La banalité du mal

2014/12/02 | Par Julien Beauregard


Texte : Thomas Bernhard
Mise en scène : Catherine Vidal
Avec : Gabriel Arcand, Violette Chauveau et Marie-France Lamber
Traduction : Claude Porcell
Scénographie : Geneviève Lizotte
Costumes : Elen Ewing
Assistance à la mise en scène et régie : Alexandra Sutto
Éditeur et agent théâtral du texte représenté : L’Arche Éditeur


Dépêchée à Jérusalem par le New Yorker pour couvrir le procès d’Adolf Eichmann, la philosophe Hannah Arendt, élève d’Heidegger, s’étonne de découvrir dans ce soldat nazi rien de plus qu’un simple exécutant, un fonctionnaire bien obéissant.

Rudolf Höller, le personnage de la pièce Avant la retraite interprété par Gabriel Arcand, est, comme Eichmann, autrichien. Les deux sont liés de près ou de loin à Heinrich Himmler, le responsable des camps de la mort allemands. Par contre, contrairement à Eichmann qui a fui vers l’Argentine après la guerre, Höller est demeuré au pays pour devenir président du tribunal d’une petite ville autrichienne.

Petit fonctionnaire à sa façon, Höller exprime une toute autre facette de la banalité du mal. C’est un enragé de salon qui n’a jamais accepté la défaite de 1945, accusant du même fait les Américains de terrorisme pour avoir bombardé son patelin.À tous les ans, il organise une fête à la maison non sans avoir auparavant fermé les volets pour que ça ne s’ébruite pas. En fait, c’est l’une de ses deux sœurs, Vera (Violette Chauveau), qui organise tout. Elle prépare tout un attirail de circonstance : la veste militaire de Rudolf, sa plus belle robe, un album photo et un cadre affichant le portrait du fêté : Himmler!

Oui, c’est dans cette maison familiale qui sert de retraite à ces zélé du régime nazi que Rudolf et Vera partagent leur nostalgie envers les belles années du IIIe Reich. Avec une certaine mélancolie, l’ancien soldat parle des pelotons d’exécution, d’Auschwitz et de comment Himmler lui a sauvé la vie.

Tout cela se déroule sous le regard silencieux de Clara (Marie-France Lambert), l’autre sœur de Rudolf qui est clouée dans son fauteuil roulant. La metteure en scène Catherine Vidal explique qu’elle est l’incarnation de l’intellectuelle de gauche, complice silencieuse des atrocités faites au nom de sa nation. Pour sa part, Vera représente l’obnubilation populaire par la propagande du parti National-socialiste alors que Rudolf est le pouvoir dictatorial.

La banalité du mal, c’est que les pensées véhiculées sous ce toit familial ne sont pas marginales. C’est du moins ce que prétend Vera lorsqu’elle dit : «Et pourtant la majorité pense comme nous. La majorité se cache. C’est ça qui est effrayant. »

Thomas Bernhard a commis plus d’une œuvre dénonçant l’hypocrisie de l’Autriche dans sa complicité avec l’Allemagne nazie. Jusqu’à la fin de ses jours, il aura dû faire face aux scandales qu’il met en branle et lutter contre les menaces de censures émises entre autres par le pouvoir législatif autrichien.

Les parallèles à faire sont nombreux entre cette œuvre de Bernhard et le Québec, au risque même d’obtenir un point Godwin, ce concept élaboré par un avocat américain du même nom qui a émis l’hypothèse que toute argumentation aboutit éventuellement à une comparaison avec le régime d’Hitler.

Mais comment ne pas voir dans Rudolf cette petite bourgeoisie complice du pouvoir, dans Vera ces électeurs qui élisent cette élite qui les convainc que l’austérité est la seule finalité du projet de société québécois et dans Clara, ces progressistes désolidarisés qui ont permis à tout cela d’arriver?