Une branche résiste : le secteur manufacturier

2015/06/18 | Par Gabriel Ste-Marie

Le secteur manufacturier québécois se porte mal. Depuis son dernier pic en 2000, il est en constant déclin. Sa part dans l’ensemble de l’économie a fondu, passant de 22,9% du PIB en 2000 à 13,9% en 2014.

Un secteur résiste cependant au déclin : celui de l’industrie aéronautique. Mais cette grappe industrielle, concentrée dans la grande région de Montréal, subit également les contrecoups de la politique économique du gouvernement Harper axée sur l’expansion du secteur pétrolier et de ses effets sur la devise canadienne.

En 1999, il y avait près de 630 000 emplois manufacturiers, contre moins de 490 000 en 2014 au Québec. 140 000 emplois à temps plein de moins, alors que l’économie croît et que la population augmente, ont de quoi inquiéter.

Au cours de la même période, le nombre total d’emplois dans l’économie a augmenté de plus de 730 000, mais la création d’emplois est concentrée dans le secteur des services. Règle générale, les nouveaux emplois créés sont moins bien rémunérés que ceux perdus dans le secteur manufacturier. Par exemple, le tiers des nouveaux emplois créés l’est à temps partiel.

Le secteur des services avec la plus forte création d’emplois est celui de la santé et des services sociaux, avec près de 220 000 emplois au cours de la période 1999-2014, une conséquence du vieillissement de la population. Le secteur de la construction a aussi été en croissance.

Les activités du secteur manufacturier étant tournées vers l’exportation – contrairement aux secteurs des services et de la construction – leur déclin creuse le déficit de la balance commerciale du Québec.

Plusieurs éléments expliquent le recul notre secteur manufacturier. Il y a, bien sûr, les effets de la crise de 2008 et la délocalisation des entreprises vers les pays qui versent des salaires de misère.

Toutefois, selon les travaux de l’économiste Serge Coulombe de l’Université d’Ottawa, l’essentiel du déclin découle de la très forte appréciation du dollar canadien depuis le début des années 2000.

Plus le dollar canadien s’apprécie, moins notre production est concurrentielle sur les marchés extérieurs. Entre 2003 et 2011, le dollar canadien s’est apprécié de 60%.

Malheureusement, sa récente baisse ne semble pas suffisante pour attirer de nouvelles activités manufacturières. En fait, les milieux économiques s’attendent à une remontée de la devise et les décisions d’affaires – à savoir où installer une nouvelle usine, par exemple – ne se prennent pas en fonction de la conjoncture momentanée des économies.

Le dollar canadien est devenu un pétrodollar. C’est-à-dire qu’il suit assez fidèlement le cours du pétrole. Quand le prix du pétrole est en hausse, la valeur du dollar canadien augmente. Quand c’est le contraire, le dollar dégringole. Sa valeur est aussi influencée par la valeur des exportations des autres ressources naturelles.

L’économie du Canada est de plus en plus orientée vers le pétrole. Presque toute la politique économique d’Ottawa y est assujettie : aides aux entreprises de ce secteur, réglementation, pressions pour le développement d’oléoducs, réforme de l’assurance-emploi (visant à accroître la mobilité de la main-d’œuvre entre les provinces en réduisant l’emploi saisonnier), relations internationales (recherche de pays importateurs de pétrole, prise de position dans le conflit ukrainien, refus de Kyoto, etc.).

Si le projet de l’oléoduc Énergie Est de TransCanada voit le jour, 40 % de la production de pétrole des sables bitumineux transiteront par le Québec et seront pour l’essentiel exportés. Le transport du pétrole au Québec par oléoduc, par train et par bateau constitue une terrible menace écologique sans nous apporter de retombées économiques. Pire encore, en favorisant l’envolée du dollar canadien, il va plomber davantage notre secteur manufacturier.

Une branche résiste au déclin manufacturier québécois : l’industrie aéronautique. La grappe aéronautique, concentrée dans le Grand Montréal, représente environ 10% de l’emploi manufacturier et 80% de sa production est exportée.

Malgré les 1 000 emplois perdus chez Bombardier, en mai dernier, et les 300 autres emplois envolés de Bell Helicopter en avril, le nombre d’emplois a tendance, sur une longue période, à se maintenir et même à s’accroître légèrement au Québec.

Il s’agit d’un grand avantage pour notre économie puisque cette industrie génère des emplois de qualité, avec des salaires au-dessus du salaire moyen, et même au-dessus de la moyenne du secteur manufacturier.

Dans cette grappe industrielle, on trouve une belle synergie entre de grandes entreprises, comme Bombardier et Pratt & Whitney (P&WC), et plus de 200 entreprises spécialisées.

Étant donné les aspects sécuritaires de l’aéronautique, chaque avion doit répondre aux plus hauts standards de qualité. Chaque pièce doit donc subir plusieurs tests et chaque entreprise doit obtenir de nombreuses certifications. Changer de fournisseurs et de partenaires dans le domaine est donc très complexe.

Ceci rend l’industrie moins flexible que d’autres et lui a permis de résister à l’appréciation du dollar canadien de la dernière décennie. Ces avantages n’empêchent pas pour autant l’industrie aéronautique québécoise d’être confrontée à plusieurs défis.

Avec l’émergence de la Chine et de la Russie dans ce secteur industriel, la concurrence est plus féroce. De nouveaux modèles concurrencent les avions de Bombardier et de nouveaux moteurs rivalisent avec ceux de P&WC. Les cycles de vie des avions et de leurs moteurs sont plus rapides, rendant leur rentabilité plus difficile.

Cela encourage la délocalisation. Ainsi, le Mexique est présentement en train de développer sa propre grappe aéronautique au Chihuahua. Pour faire face à cette concurrence, Bombardier a choisi de relocaliser au Mexique la production de certains modules de ses avions et l’entreprise incite fortement ses entreprises sous-traitantes à faire de même.

Ce phénomène rappelle étrangement le sort de l’industrie automobile du Michigan. D’abord délocalisée au Mexique, elle a ensuite redéménagé ses installations en Asie. Détroit et les autres villes du Michigan ont payé chèrement ce bouleversement et le payent toujours.

Concernant la concurrence étrangère, l’École nationale d’aéronautique, tout comme celle des métiers de l’aéronautique de Montréal, deux fleurons de la formation aéronautique, auraient avantage à revoir leur volet « internationalisation ».

La formation des travailleurs étrangers qui retournent dans leur pays partager l’expertise acquise au Québec nuit à notre grappe industrielle. Dans la plupart des secteurs industriels, l’information, la formation et la spécialisation constituent des avantages cruciaux face à la concurrence qu’il faudrait protéger et non dilapider!

Le gouvernement du Québec doit protéger davantage le maintien de l’industrie aéronautique en sol québécois. Par exemple, au moment où le gouvernement Couillard parle d’investir chez Bombardier, il devrait lier ces subventions à la garantie que les avions seront fabriqués au Québec et pas au Mexique!

Des pressions doivent aussi être exercées sur Ottawa. Par exemple, les politiques économique et monétaire devraient soutenir le secteur manufacturier. De plus, les dépenses du ministère de la Défense devraient appuyer avec plus de vigueur l’industrie aéronautique, comme c’est le cas en Europe et aux États-Unis.

Malheureusement, les intérêts du Québec comptent bien peu au Canada et lorsqu’ils vont à l’encontre de ceux du Canada, les partis fédéralistes favorisent presque toujours les intérêts du Canada.

Le déclin du secteur manufacturier québécois découle en grande partie de la politique canadienne du tout au pétrole et du manque de leadership québécois pour dynamiser l’économie et répondre à la politique canadienne et à l’appréciation de sa monnaie.

En attendant d’avoir réalisé son indépendance, Québec devra redoubler d’efforts pour protéger ses diverses industries, notamment l’aéronautique et l’ensemble de son secteur manufacturier.