Postfaces de Micheline Lachance

2014/11/07 | Par Micheline Lachance

Le matamore au grand cœur

Comment devient-on Rambo? Pour le savoir, l’écrivain VICTOR-LÉVY BEAULIEU s’est entretenu avec le controversé chef du local 791 de la FTQ-Construction de la Côte-Nord.

Ce matamore a longtemps fait trembler les entrepreneurs venus du Sud qui siphonnaient jobs et richesses sous le nez même des Nord-Côtiers livrés à la pauvreté durable. Il y a mis le holà, par la force s'il le fallait.

Rambo a livré à VLB l’avouable comme l’inavouable, c’est-à-dire la «méthode Rambo». Autrement dit, ce syndicalisme des gros bras, ravalé à de l’intimidation par les libéraux de Jean Charest, à commencer par la «tête de noeud» Lise Thériault.

Mais, lors de sa comparution devant la commission Charbonneau, Rambo a lavé sa réputation de voyou et de casseur de bras aux cheveux coupés à la Mohawk fabriquée par une presse mal informée ou mal intentionnée. Il en a étonné plus d’un, à commencer par les commissaires.

Comme le résume VLB, tous s’attendaient à voir une espèce de monstre sorti d’une mine de la Côte-Nord comme de l’enfer. Ils ont plutôt découvert un homme d'une grande sensibilité épris de justice sociale.

Un battant intelligent qui connaissait à fond les sujets dont il traitait, qui ne cachait rien de son passé. Pas même la violence dont il a usé parfois pour redonner la fierté aux Nord-Côtiers et faire cesser le gaspillage des ressources humaines par des compagnies qui méprisaient les ouvriers de la Côte-Nord, blancs ou innus, comme lui.

Rambo, par Victor-Lévy Beaulieu, Éditions Trois-Pistoles, 2014.



Antigone à Beyrouth

Journaliste au Canard enchaîné, le romancier SORJ CHALANDON a choisi la tragédie grecque pour raconter le pari fou de Georges.

Comme promis, ce Parisien mordu de théâtre a réalisé le rêve de Samuel, son ami juif mourant: monter l'Antigone de Jean Anouilh en plein Beyrouth dévastée par la guerre et les violences fratricides. Une trêve poétique au milieu de l'horreur.

L'audacieux défi de Georges se double d'un second volet tout aussi irréaliste: confier les principaux rôles de la pièce à des acteurs issus de clans ennemis — Palestiniens, juifs, chiites, phalangistes, chrétiens et druzes —, tous prisonniers de leurs haines ethniques et religieuses.

La pièce ne sera jamais jouée, l'invasion israélienne du Liban ayant dispersé la troupe d'acteurs que Georges avait réussi à réunir en dépit de leur méfiance et de leur hostilité réciproque.

Comme dans toute tragédie, on meurt beaucoup ici. L'assassinat d'Ismène, la «violemment belle» Palestinienne de vingt ans qui incarnait Antigone, est atroce. Réfugiée dans le camp palestinien de Chatila, elle ne meurt pas enterrée vivante, comme Antigone, mais violée, mutilée et étranglée par les phalangistes.

Ces chrétiens d'une cruauté sans pareil, et dont l'un des leurs, Charbel, un gars de 30 ans, jouait le rôle du terrible roi Créon. Les phalangistes tuent aussi le druze Nakad qui, dans la pièce, se poignarde en apprenant la mort de sa fiancée Antigone.

Chacun des acteurs avait retrouvé son ethnie pour reprendre les hostilités contre ses frères ennemis, oubliant la main tendue à la paix sur une scène de théâtre.

Le quatrième mur, par Sorj Chalandon, Grasset, 2014.



Le marché aux esclaves

Le romancier ontarien DANIEL POLIQUIN a enquêté sur une pratique que l'histoire officielle a commodément gommée: au Nouveau-Brunswick, entre 1875 à 1925, on mettait les orphelins et les vieillards pauvres aux enchères. Pratique barbare qui, explique l'auteur, leur permettait d'échapper à l'orphelinat ou à l'hospice.

Contrairement aux encans traditionnels, ces «esclaves» étaient confiés aux moins offrants, des fermiers pour la plupart, qui recevaient une allocation du gouvernement en échange du gite et du couvert. Naturellement, leurs pensionnaires travaillaient.

Poliquin a imaginé le destin d'un pauvre bougre d'une soixantaine d'années qui se prépare à être vendu pour la troisième fois. Il enfile l'habit du défunt médecin du village qu'on lui a charitablement offert et se présente à l'encan. «Le pire, admet-il, c'est de n'être qu'une chose exposée aux regards de tous.»

Le vol de l’ange, par Daniel Poliquin, Boréal, 2014.



Êtes-vous républicain?

DANIC PARENTEAU soutient que les Québécois sont des républicains qui s’ignorent. Ça rime à quoi de dire cela, alors que les idées et les valeurs de la République, française ou américaine, les indiffèrent?

Et qu’ils s'accommodent de la monarchie britannique, comme du multiculturalisme canadien et de sa variante interculturelle concoctée par Gérard Bouchard, deux modèles d’intégration reposant sur une conception de la société fondée sur le libéralisme anglo-saxon?

Pourtant, dit l'essayiste, les Québécois pensent et agissent en républicains, contrairement aux Canadiens. Quatre exemples: laïcité, identité nationale, immigration et souveraineté populaire.

À la différence des Canadiens, les Québécois exigent une séparation stricte entre l’Église et l’État et s’opposent radicalement aux accommodements religieux, raisonnables ou pas. L’État doit-il préserver l’identité nationale? Il doit rester neutre, répondent les Canadiens, contrairement aux Québécois.

Quant à l’immigration, pour les Québécois, il s’agit d’un processus «collectif» aussi exigeant pour les accueillants que pour les accueillis, contrairement au modèle d’intégration canadien laissé à l’arbitraire «individuel».

Enfin, la primauté accordée par les Québécois à la souveraineté populaire, notion très républicaine, les sépare encore des Canadiens qui s’en remettent plus facilement aux décisions des juges qu’au peuple, en matière politique. La charte canadienne des droits et libertés fait de la Cour suprême l’arbitre ultime du pouvoir politique, non plus le peuple et ses élus.

Conclusion de Parenteau: les Québécois sont écartelés entre deux conceptions opposées de la société, ce qui est malsain. Il faudra bien qu’ils se décident un jour «à faire sauter l’embâcle!»

Précis républicain à l’usage des Québécois, par Danic Parenteau, Fides, 2014.



Le fantasme de Beigbeder

Imaginez le coloré FRÉDÉRIC BEIGBEDER amoureux fou d'une femme morte il y a belle lurette. Il ne sait presque rien d'Oona, sinon qu'elle était la fille du dramaturge américain Eugene O'Neill et qu'à 15 ans, elle aimait J. D. Salinger, l'auteur de L'Attrape-cœurs.

Celui-ci a 21 ans et signe, à New York, ses premières nouvelles. La Deuxième Guerre mondiale éclate et Salinger s'enrôle, tandis qu'Oona épouse Charlie Chaplin, de 36 ans son aîné, à qui elle donnera six enfants.

À partir de ce canevas, Beigbeder bâtira un livre curieux classé roman, mais qui ressemble davantage à une enquête journalistique. Les pages qu'il consacre à Salinger, un jeune juif confronté à l'horreur des camps, sont saisissantes.

Il peint aussi un Chaplin attachant, qui perd pied à l'arrivée du cinéma parlant et est banni des États-Unis, où on le soupçonne d'être un communiste. En revanche, son portrait d'Oona demeure flou et son fantasme demeure insaisissable.

Oona & Salinger, par Frédéric Begbeder, Grasset, 2014.



Opération salissage

Au moment où les couteaux volent bas à Québec, il n'est pas inutile de rappeler l'affaire Munsinger qui a ébranlé Ottawa, en 1966.

Voulant étouffer le scandale qui les éclaboussait, les libéraux de Lester B. Pearson ont soufflé un gros ballon qui allait se dégonfler après avoir sali pas mal de conservateurs, en particulier l'ex-ministre associé de la Défense du Canada sous Diefenbaker, Pierre Sévigny.

On l'accusa d'avoir, en pleine guerre froide, entretenu une liaison extraconjugale avec une espionne au service des Soviétiques.

Or, il ressort de l'enquête menée par DELORME et ROY que, si Gerda Munsinger fut sa maîtresse, elle n'était pas une espionne avide de secrets militaires, mais une call-girl allemande cupide. Pas toujours édifiante, la politique!

L'affaire Gerda Munsinger, par Gilles-Philippe Delorme et Louise Roy, Les Éditions JCL, 2014.