Dossier PKP – Chapitre premier (3)

2014/10/03 | Par Pierre Dubuc

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La saga Vidéotron

Mais c’est surtout avec l’achat de Vidéotron par Quebecor, que la relation entre l’entreprise et la Caisse est devenue extrêmement étroite. L’histoire de cette transaction est bien documentée. Mario Pelletier y consacre un chapitre dans son livre La Caisse dans tous ses états (Carte blanche, 2009) (2) et Michel Nadeau, qui était le numéro deux de la Caisse à l’époque, l’a racontée dans une entrevue parue dans la revue Forces (3). Résumons les faits.

À la fin de 1999, André Chagnon, propriétaire de Vidéotron, panique devant son concurrent Bell qui menace d’écraser les câblodistributeurs avec la fibre optique et la télé par satellite. Il se résigne à accepter une offre de Rogers. Il en informe la Caisse, qui détenait d’importants intérêts de Vidéotron.

Mais la Caisse s’était gardé un droit de premier refus sur toute transaction mettant en cause Vidéotron. À l’époque, la Caisse s’était fait reprocher son inaction dans la vente de Provigo à l’Ontarienne Loblaws et le déménagement du cœur de la Bourse de Montréal à Toronto. Michel Nadeau raconte : « On voulait garder un centre décisionnel d’une importance incroyable au Québec. On regardait toutes les options, toutes les entreprises, et on revenait toujours vers Quebecor et Pierre-Karl » (4).

L’intérêt de la Caisse pour la câblodistribution ne datait pas de la veille. La Caisse détenait 30% des actions de Câblevision Nationale depuis 1971. Elle avait été très active dans la québécisation de l’industrie naissante de la câblodistribution en rachetant, avec d’autres investisseurs institutionnels québécois, dont la Laurentienne, 60% de Câblevision Nationale, qui desservait alors environ 45% des abonnés du câble au Québec.

En 1980, la Caisse est l’artisan de la prise de contrôle par Vidéotron de Câblevision Nationale, une entreprise dix fois plus importante. Dans un premier temps, la Caisse a investi 8 millions dans Vidéotron, une petite entreprise alors déficitaire, ce qui lui assurait 30% des actions. Puis, la Caisse a vendu Câblevision Nationale à Vidéotron au prix ridiculement bas de 14 millions de dollars. À l’époque, Vidéotron ne disposait d’aucune ressource financière – elle affichait même un déficit cumulé de 234 000 $ – et c’est le gouvernement du Québec et la Caisse qui ont fourni le financement.

Tout au long de son existence, la Caisse a servi de tuteur bienveillant à l’entreprise (mal) dirigée par la famille Chagnon. Comme l’a démontré Léo-Paul Lauzon(5), chaque fois que les dirigeants de Vidéotron ont tenté de sortir de leur monopole règlementé, ils ont essuyé des pertes de plusieurs millions de dollars, que ce soit dans des investissements au Maroc et en France, ou dans des projets comme Multi-Points, Promexpo, Vidéoway et surtout le projet de télévision interactive UBI, qui a été un flop monumental. Mais, tel un ange gardien, la Caisse veillait au grain.

Œuvrant dans un marché protégé, à l’abri de la concurrence, Vidéotron a pu acquérir en 1986 le réseau TVA grâce aux énormes profits générés par la câblodistribution. Ce mariage entre la télévision et la câblodistribution était logique, mais nous sommes d’accord avec le prof Lauzon lorsqu’il soutient qu’une décision encore plus logique aurait été de fusionner Câblevision Nationale avec Radio-Québec (devenue par la suite Télé-Québec), sans exclure des alliances avec d’autres firmes, privées ou publiques. « On aurait, argumente-t-il, rentabilisé Radio-Québec et on aurait ajouté des millions de dollars dans les coffres de l’État québécois. » Mais on a préféré diminuer les budgets des diffuseurs publics Radio-Québec et Radio-Canada, tout en exigeant qu’ils se retirent des créneaux publicitaires payants au profit du réseau TVA.

La saga Vidéotron dura presque 5 mois devant les tribunaux. Finalement, la transaction aura lieu. Quebecor investit 1,035 milliard comptant, à partir d’un emprunt d’un milliard de dollars, et plus du double en valeurs d’actifs, soit presque tous ses actifs en-dehors d’Imprimeries Quebecor. La Caisse, par sa filiale Capital Communications CDPQ, s’engage à débourser 2,2 milliards comptant en plus de sa participation dans Vidéotron, évaluée à 500 millions. Il s’agit d’un montant sans précédent pour un investissement privé de la Caisse. Les deux partenaires se retrouveront à hauteur respective de 54,7% et 45,3% au sein de la nouvelle entité Quebecor Media, dont la valeur de départ est estimée à 8,7 milliards de dollars.

Cette acquisition s’est faite au sommet de la bulle technologique au moment où la fusion des géants AOL et Time-Warner – pour un montant jamais vu de 164 milliards ! – avait frappé les imaginations comme étant le modèle de l’avenir. Cette transaction monstre réunissait le numéro un mondial de la distribution Internet (AOL) et un gigantesque empire des médias et du divertissement (Time-Warner). C’était une des premières applications de la convergence de l’informatique, des médias et des télécommunications. Un nouveau modèle d’affaires venait de naître. On allait s’en inspirer. La fusion de Vidéotron et Quebecor permettrait, selon les dirigeants de la Caisse, de créer « un leader dans le domaine des communications et de la nouvelle économie », en intégrant l’accès Internet (Netgraphe et Canoë) et le contenu (télévision, quotidiens et magazines).

Mais ces transactions avaient été conclues au sommet de la bulle boursière. À partir de 2001, les titres des compagnies « dot-com » commencent à s’effondrer. En 2002, AOL-Time-Warner rapporte des pertes records de 99 milliards et la valeur de l’actif de l’entreprise chute de 226 milliards à 20 milliards $US. En 2003, Time-Warner laisse tomber l’appellation AOL et cette dernière redevient une compagnie indépendante en 2009.

Au Québec, Quebecor Media subit une dévaluation de 40%. PKP doit se rendre à New York pour négocier un emprunt de 1,3 milliard sur le marché des junk bonds (obligations de pacotilles). Des rumeurs de faillite circulent. « Il y avait une tension et une nervosité incroyables au siège social de Quebecor », raconte Luc Lavoie, qui était alors vice-président aux affaires générales. Il faut dire qu’avant la transaction Vidéotron, Quebecor venait de faire des acquisitions qui dépassaient les trois milliards.

Au moment même où Quebecor négociait l’achat de Vidéotron, l’entreprise cédait le contrôle de la papetière Donohue à Abitibi-Consolidated qui devenait, par la même occasion, la plus importante papetière au monde. Considérant la surcapacité de production dans l’industrie du papier journal, PKP décide que Donohue n’est plus un actif stratégique pour Quebecor et met l’usine en vente. En 1999, les revenus de Donohue ne représentaient plus que 22% des revenus de Quebecor comparativement à 69% pour Imprimeries Quebecor. C’est cette même année 1999 que Quebecor fait l’acquisition de World Color Press pour 1,3 milliard. Toujours au cours de la même année, Quebecor fait l’acquisition de Sun Media et verse 400 millions comptant pour d’autres actifs dans le domaine des médias.

Quebecor échange ses actions de Donohue contre 300 millions $ et des actions d’Abitibi. Mais Abitibi ayant un actionnariat diversifié, Quebecor devient, avec 11% des titres, le plus important actionnaire. Rapidement PKP se montre insatisfait de la performance et de la gestion d’Abitibi et il cherche à imposer Michel Desbiens, l’ancien patron de Donohue, aux commandes de la nouvelle entreprise. Mais les administrateurs anglophones du conseil d’administration soutiennent le président d’Abitibi, John Weaver. PKP doit céder devant l’establishment de la papetière.

La transaction Vidéotron-Quebecor était une bonne transaction pour le Québec. La Caisse avait énormément investi dans la câblodistribution, au cours des années, et il aurait été inacceptable de céder ce secteur économique d’avenir à Rogers. De même, si on peut déplorer que la convergence entre le câble et la télévision se soit faite au profit d’une entreprise privée – en l’occurrence TVA – plutôt que Télé-Québec, il aurait été désastreux au point de vue économique et culturel d’en céder le contrôle à des intérêts canadiens-anglais.


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La transaction Vidéotron-Quebecor a également été une bonne transaction pour Quebecor. D’ailleurs, l’article de Michel Nadeau dans la revue Forces est intitulé « Comment Vidéotron a sauvé Quebecor ». L’ancien numéro deux de la Caisse souligne que Vidéotron apporte aujourd’hui plus de 75% des profits de l’entreprise. PKP avait lourdement endetté Quebecor avec l’achat d’imprimeries en difficultés financières et la faillite de Quebecor World en 2008 aurait pu entraîner celle de l’ensemble de l’empire Quebecor.

Aujourd’hui, PKP est présenté comme un visionnaire pour avoir réussi à transformer Quebecor d’entreprise axée sur l’imprimerie en un conglomérat basé sur les télécommunications. Une analyse plus approfondie apporte un autre éclairage. D’abord, au sein de Quebecor, s’il faut attribuer le qualificatif de « visionnaire », il revient à son frère Éric. Il a été celui qui a introduit le premier ordinateur au sein de l’entreprise et a été pendant longtemps le seul à être branché à Internet. Déjà, en 1993, il organisait des colloques sur les nouveaux médias partout aux États-Unis. Il a convaincu son père d’investir dans ce champ d’activités et à créer Quebecor Multimédia. Pendant que PKP achetait des imprimeries en faillite à travers le monde, Éric apprivoisait les nouveaux médias et mettait en ligne le Journal de Montréal en 1996.

Cependant, les véritables visionnaires se trouvent au sein de la direction de la Caisse de dépôt et placement qui avait, depuis le début des années 1970, investi des millions dans la câblodistribution et les communications. En 2000, l’intérêt de la Caisse était certainement de bloquer la vente de Vidéotron à Rogers, mais également de soutenir Quebecor.

Les historiens aiment répéter que ce  ne sont pas les grands hommes qui font les grands événements, mais le contraire. Dans le cas de PKP, à qui on accorde à tort le titre de self-made-man, il faut admettre que la Caisse de dépôt compte pour beaucoup dans sa réussite et dans l'établissement de sa réputation d'homme d'affaires. 

D’une part, au lendemain de l’acquisition de Vidéotron, étranglé par l’endettement considérable de son entreprise, PKP décide que l’assainissement des finances de Quebecor passe par la dévaluation des conditions de travail de ses employés en recourant aux lock-out et aux scabs.

D’autre part, après l’échec de la prise de contrôle d’Abitibi et la faillite de Quebecor World, PKP abandonne les projets d’expansion de l’entreprise aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Avec l’acquisition de Sun Media et de Vidéotron, le Canada est devenu son nouveau terrain de jeu et les télécommunications, la principale activité de l’entreprise. C’est sans doute ce qui explique l’ajout de l’accent aiguë sur la lettre « e » de Québecor. Les entreprises de télécommunications étant régies par un cadre réglementaire strict déterminé par le CRTC, un organisme fédéral, le président de Québecor a vite réalisé qu’il avait intérêt à développer de bonnes relations avec le pouvoir politique fédéral. Nous y reviendrons.

  1. Mario Pelletier, La Caisse dans tous ses états, Carte blanche, 2009.

  2. « Le plan de match de PKP ou comment Vidéotron a sauvé Quebecor », Forces, Été 2014, no. 178

  3. L’Actualité, 28 octobre 2010

  4. Léo-Paul Lauzon, Contes et comptes du Prof Lauzon, Lanctôt Éditeur, 2001