La Francophonie : un idéal voué à l’échec

2014/11/27 | Par Magaye GAYE

Au moment où, le Sénégal s’apprête à accueillir le 15ème sommet de la Francophonie les 29 et 30 novembre prochain, il me semble approprié de consacrer un temps de réflexion à cette aventure démarrée officiellement en 1970 et qui cristallise aujourd’hui espoir et rancœur.

Cet événement coïncide avec les préparatifs de l’anniversaire de la célébration par le Sénégal du grand Résistant anticolonial Cheikh Ahmadou Bamba, dont le projet de société, basé sur des valeurs d’indépendance, de dignité et de travail mobilise des millions de sénégalais.

L’idéal francophone a t-il atteint ses objectifs ? Est-il un instrument de promotion économique, de coopération culturelle et de consolidation des valeurs de démocratie et de paix dans le monde? Ou simplement comme beaucoup le pensent une tentative non avouée de préserver l’influence géopolitique de la France dans certaines parties du Monde et la continuité de sa politique assimilationniste et d’aliénation culturelle sur ses anciennes colonies ?


Une Francophonie plombée par le déclin économique de la France et la profonde inefficacité des méthodes de la Françafrique

Intéressons nous d’abord à la structure de la francophonie : 77 Etats et Gouvernements dont 57 pays membres et 20 observateurs, soit près de 230 millions de locuteurs (3% de la population mondiale).

Selon le rapport de Jacques Attali sur la francophonie économique, commandité par l’Elysée, l’ensemble des pays francophones et francophiles représente 8,5 % du PIB mondial, avec 5,4 % des réserves internationales de ressources minières et énergétiques.

Le rapport n’aborde cependant pas trois réalités inquiétantes : Sur les 20 pays les plus riches du monde, seuls 2 sont francophones. A ce constat s’ajoutent deux tendances lourdes du monde francophone : la propension au déclin de son socle unificateur : « la France » et le retard considérable accusé par son espoir de croissance future et par ailleurs fondateur historique : les pays francophones d’Afrique noire.

La France fait face en ce moment au vieillissement de sa population et à un déficit budgétaire colossal sans oublier un endettement public hors de proportion (2000 milliards d’euro) qui hypothèque ses générations futures, avec en sus des menaces constantes que fait peser la mondialisation.

En outre, ce pays, principal contributeur de la Francophonie, subit de plein fouet un discrédit notoire de sa classe politique ; à court terme, l’on ne voit pas de leader charismatique et visionnaire de la trempe de François Mitterrand ou du Général De Gaulle en mesure de susciter de l’espoir et mener les réformes qui s’imposent.

Les récurrents rappels à l’ordre budgétaire de la Commission de  Bruxelles, intimant à plus de responsabilité et le désintérêt croissant des étudiants francophones du monde entier par rapport au système éducatif de la France constituent des indices probants qui montrent clairement que la principale locomotive de la Francophonie est grippée.

Quant aux pays d’Afrique francophone, il est à noter que sur les 20 pays les plus pauvres du monde, 18 sont africains. Sur ce total, 11 soit 61% sont francophones. Ces derniers sont dépassés par des États africains anglophones, plus entreprenants, plus responsables, et faisant preuve de plus de capacité d’innovation.

Huit des onze pays les plus mal classés au monde par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) sont des États africains francophones. Le classement « Doing business » de la Banque Mondiale indique une insuffisance notoire de l’environnement des affaires dans ces pays cantonnés en queue de peloton dudit classement.

Dans l’une de ses parutions, l’hebdomadaire « Jeune Afrique » révèle que «les pays francophones pèsent 19 % du produit intérieur brut moyen de l’Afrique subsaharienne, quand les anglophones en représentent 47 % (hors Afrique du Sud) ».

Ce retard, de notre point de vue s’explique par l’inefficacité du modèle post colonial français. Au moment où la Grande Bretagne laissait ses colonies aller à l’apprentissage des questions économiques, la France quant à elle, anticipant sans doute un déclin inévitable, a choisi de maintenir ses anciennes colonies dans une logique confédérale avec une forte situation de dépendance et d’assistanat.

Une structuration économique inadaptée, forgée pendant la période coloniale, continue de subsister, faisant de ces pays des réservoirs de matières premières exportables à souhait sans réelle politique monétaire par ailleurs.

En effet, le FCFA, monnaie arrimée, sous l’instigation de la France, à une devise très forte, l’euro, déresponsabilise les pays d’Afrique francophone, hypothèque leur capacité d’exportation et leur développement économique; plus de 50% des réserves en devise (environ 10 000 milliards de FCFA soit 15,2 milliards d’euro en ce moment) logés au Trésor Français en contrepartie de la garantie de la convertibilité ne contribuent pas au financement de l’économie des pays d’Afrique francophone.

Par ailleurs, la logique des « relais locaux » est tellement bien forgée et entretenue que peu parmi les élites locales aiment véritablement leurs pays et se soucient de leur prospérité.

Comment comprendre, à ce propos, le rôle de fondateurs de la Francophonie, assumé avec fierté par des anciens Chefs d’Etat africains comme Senghor, Bourguiba et Diori, en dehors du principal concerné la France ? A un moment où des enjeux d’unification de l’Afrique et de promotion des langues nationales se posaient avec acuité.

Comment concevoir que des anciens Chefs d’Etat du Sénégal de la trempe de Senghor et Diouf aient choisi de s’installer en France après leur départ du Pouvoir ? Comment justifier aux futures générations d’Afrique Francophone les décisions publiques consistant à baptiser de grandes artères et lieux publics des capitales africaines aux noms de Paul Holle, Kermel, Sandiniery, Faidherbe à la place des Résistants et personnages historiques locaux.

Le système prévoit même des outils de maintien du dispositif comme l’appui au maintien au pouvoir des élites favorables à l’ancienne Puissance, le spectre d’un octroi insuffisant de l’aide bilatérale et multilatérale et les accords de défense. Sans oublier des moyens de communication radiophoniques et télévisuels puissants, en mesure de façonner les mentalités de manière décisive.

Plus de cinquante ans après les indépendances, l’Afrique francophone n’est ni respectueuse ni respectée. Par exemple, sur l’affaire de l’Arche de Zoé qui a frappé en 2007 le Tchad, la déclaration du Président Sarkozy, intimant l’ordre aux Autorités tchadiennes d’extrader les membres de ladite association pour jugement en France « quoi qu’ils aient fait » traduit éloquemment le peu de respect nourri à l’égard des pays africains.

Au plan diplomatique, la position de l’Organisation Internationale de la Francophonie dans les conflits qui frappent l’Afrique francophone semble toujours modulée en fonction de la position Française. Le cas de la crise burkinabé où la Francophonie s’est abstenue de réagir en amont en est un cas illustratif.

Il n’est pas imprudent d’affirmer que tant que la Françafrique durera, la Francophonie ne pourra jamais réaliser son idéal.


Vers un monde unipolaire irrémédiablement anglophone

Le Monde anglophone fascine par ses valeurs libérales, pragmatiques et responsabilisantes. Langue des affaires, l’anglais, à l’instar d’une monnaie forte comme le dollar, a pris beaucoup de valeur au cours des dernières décennies renforcé par son positionnement de choix dans de nouveaux métiers d’avenir comme les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.

Cette langue est devenue un signe de reconnaissance internationale et une valeur refuge de progrès. De plus en plus de jeunes du monde francophone sont attirés par les universités anglo-saxonnes.

L'anglais domine incontestablement le monde. Cet idiome est  sans aucun doute aujourd'hui le langage universel et peut être compris presque partout. Dans le subconscient de beaucoup de jeunes à travers la planète, l’anglais est une langue moderne, à la mode, porteuse des valeurs de progrès de demain.

Le poids démographique grandissant des chinois dans le monde ainsi que le retour de plus en plus pressant des valeurs religieuses qui privilégiera une langue comme l’arabe, entraîneront sans doute un fort recul de la francophonie dans le monde.

Ces facteurs ajoutés à une mondialisation multipolaire qui voit l’émergence des puissances comme le Brésil, la Russie, l’Inde, tous arrimés à l’anglais derrière les Etats-Unis, devraient amener les Responsables francophones à plus de lucidité.

Tout pays consciencieux et désireux de jouer un rôle important dans les relations internationales doit adopter l’enseignement obligatoire de l’anglais dès le primaire et en faire une langue officielle. L’Anglais deviendra de notre point de vue la seule langue officielle de communication internationale ; les pays africains gagneraient à anticiper cette réalité et à s’y préparer en conséquence.

Il faut également travailler à promouvoir nos langues nationales pour développer des pensées locales issues de nos réalités. Le Rwanda, dans le cadre d’une bonne démarche d’anticipation géopolitique a très tôt compris cette realpolitik qui fera sans doute des émules en Afrique.

Déjà, la Côte d'Ivoire envisage, dès la rentrée prochaine, l'instauration d'une année probatoire en première année universitaire pour l'apprentissage de l'anglais, afin de donner plus de chance à ses citoyens sur le marché de l'emploi. Le monde Francophone en général, et la France en particulier, n’anticipe toujours pas cette réalité irréversible, cette montée irrésistible d’une nouvelle génération d’Africains soif de respect et fortement désireuse de tourner la page.