« Je suis Charlie » : aujourd’hui, oui, mais demain ?

2015/01/09 | Par Martin Lachapelle

Aucun qualificatif ne sera jamais assez fort pour qualifier un tel acte de bassesse et de monstruosité. Le degré zéro de l’inhumanité fut atteint avec cet attentat terroriste perpétré, mardi dernier, contre le journal satirique Charlie Hebdo, à Paris. Le vaste mouvement de solidarité « Je suis Charlie » s’est depuis mis en branle à travers le monde entier pour appuyer la France, les victimes et leurs proches, en dénonçant avec raison, au nom de la démocratie, cette injustifiable attaque sanglante contre la liberté de presse et la liberté d’expression.

Douze morts, une dizaine de blessés, des centaines de proches endeuillés, une nation française consternée et des millions de sympathisants étrangers attristés et choqués par cette tragédie. Voilà pour le bilan direct et primaire de cette triste affaire.

Quant au bilan indirect et en apparence secondaire de cet attentat terroriste, puisque difficilement quantifiable, on peut malheureusement s’attendre à une série de conséquences fâcheuses aussi préjudiciables.

Comme celle de tout confondre et culpabiliser, par association, le 99 % de musulmans pacifiques et d’arabes dont plusieurs sont laïques. Même si, d’un autre côté, la délicatesse de toute cette triste affaire et la crainte de dérapages ne doit pas plus inciter au mutisme et à l’attentisme.

Tel que l’a souligné Michel David, du Devoir, dans « La réponse à trouver » :

« Autant il ne faut pas imputer à l’ensemble de la communauté musulmane les actes posés ou approuvés par une infime minorité, autant la crainte de l’amalgame ne doit pas servir de prétexte à l’inaction. »

Autre conséquence à prévoir, un risque évident d’autocensure des médias (et même de la population), par la peur de représailles. Conséquence déjà visible et relevée par une autre journaliste du Devoir, Josée Boileau, qui craint également une réponse inadéquate du gouvernement :

« Mais après, qu’oserons-nous encore ? En ce jour d’attentat, des médias refusent déjà de publier des caricatures de Mahomet et l’on pressent que les gouvernements, si prompts sur le coup des événements à saluer la liberté de presse, n’auront encore qu’une réponse sécuritaire à opposer à l’extrémisme religieux. La logique même d’enfermement que combat Charlie Hebdo reste à l’œuvre (…)  


Que feront les gouvernements pro-multiculturalistes et pro-religieux d’ici ?

Michel David estime que le drame de Charlie Hebdo ramènera à l’avant-scène le débat sur la laïcité et l’importance de la lutte contre le terrorisme intégriste face à la menace qu’il représente pour « la démocratie et les valeurs qu’elle défend » :

« Si la charte de la laïcité proposée par Bernard Drainville était loin de faire l’unanimité au sein de la société québécoise, la position minimaliste des libéraux sur la question des signes religieux, qui allait moins loin que les recommandations pourtant très modérées de la commission Bouchard-Taylor, était encore moins consensuelle (…) La charte de la laïcité n’était peut-être pas la bonne réponse, mais le drame de Charlie Hebdo rappelle de façon brutale qu’il faudra bien en trouver une. »

Une opinion étonnamment partagée sur le fond par un journaliste de La Presse (qui n’est pas l’électron libre et laïque Pierre Foglia!), soit Vincent Marissal, qui profite parfois d’un peu plus de latitude pour critiquer sans trop de dommages les politiques du Parti libéral… entre deux campagnes électorales :

« Évidemment, même la plus belle politique gouvernementale n'empêchera jamais un illuminé d'entrer avec une kalachnikov dans une salle de rédaction, mais le réflexe des libéraux de pousser ce problème sous le tapis depuis des années ne le fera pas disparaître. »


Origine et implications du « Je suis Charlie »

Pour le moment, la planète démocratique est « Je suis Charlie » en appui aux victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo. Des médias aux simples citoyens qui s’affichent sur le Web avec la mention « Je suis Charlie ».

Ce mouvement de solidarité représente un clin d’œil à une scène célèbre tirée du film Spartacus de Stanley Kubrick. Illustration parfaite d’une démonstration de solidarité, cette scène correspond à la capture des esclaves à qui la liberté fut offerte à quiconque consentirait à dénoncer Spartacus. Avec pour résultat une démonstration de solidarité envers ce dernier de la part des esclaves qui ont tous affirmé, tour à tour : « Je suis Spartacus »!

En espérant maintenant que le « Je suis Charlie », en hommage à des martyrs victimes de l’intolérance envers les libertés de presse et d’expression, ne se résumera pas qu’à un simple appui moral ponctuel virtuel et non constant et réel…

Comme le mentionnait Josée Boileau :

« Il faut s’obliger, et il y a urgence, à garder les fenêtres ouvertes, que les idées circulent, que chacun trouve son ton, mais que les débats se fassent, que les opinions se confrontent et provoquent, surtout en matière religieuse, lieu des nouveaux tabous. »

Or, on ne peut qu’espérer que le passé ne sera pas garant du futur en matière de respect de la liberté d’expression de ceux et celles qui osent poser un regard critique sur la religion et sur sa place dans l’espace publique, en parlant de laïcité ou de la menace de l’intégrisme religieux par une minorité de fous furieux (qui instrumentalisent une religion à la base pacifique).

Car tout le monde médiatique et politique d’ici n’était pas Charlie, lors des commissions Bouchard-Taylor, ni lors du débat sur la Charte des valeurs ou de la laïcité. Même que, de façon fallacieuse, plusieurs prétendus « Charlie » ont discrédité les tenants de la laïcité à partir des pires exemples de maladresse souvent involontaires de la part de gens plus ou moins articulés, qui ont simplement le malheur d’avoir des inquiétudes et de se poser des questions.

Ça fait des bonnes jokes à présenter à Infoman ou dans un Bye Bye, mais on ne règlera jamais une question et un débat en circonscrivant des causes à des « messagers » maladroits qu’on peut facilement tirer pour les ridiculiser et les discréditer. Pensons à l’attention mise sur le couple Pineault-Caron…

Et où étaient les « Charlie » de la laïcité factice et de façade (lire : « ouverte ») lorsque des intellectuelles laïques comme Louise Mailloux et Djemila Benhabib furent poursuivies ?

Combien de chroniqueurs et de politiciens multiculturalistes sont allergiques à tout questionnement sur la laïcité, la religion, la montée de l’intégrisme religieux et la menace terroriste ? Ou encore la langue, l’indépendance, l’identité, l’immigration et les questions d’intégration et d’exclusion des minorités ? Toutes des préoccupations jugées, au mieux, inutiles, passéistes et alarmistes, ou, au pire, rétrogrades, xénophobes et racistes…

Un reportage de l’émission Enquête diffusé après les attentats de St-Jean et d’Ottawa posait d’ailleurs un regard accusateur sur les personnes « alarmistes » face à la menace intégriste.

Comme si tout ce qui touche les interrogations relatives au « vivre ensemble » dans des sociétés démocratique pourtant de plus en plus métissées était par §définition synonyme de rejet de « l’autre » et de tentative de division.

À quand un débat ouvert et élargi digne de « Charlie » sur la définition à géométrie variable du terrorisme (qui ne semble pas s’appliquer aux attentats antiféministes et antiindépendantistes), de même que sur la censure et le non-respect des libertés de presse et d’expression (et non de VÉRITABLE diffamation), sous toutes leurs formes, qu’on parle de censure violente et sanglante, ou simplement juridique, gouvernementale ou patronale ?

Car c’est bien de tout cela dont il est question. À moins que les victimes de Charlie Hebdo ne soient mortes pour rien…