Le duo pervers entre la gauche et les libéraux

2015/01/05 | Par Gilles Laporte

L’auteur est historien et président du Mouvement national des Québécoises et Québécois (MNQ)

Le «néolibéralisme» du gouvernement Couillard, les gaffes d’Yves Bolduc, l’arrogance de Gaétan Barrette sont une bénédiction pour les syndicats, qui remobilisent ainsi leurs troupes.

Dès avril 2014, le reste de l’année politique devenait malheureusement prévisible. L’enfance de l’art pour le nouveau gouvernement libéral allait dès lors consister à profiter d’un début du mandat pour procéder à des coupures de services et à des hausses de tarifs en invoquant l’urgence de rétablir l’équilibre budgétaire. Peu importe que cet objectif soit atteint ou même louable, le gouvernement Couillard aura ensuite tout le temps de se préoccuper d’équité et de mission sociale en vue des prochaines élections.

 Depuis des décennies, cette stratégie libérale consistant à brandir le bâton pour mieux ressortir ensuite la carotte électorale permet du coup de satisfaire les milieux d’affaires et les agences de cotation, puis, à la veille d’un scrutin, de calmer les clientèles écorchées par la lutte contre le déficit.

La plupart des groupes de pression connaissent la chanson et ont depuis appris à danser, s’insurgeant en période d’austérité pour ensuite sagement adresser leurs demandes en période électorale. Les syndicats en particulier excellent à ce tango endiablé avec leur ennemi favori. Le « néolibéralisme » du gouvernement Couillard, les gaffes d’Yves Bolduc, l’arrogance de Gaétan Barrette ou l’insensibilité comptable de Martin Coiteux sont en fait une bénédiction pour les directions syndicales qui en profitent pour remobiliser leurs troupes, dynamiser les assemblées syndicales et remplir à nouveau les rues de Montréal de manifestants en colère appelant déjà à brandir les casseroles !

La gauche se rassure ainsi sur la noblesse de sa cause, héraut des mécontents, sans rien avoir à proposer d’autre que de résister. Peu avant l’élection d’avril dernier, un délégué syndical confiait que « dans le fond c’est tellement plus simple avec un gouvernement libéral : avec le PQ on se divise, car il faut appuyer certaines mesures, tandis que la corruption et l’arrogance libérale resserrent nos rangs comme par magie ». Décidément, « Liberal times are good times ».


La gauche a renoncé au pouvoir

À la base de ce mutualisme sournois entre un gouvernement néolibéral et la gauche québécoise repose le fait que cette dernière ait finalement renoncé à participer au pouvoir et à s’engager avec un parti de gouvernement. Syndicats et ONG voient bien que, partout en Occident, l’interventionnisme de l’État pique du nez et que la lutte des classes cède tranquillement la place à des enjeux nouveaux comme le communautarisme, la mondialisation et l’environnement.

Mal à l’aise sur l’enjeu identitaire, l’immigration, la laïcité ou la lutte contre la corruption, la gauche semble impuissante à formuler un projet de société réaliste et rassembleur pour une population de plus en plus gagnée par l’individualisme et le consumérisme. Beaucoup plus simple dans les circonstances de s’en tenir à l’obstruction contre les ravages du néolibéralisme.

Afin de tout de même paraître proposer une option tangible, il suffit d’investir un parti confiné à l’opposition perpétuelle — Québec solidaire par exemple — et ainsi paraître progresser en glanant une nouvelle circonscription montréalaise par élection générale. Les candidats à la direction du Parti québécois Martine Ouellet, Jean-François Lisée ou Pierre Céré auront beau s’échiner à rallier les progressistes au PQ en leur faisant miroiter un accès au pouvoir, pourquoi la gauche se donnerait-elle cette peine ? Pourquoi devrait-elle tenter de réinvestir un parti de gouvernement et ainsi encourir la division dans ses rangs et les vicissitudes du pouvoir, en particulier dans un parti bientôt dirigé par l’infréquentable Pierre Karl Péladeau ?


Défendre le modèle québécois

Si les attaques du gouvernement Couillard contre le modèle québécois sont bien réelles, la riposte présentement menée n’est pas crédible. Pour sortir du duo pervers qui la lie au gouvernement libéral, la gauche québécoise devra d’abord rompre avec l’idéalisme et collaborer à une alternative politique réaliste en s’alliant aux autres forces qui défendent tout autant qu’elle les valeurs de solidarité et le rôle tutélaire de notre État national.

À titre de président du MNQ, j’attends impatiemment que les groupes de gauche, les leaders syndicaux et les porte-parole environnementaux contactent enfin nos sociétés nationales et Saint-Jean-Baptiste afin d’inclure dans une entreprise de salut national ceux et celles qui mènent ce combat depuis plus d’un siècle. Pour les syndicats, c’est une question de crédibilité.

L’entreprise de démantèlement du gouvernement Couillard pose un défi à la mesure du rôle historique que le mouvement syndical a déjà su jouer à l’époque de Duplessis. De tous ceux qui se dressent contre ce gouvernement, les syndicats sont les mieux financés et les plus organisés. À eux de se montrer à la hauteur de la cause qu’ils prétendent défendre. Dans le cas contraire, ils auront bien du mal à contredire les chroniqueurs de droite qui ne voient pour l’instant dans leur riposte que la simple défense d’intérêts corporatistes.

Photo : SCFP