mais l’hon. Monsieur ne doit pas ignorer que le pouvoir de conclure des traités est une prérogative royale. Or, la couronne nous a spécialement autorisés à conclure ce traité et a cordialement approuvé ce que nous avons fait. (Écoutez ! écoutez !)

« Mais on me dit, M. l’Orateur, que les populations du Canada n’ont pas examiné le projet, et que nous devrions en appeler aux électeurs. Éh bien ! on n’a jamais rien insinué de plus faux à l’endroit des électeurs canadiens ! Ils étudient ce projet depuis quinze ans et en comprennent parfaitement toute la portée ! (Écoutez ! écoutez !) Aucune question n’a jamais été si débattue que celle des changements constitutionnels en Canada. La question a été traitée sous tous les points de vue, on l’a discutée à fond et, si la chambre veut le permettre, je prouverai, l’histoire en main, combien cette objection est absurde. On s’occupait de l’union fédérale… il y a trente ans !


CONCLUSION

Le rôle de George Brown dans la formation du gouvernement de coalition et dans la renonciation à la constitution de l’Union au profit d’un système fédéral a été déterminant, essentiel : c’est lui qui a rallié le Haut-Canada à ses idées ; c’est lui qui a entretenu un climat d’hostilité entre les deux provinces ; c’est lui qui a planifié le recours à un système fédéral où la chambre basse serait formée selon la représentation proportionnelle ; c’est lui qui a habilement profité du moment propice pour imposer son agenda politique. Bref, des trente-trois pères de la Confédération, Brown a été le plus entreprenant, le plus actif, le plus déterminé ; c’est lui qui a véritablement relevé le défi historique et qui a mis en marche les mécanismes de changements qui devaient conduire à la constitution dont nous apprécions dans une admirable résignation les « maux et injustices » depuis près de cent-cinquante ans.

Le rôle de George-Étienne Cartier a aussi été déterminant, mais plus circonstanciel et plus passif. Sans le rapprochement politique provoqué par Brown et accepté par Cartier en juin 1864, la Constitution de 1867 n’aurait jamais existé, mais la planète aurait sans doute continué à tourner ! Il y aurait certainement eu un autre arrangement constitutionnel quelques années plus tard, mais pas la constitution mise en vigueur le 1er juillet 1867, et qui nous gouverne depuis ce temps.

L’allocution présentée par George Brown lors des débats parlementaires de février et mars 1865 nous fournit une information précieuse, un éclairage unique, et d’autant plus intéressant qu’il a pris la peine de rappeler sa vision des circonstances et pourquoi il a amené son principal rival à conclure avec lui le pacte de juin 1864, puis à former un gouvernement de coalition engagé sur la voie du changement, à participer à la Conférence de Charlottetown, et à convoquer des assises constitutionnelles tenues à Québec du 10 au 27 octobre 1864. Tout ça en moins de cinq mois !

Personne n’a su mieux que Brown, avec ce franc-parler qui le caractérisait, à rendre compte de l’animosité grandissante entre les « descendants des vainqueurs et des vaincus », du danger pour la paix et la sécurité du pays, et la détermination de la population du Haut-Canada à recourir « à toutes espèces de moyens pour remédier aux maux et injustices » qu’elle prétendait subir depuis si longtemps de la part de la population du Bas-Canada. « Justice, et justice seulement ! » insistait-il.

Il nous apprend, par-dessus tout, quelles sont les raisons d’abroger l’Union en faveur d’un système fédératif. À une douzaine de reprises, il martèle, à peu près dans les mêmes mots, ce qui, à son avis, porte atteinte à la paix, à la sécurité, et à la prospérité du Canada : les « maux et injustices » que subissent depuis si longtemps les « vainqueurs » aux mains des « vaincus ». Juste ça ! La première partie de son allocution porte donc sur ces « maux et injustices » auxquels la nouvelle constitution doit remédier. Jamais il n’est question de diminuer les droits du Bas-Canada ! Jamais il n’est question de donner un statut inférieur à la langue française au Canada ! Jamais il n’est question d’établir une suprématie de la majorité sur la minorité ! Jamais il n’est question d’établir une Cour suprême avec des juges unilingues ! Il ne demande que « justice, et justice seulement ! » pour le Haut-Canada.

À l’un des rares moments où il aborde la question de langue, c’est lorsqu’il dit que « les représentants de la population française délibèrent, dans la langue française, sur la question de savoir si nous obtiendrons » justice. Non seulement ne remet-il pas en cause le statut légal et historique de la langue française au Canada, mais il admet que c’est dans cette langue que le sort et l’avenir de la population du Haut-Canada est en train de se jouer.

À un autre moment, il constate que les « descendants des vaincus » ont conservé leur langue, leur religion, leurs lois civiles et leurs habitudes sociales « presque aussi distinctement marquées qu’elles l’étaient il y a un siècle ». Il fait cette remarque, non pas pour le déplorer, mais pour reconnaître qu’il s’agit de caractéristiques fondamentales du Canada, et qu’elles sont là pour rester. Ce qui l’intéresse, ce qu’il réclame, ce sur quoi il insiste, c’est « justice, et justice seulement » de la part du Bas-Canada. Il n’a surtout pas le goût de se mettre à dos les « descendants des vaincus » qui délibèrent en français et qui sont à quelques jours de rendre un jugement décisif, historique, pour plus de justice en faveur des « descendants des vainqueurs ».

Un autre sujet majeur qu’il aborde clairement, c’est celui de l’assentiment nécessaire à la validité du pacte constitutionnel. Brown, qui parle à titre de principal représentant politique du Haut-Canada, donne une assurance sans équivoque : « Nul autre [projet] qui n’aurait pas l’assentiment des deux populations ne pourrait l’être ! » Cartier, assis juste à côté, attrape la balle du bond pour acquiescer et confirmer : « Écoutez ! écoutez ! Là est toute la question ! » Et, du tac-au-tac, Brown réplique : « Oui ! c’est là toute la question ! » Voilà ! En quelques mots, de façon laconique et sans ambiguïté, devant l’ensemble des représentants des « descendants des vainqueurs et des vaincus » réunis en assemblée constituante, la question constitutionnelle la plus importante qui soit est abordée, et résolue au bénéfice de la postérité ! Aucun député ne bronche. Aucun « Écoutez ! écoutez ! » ne se fait entendre ! La règle fait l’unanimité : aucune des deux nations ne peut imposer une constitution à l’autre. La règle constitutionnelle est à la fois si simple et si claire qu’elle ne laisse place à aucune interprétation. Mais a-t-elle été violée depuis ? Évidemment ! Et par qui ? Par les « descendants des vainqueurs »… et la Cour suprême du Canada !

En 1981, lors du Renvoi sur la Résolution pour modifier la Constitution, la Cour suprême a été d’avis que l’exigence de l’assentiment des provinces n’était pas une règle de droit, et que seul un degré appréciable de consentement des provinces était requis, écartant du coup la règle constitutionnelle reconnue si spontanément et si explicitement par l’assemblée constituante le 8 février 1865. Quand une règle est évidente au point d’être acquiescée spontanément par tout le monde, il n’est pas toujours nécessaire de la mettre expressément sur papier, puisque le contraire pourrait être tenu pour gênant ! Mais le temps a fait son œuvre. Les descendants des « descendants des vainqueurs » ont vite oublié que leurs ancêtres, dans l’embarras, n’avaient demandé que « justice, et justice seulement ! » Ils se sont mis à croire « qu’entre eux, et qu’entre eux seulement ! » ils pourraient trafiquer librement la Constitution du Canada sans le consentement des descendants des « descendants des vaincus ». Quelqu’un avait-il changé la règle ?

Personne n’avait changé cette règle, si ce n’est l’avis de la Cour suprême sur le sujet. Quand un historien, qui a fouillé dans les moindres recoins les archives canadiennes et britanniques, conclut qu’il y a eu coup d’État avec le concours de la Cour suprême du Canada, on ne peut que lui donner raison. La Cour suprême a bel et bien ignoré – sinon violé – la règle établie par les représentants des deux nations le 8 février 1865. Mais le plus haut tribunal aurait-il agi par ignorance invincible et bonne foi ? Sur ce point, on ne peut que rapporter le plus ancien auteur anglais en matière constitutionnelle, un juriste du nom de Bracton, qui écrivait déjà au milieu du XIIIième siècle : « Le roi ne peut modifier la loi sans le commun consentement de tous ceux qui ont participé à son élaboration ». En 1981, cette règle constitutionnelle était pourtant connue et appliquée en Angleterre depuis plus de six siècles. Malgré son ancienneté, sa clarté et sa simplicité, elle a été ignorée par les juges de la Cour suprême ? Comment dire : « Ignorance ou mauvaise foi ! », si ce n’est : « Ignorance et mauvaise foi ! »


Christian Néron
Membre du Barreau du Québec
Constitutionnaliste,
historien du droit et des institutions.



Repères chronologiques

LA CONFÉDÉRATION DU CANADA

1. 30 avril 1663 : adoption de l’Édit de création du Conseil souverain, première constitution du Canada ;

2. 7 octobre 1763 : Proclamation royale, deuxième constitution du Canada ;

3. 22 juin 1774 : Acte de Québec, troisième constitution du Canada ;

4. 10 juin 1791 : Acte constitutionnel, quatrième constitution du Canada ;

5. 22 juin 1822 : complot constitutionnel des Britanniques de Montréal mis en échec au Parlement de Westminster ;

6. 23 juillet 1840 : Acte d’Union, cinquième constitution du Canada ;

7. Mars 1848 : octroi du principe du gouvernement responsable ;

8. 26 novembre 1857 : formation du gouvernement McDonald-Cartier, lequel deviendra le gouvernement Cartier-McDonald l’année suivante ;

9. Juin 1861 : élections générales. George Brown, leader réformiste du Haut-Canada, est défait et se retire temporairement de la vie politique ;

10. 20 mai 1862 : renversement du gouvernement Cartier-McDonald sur un projet de la loi sur la milice ;

11. 24 mai 1862 : formation du gouvernement libéral Sandfield McDonald-Victor Sicotte. Certains alliés politiques de George Brown entrent au gouvernement ;

12. 9 mars 1863 : George Brown revient à la politique active suite à une élection complémentaire ;

13. 8 mai 1863 : renversement du gouvernement libéral Sandfield McDonald-Victor Sicotte. Sandfield McDonald forme une nouvelle équipe dans laquelle il remplace Sicotte par Antoine-Aimée Dorion ; l’influence de George Brown a été déterminante ;

14. Juin 1863 : élections générales. Les résultats confirment une division marquée et irréversible sur une base nationale. Le Haut-Canada exige des changements à la constitution ; le Bas-Canada s’y oppose ;

15. 21 mars 1864 : aveu d’impuissance et démission du gouvernement McDonald-Dorion ;

16. 30 mars 1864 : formation du gouvernement conservateur Taché-McDonald ;

17. 19 mai 1864 : suite à une motion de George Brown adoptée par la Chambre, formation d’un Comité spécial chargé de trouver une solution aux difficultés constitutionnelles entre les deux provinces ;

18. 14 juin 1864 : dépôt du rapport du Comité spécial qui recommande l’adoption de la forme fédérative ;

19. 14 juin 1864 : juste après le dépôt du rapport ci-haut mentionné, renversement du gouvernement conservateur Taché-McDonald ; l’impasse constitutionnelle se confirme ;

20. 15 juin : Étienne-Pascal Taché se rend chez le gouverneur Monk pour lui demander de dissoudre la Chambre et de déclencher des élections. L’autorisation est accordée, mais le gouverneur invite les ministres à poursuivre leurs efforts en vue de former un gouvernement de coalition. En fin d’après-midi, rencontre de George Brown avec les réformistes du Haut-Canada ; tous sont d’avis que la crise actuelle constitue le moment propice pour mettre fin aux « maux et aux injustices » dont ils de plaignent de la part de la population du Bas-Canada. Deux conservateurs présents, Alexander Morris et John Henry Pope, sont autorisés à transmettre le message aux membres du gouvernement ;

21. 16 juin : tout juste avant l’ouverture des travaux à 15 h., George Brown et John A. McDonald s’entretiennent au milieu de la Chambre. McDonald lui demande s’il avait une objection à le rencontrer avec son collègue Alexander T.-Galt ; Brown répond : « Certainly not ! ». Une première rencontre d’une heure et demie a lieu suite à l’ajournement de la Chambre ;

22. 17 juin : dans la matinée de vendredi, une deuxième rencontre de McDonald et Galt avec Brown. Face à une proposition de fédérer les provinces, y compris celles des Maritimes, Brown répond que l’idée est précipitée et inacceptable pour le Haut-Canada : il insiste pour une réforme sur la seule base d’une représentation proportionnelle. Devant la Chambre, en après-midi, McDonald annonce que les discussions se poursuivent et demande un ajournement à lundi. Brown se lève pour confirmer son engagement à appuyer toute coalition disposée à régler de façon pacifique et harmonieuse les questions constitutionnelles qui divisent les peuples du Haut et du Bas-Canada. La Chambre se réunira donc lundi ;

23. 18 juin 1864 : le lendemain, samedi ; rapprochement historique entre les représentants des deux populations divisées sur la question constitutionnelle. George-Étienne Cartier, à titre de représentant des « descendants des vaincus », et George Brown, à titre de représentant des « descendants des vainqueurs », conviennent de mettre un terme à près de quinze années d’animosité entre les deux populations en se rapprochant symboliquement par une accolade et en se promettant de convenir d’une constitution qui mettra fin de manière paisible aux « maux et injustices » que subissent les « vainqueurs aux mains des vaincus ». C’est le moment critique d’un pacte entre deux populations divisées depuis près d’un siècle par « la langue, la religion, les lois et les traditions ». Suite à une longue journée de pourparlers, le représentants des deux populations conviennent d’un gouvernement de coalition qui s’engagera à présenter une mesure destinée à faire disparaître les « maux et injustices » dont se plaignent les « descendants des vainqueurs » en introduisant le « principe fédéral » au Canada, accompagnée d’une disposition qui permettra aux provinces maritimes et aux territoires du Nord-Ouest de s’incorporer dans le même système de gouvernement. [Les mots et expressions entre guillemets sont ceux utilisés par George Brown pour souligner le caractère distinct et national de chacune des parties à l’entente, et tirés du recueil Débats parlementaires sur la question de la Confédération, Hunter, Rose et Lemieux, 1865, aux p. 83 et 84] ;

24. 21 juin 1864 : à l’issue d’une rencontre tenue en matinée à la Maison Kent, sur la rue St-Louis, par les réformistes du Haut-Canada, le projet de pacte entre les représentants des deux populations est entériné par un vote de 35 contre 5. Dans la presse du Bas-Canada, l’entente est présentée comme un « pacte de paix », un « contrat de paix », une décision historique « d’enterrer la hache de guerre et de fumer le calumet de paix » ;

25. 22 juin : à la reprise des travaux, le projet de pacte convenu entre le représentants des « vainqueurs et des vaincus » est présenté et acclamé officiellement des deux côtés de la Chambre. George-Étienne Cartier prend la parole pour rassurer les parlementaires du Bas-Canada que la fédération proposée sera constituée de deux chambres, l’une basée sur la population, et l’autre sur l’égalité des deux provinces. L’allégresse est quasi générale. Suite à la prorogation de la Chambre, les députés s’en retournent chez eux avec le sentiment que le « pacte amical, cordial et fraternel » qui vient d’être conclu permettra de régler, « pour toujours », les problèmes constitutionnels du Canada. Le glas des vieilles chicanes a sonné : le temps est venu de s’occuper des vrais affaires ;

26. 8 août 1864 : tenue d’un sommet national des libéraux du Bas-Canada pour dénoncer le pacte du 22 juin, et demander la séparation des provinces par le rejet pur et simple de l’Acte d’Union de 1840. Le paléo-séparatisme est déjà à l’œuvre, trois ans avant l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution ;

27. 1er septembre 1864 : début de la Conférence de Charlottetown ;

28. 10 au 27 octobre 1864 : tenue de la Conférence de Québec et adoption des Soixante-douze résolutions qui formeront l Le Bas-Canada a-t-il négocié en 1864 ? Ou simplement capitulé !