Discours prononcé par Gilles Duceppe

2015/10/23 | Par Gilles Duceppe

Bonjour,

Vous me permettrez avant de commencer de souhaiter un joyeux anniversaire à ma mère, qui a 90 ans aujourd’hui : bonne fête maman.

Cette journée marque un moment important pour ma famille et moi, alors que je tourne la dernière page d’une aventure politique passionnante. Cette aventure a débuté en 1990.

Cette année-là, mon père, Jean Duceppe, a affirmé devant des centaines de milliers de personnes réunies pour la fête nationale, que le Québec était dorénavant notre seul pays.

C’était bien ce que des millions de Québécois ressentaient après que le Canada ait rejeté l’Accord du lac Meech. Après nous avoir imposé une Constitution sans aucune consultation démocratique, voilà que le Canada rejetait les quelques demandes minimales de la nation québécoise. Nous avons bataillé ferme pour faire aboutir ce pays, notre pays.

De 1990 à 1993, nous étions une poignée de députés à la Chambre des communes. Avec Lucien Bouchard, le Bloc Québécois a balayé le Québec aux élections de 1993, le parti de gouvernement étant réduit à deux sièges.

À la tête du Parti Québécois, M. Parizeau a organisé la plus formidable coalition souverainiste de l’histoire en 1995 et nous sommes venus à un cheveu de remporter le référendum. Le pays, qui était à portée de main, nous a malheureusement échappé.

Pour autant, nous n’avons jamais baissé les bras. Je suis très fier de ce que le Bloc a accompli par la suite.

Nous avons par exemple été le premier parti à défendre rigoureusement et sans jamais faiblir le protocole de Kyoto et la lutte aux changements climatiques.

Nous avons été les premiers à plaider et à proposer un plan pour réduire la dépendance du Québec au pétrole.

Nous avons débusqué et dénoncé nombre de malversations du gouvernement libéral de l’époque, dont l’immense opération de propagande qui allait déboucher sur le scandale des commandites.

Nous avons amorcé la longue bataille qui allait permettre au Québec de créer un programme de congés parentaux moderne et généreux.

Les chantiers de réflexion du Bloc sur la mondialisation et la citoyenneté auront lancé de vastes débats qui se poursuivent encore aujourd’hui. Cet exercice a permis de moderniser le projet souverainiste, ce qui a fait dire à M. Parizeau que le Bloc était devenu le fer de lance du mouvement.

Aux élections de novembre 2000, le Bloc a encore une fois remporté une majorité de circonscriptions québécoises. Les batailles furent innombrables. Nous avons finalement obtenu l’adoption d’une loi antigang, de même que la reconnaissance et le règlement partiel du déséquilibre fiscal.

Tout au long de ces années, j’ai mis un point d’honneur à exprimer ce qui selon moi représenterait les positions d’un Québec indépendant en matière de politique étrangère. Nous avons représenté le Québec avec rigueur, avec dignité et avec un sens aigu des responsabilités.

Sous ma direction, le Bloc aura été le parti de tous les Québécois, en particulier des plus humbles d’entre nous. En utilisant pleinement les moyens limités d’un parti d’opposition, nous avons littéralement sorti des dizaines de milliers de personnes âgées de la pauvreté.

Le Bloc Québécois en est venu à incarner le combat pour que le programme d’assurance-emploi tienne compte de la réalité du travail saisonnier. À Ottawa, nous avons été les meilleurs alliés des nations autochtones.

Nous avons établi de nouveaux standards pour les partis d’opposition dans les débats budgétaires. Nous sommes devenus au fil du temps un véritable laboratoire d’idées. Et les Québécois nous ont fait confiance encore en 2004, puis en 2006 et en 2008.

Nous avons essuyé notre première défaite en 2011. Une défaite qui fut dure à encaisser, bien entendu. Après tout, nous avions remporté six victoires d’affilée! Pour un parti dont la pertinence fut questionnée à chaque occasion, il y a là tout un accomplissement. Mais quand on y repense, subir une première défaite en sept élections en terminant deuxième n’avait rien de déshonorant.

Cette fois-ci, le Bloc Québécois jouait carrément son existence et mon retour visait à sauver ce parti, qui demeure important pour les 817 000 Québécois qui ont voté pour nous.

Avec l’élection de dix députés, l’avenir de notre formation est assuré pour les quatre prochaines années. J’aurais évidemment aimé en obtenir davantage et être moi-même élu dans ma circonscription. Mais, somme toute, je quitte avec le sentiment du devoir accompli.

Si j’ai reporté cette annonce de deux jours, c’est que je voulais m’assurer de laisser un parti en ordre, sans dette, qui fait une place importante à la relève, avec une aile parlementaire organisée.

Cette dernière campagne fut pour moi une des plus belles, sinon la plus belle. Nous avons affronté beaucoup d’adversité avec notre petite équipe, mais le plaisir a toujours été au rendez-vous. Cette équipe, réduite en nombre, a réussi à offrir une qualité exceptionnelle aussi bien en matière de contenu, d’organisation que de communications.

Les candidats, recrues pour la plupart, ont montré un enthousiasme qui ne s’est pas démenti jusqu’à la fin. La présence nombreuse des jeunes, tant au sein du personnel que parmi les militants et les candidats, m’a beaucoup réjouie et représente un gage d’avenir.

Les militants souverainistes se sont présentés, nombreux, dans tous nos évènements, de Hope en Gaspésie jusqu’à Montréal, Québec et partout où nous sommes passés. Des milliers de personnes ont repris leur carte de membre et contribué financièrement. Je les en remercie.

J’ai eu le privilège d’avoir Yolande à mes côtés pendant toute la campagne, ce qui nous a permis de faire ensemble plusieurs tours du Québec et de rencontrer des milliers de personnes. L’accueil des Québécois à notre égard m’a fortement touché. Le respect, la gentillesse et l’engagement de toutes ces femmes et ces hommes, de toutes les régions et de tous les âges, je vais m’en souvenir longtemps.

Le pays que j’ai revisité de fond en comble, notre pays le Québec, est vraiment magnifique ; le territoire est grandiose, diversifié, riche. Le territoire québécois, c’est fabuleux. Le peuple québécois, c’est encore mieux.

J’aime profondément le Québec, notre territoire, notre histoire, notre peuple. Nous formons une nation, ni pire, ni meilleure que les autres. Nous sommes différents, tout simplement. Ce sont précisément ces différences qui font la beauté du monde.

Dans l’histoire d’un peuple, il y a des hauts et des bas. Ce qui m’a guidé tout au long de cette aventure de 25 ans, c’est cette conviction intime, qui ne m’a jamais quitté une seconde, que le seul avenir digne de ce nom pour notre peuple consiste à devenir un pays indépendant.

Plutôt que de demeurer une province dans le Canada, que le Québec devienne un pays dans le monde. Comme souverainistes, nous avons le devoir de ne jamais, jamais abandonner nos convictions.

Comme nation, nous avons une responsabilité face à l’histoire, à la suite de celles et de ceux qui nous ont devancés. Nous avons la responsabilité de durer, de transmettre aux prochaines générations la fierté de faire partie de cette nation francophone des Amériques.