Négos du secteur public et réforme de l’immigration

2015/01/29 | Par Pierre Dubuc

Dans son édition du 26 janvier, le journal Le Devoir, sous la plume de Jocelyne Richer, nous apprend que le gouvernement de Philippe Couillard veut entreprendre une grande réforme de l’immigration. La ministre responsable du dossier, Kathleen Weil, a déclaré : « Où je veux me rendre, c’est un système d’intégration basé sur le modèle canadien ».

L’accent, nous apprend Le Devoir, sera « mis sur l’économie », sur « l’adéquation entre le recrutement des immigrants et les besoins de l’économie », ce qui est exactement la philosophie de la récente réforme fédérale.

Cette réforme fédérale-provinciale est à mettre en lien avec les prospectives sur les besoins en main d’œuvre, le recrutement d’étudiants étrangers dans les universités canadiennes et québécoises et, sans que cela n’y paraisse à première vue, les propositions du gouvernement libéral en matière d’éducation dans le cadre du renouvellement des conventions collectives.


Un système de sélection innovateur

Les analystes du marché du travail prévoient, pour les prochaines décennies, un écart grandissant entre des besoins en une main-d’œuvre hautement qualifiée et une masse de travailleuses et de travailleurs déclassifiés par l’automation.

Aussi, à défaut de pouvoir combler les emplois hautement qualifiés par son système d’éducation, le Canada aura désormais recours à l’immigration.

En 1967, le Canada avait innové en instaurant un système de pointage dont l’objectif était d’écarter la discrimination et les préjugés dans la sélection des immigrants.

Le système ne tenait pas compte de la race et du pays d’origine du postulant et valorisait l’éducation, la connaissance du français ou de l’anglais, et l’expérience de travail.

Le progressisme de ce système a été salué à travers le monde et adopté par plusieurs autres pays.


Un système de pointage en fonction des besoins des employeurs

Mais les Conservateurs viennent de le chambouler complètement. Depuis leur élection en 2006, ils jonglaient avec l’idée de transformer un système basé sur la sélection des immigrants sur la base de « leur talent pour la citoyenneté » par un autre axé sur les besoins des employeurs.

C’est maintenant chose faite. Le nouveau système « Entrée Express » prévoit que, sur une échelle de 1200 points, la moitié est accordée à ceux qui détiennent une offre d’emploi ou relèvent de programmes d’immigration provinciaux, lesquels sont étroitement alignés sur les besoins du marché du travail.

Ceux qui obtiendront les meilleurs scores pourront rapidement faire une demande de résidence permanente.

Le nouveau système a pour but d’attirer des ingénieurs, des spécialistes des technologies de l’information et des soins de santé.

Un ancien ministre a félicité les Conservateurs pour avoir transformé le ministère de l’Immigration en une agence de placement géante. D’autres considèrent qu’il s’agit ni plus ni moins que d’une privatisation de l’immigration.

Parallèlement à ces transformations, les Conservateurs ont resserré les conditions d’admissibilité des réfugiés et des personnes plus âgées qui veulent rejoindre leur famille au Canada.


Une clientèle visée : les étudiants étrangers

En vertu de ce nouveau programme, l’immigrant rêvé est un jeune, polyglotte, qui a déjà travaillé au Canada et qui détient une offre d’emploi. Des étudiants internationaux ayant fréquenté des universités canadiennes, et qui ont travaillé au Canada pendant leurs études, seront donc des candidats ciblés.

Selon Daniel Coderre, recteur de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), « de tous les étudiants étrangers qui fréquentent son université, environ 60 % s’installent au Québec et s’intègrent directement au marché du travail ». (Le Devoir, 24 janvier 2015).

Soulignons que les étudiants non québécois (étrangers ou provenant du reste du Canada) représentaient, en 2012-2013, 17,1% de l’effectif étudiant total des universités. Ils formaient la moitié de la population étudiante à l’INRS (51,1%), à l’Université McGill (49,1%) et à l’Université Bishop’s (47,6%).(1)

L’augmentation de la clientèle universitaire québécoise repose en grande partie sur l’afflux d’étudiants non québécois. De 2001 à 2012, la croissance annuelle du nombre d’étudiants non québécois a été de 5,3%, alors qu’elle n’a été que de 1,9% pour l’ensemble de l’effectif universitaire.

À ce chapitre, les universités anglophones s’accaparent de la part du lion. L’Université McGill accueille 38,9% des quelque 38 799 étudiants non québécois présents dans nos universités. En fait, 59,7% de ces étudiants fréquentent une université anglophone.


Des propositions patronales pour une école élitiste

Quels liens entre, d’une part, l’immigration et la forte présence d’étudiants non québécois et, d’autre part, les propositions gouvernementales pour le renouvellement des conventions collectives des enseignants?

En fait, les modifications proposées par la partie patronale à la convention collective des enseignantes et des enseignants (augmentation du nombre d’élèves par classe, élimination de la pondération a priori pour les élèves handicapés ou ayant des difficultés d’adaptation ou d’apprentissage, etc.), entraîneront une détérioration assurée du réseau des écoles publiques, qui favorisera un exode certain vers les écoles privées.

Nos dirigeants semblent donc avoir décidé de sacrifier l’éducation de la majorité des élèves et favoriser celle d’une élite. Les emplois des premiers seront bientôt remplacés par des robots, les seconds seront formés pour occuper les emplois hautement qualifiée de l’avenir.

Et, pour compenser la pénurie éventuelle de travailleurs qualifiés, on misera sur l’immigration et, plus particulièrement, sur le recrutement d’étudiants universitaires non québécois, qu’on tentera de retenir par la suite au pays.

Le ministre fédéral de l’Immigration, Chris Alexander, faisait remarquer que les immigrants sont déjà plus nombreux à détenir des diplômes d’études postsecondaires que la moyenne de la population canadienne.

  1. Statistiques tirées du Rapport final du chantier sur la politique de financement des universités préparé par Hélène P. Tremblay et Pierre Roy, juin 2014.