Même quand on pense qu'il a tort, le peuple a raison

2015/09/21 | Par Pierre-Alain Cotnoir

Cher Jean,

Je comprends bien les arguments, les ayant moi-même utilisés, disant que le sort du gouvernement fédéral se joue d'abord ailleurs qu'au Québec et que les députés du NPD demeurent prisonniers de la volonté de leur parti de ne pas déplaire au « Rest of Canada », toutefois, ils ne convainquent pas ceux et celles obsédés (comme je le suis également) par l'idée de déloger le gouvernement Harper.

Car ils font un calcul arithmétique tout simple: si les autres provinces élisaient 90 députés NPD et qu'il en manquait, disons 36 pour que ce parti ait le plus d'élus à la Chambre des communes, alors l'appui du Québec au NPD pourrait faire toute la différence.

Ajoute à ce calcul, l'idéation d'une alliance entre les progressistes du Canada et ceux du Québec, à l'orée du COP21 à Paris sur les changements climatiques, comme pour soutenir le maintien de l'aide aux plus démunis (je pense entre autres aux subventions accordées pour les logements sociaux).

Puis, prends en considération que dans l'esprit de bon nombre de nos concitoyens, le jour où le Québec sera souverain ne leur apparaît pas être pour « demain » et qu'entre temps, il faut bien faire avec le Canada.

Ce sont aussi des arguments qui ont leur poids et qu'on ne peut écarter du revers de la main. Je ne fais pas confiance à Thomas Mulcair, mais parmi les candidats du NPD, il y a des gens avec lesquels je conserve plus d'affinités qu'avec ceux du PLC ou encore pire ceux du PC.

J'ajouterai que du temps où Lucien Bouchard présidait le BQ puis le PQ, il était loin d'être un leader progressiste, mais au sein de la députation du PQ comme du BQ, heureusement l'on pouvait trouver des gens avec lesquels partager les mêmes valeurs.

Bien, c'est la même chose avec le NPD et en prime ça nous rapproche de gens fréquentables sur beaucoup d'autres sujets dans le ROC. Alors pourquoi s'en priver?

Tu écris: « Le premier argument en faveur de cet appui d’indépendantistes au NPD est celui du vote « stratégique » pour renverser à tout prix le régime Harper et éviter que les conservateurs ne profitent de la division du vote pour se faufiler vers la victoire. Or, dans la plupart des circonscriptions du Québec, cette dernière possibilité est inexistante. »

En fait, les électeurs ne se posent pas des questions concernant le sort du député de leur circonscription (à l'exception sans doute de Papineau, Laurier Sainte-Marie et d'Outremont), c'est bien plus sur le sort du gouvernement Harper que porte leur intérêt.

Or, actuellement, c'est l'Ontario qui conserve la clé de cette élection, le NPD est troisième derrière le PLC et le PC qui sont au coude-à-coude (si je peux emprunter cette image!).

Ainsi, l'envoi d'une forte députation d'élus NPD du Québec à Ottawa pourrait encore faire toute la différence. Comme nous sommes dans les marges électorales, tout peut encore se produire. Le système électoral de type anglais fonctionne selon le principe que « the winner takes it all » donnant parfois des majorités artificielles en regard des scores électoraux.

Par contre, si le BQ pouvait compter sur l'appui d'une majorité électorale au Québec comme celles qu'il a connu par le passé, je serais d’accord avec toi que l'élection d'une cinquantaine de députés bloquistes pourrait créer un dynamique fort différente où le BQ pourrait jouer un rôle de défenseur des intérêts québécois en détenant une balance du pouvoir.

Mais nous sommes loin de la coupe aux lèvres et je ne crois pas que les tendances soient en voie de s'inverser au Québec, bien au contraire. D'où mon commentaire à l'effet qu'il est contreproductif de tenter d'arrêter une volonté bien enracinée au sein de notre peuple, soit de sortir le gouvernement Harper (il n'y a d'ailleurs pas de différence en cette matière entre fédéralistes et souverainistes).

Que les souverainistes ne perçoivent pas ce message ou n'en tirent pas les conclusions, ça me sidère. Ils semblent mettre tous leurs œufs dans le même panier et c'est ça le problème en regard de la question nationale, car d'associer cette question au sort des urnes fédérales, ça m'apparaît comme la pire des stratégies.

Il faudrait peut-être comprendre qu'une pluralité d'électeurs ne conçoit plus que le BQ puisse rendre ce service de mettre fin au gouvernement Harper. Il faudrait peut-être les écouter au lieu de chercher à avoir raison à tout prix.

Le mariage entre le vote souverainiste et celui du BQ risque donc d'envoyer un signal délétère aux électeurs sur les appuis que récolterait lors d'un référendum la souveraineté du Québec.

Je le répète, je plaide pour qu'on ne marrie pas trop le sort politique du Québec au sort électoral du BQ.

Bref, que les souverainistes reconnaissent la mesure du rejet du gouvernement Harper par notre peuple au lieu de le lui reprocher implicitement. Car ce rejet viscéral d’un gouvernement en rupture avec les valeurs portées par la très grande majorité n’est-il pas l’illustration la plus évidente que nous formons une nation distincte?

Les valeurs portées par les conservateurs fédéraux viennent heurter de plein fouet celles partagées par la très grande majorité de l'électorat du Québec.

Comme le souligne Colin Woodard dans American Nations: A History of the Eleven Rival Regional Cultures of North America : « Down-to-earth, egalitarian, and consensus-driven, the New French (c.-à-d. les Québécois) have recently been demonstrated by pollsters to be far and away the most liberal people on the continent ».

Le documentaire de Carole Poliquin et Yvan Dubuc, L'empreinte (http://lempreinte.quebec), illustre ces valeurs où l'importance accordée à la collectivité fait de cette nation un cas unique en Amérique du Nord.