Aussi transparents que notre blanche démocratie

2015/10/27 | Par Simon Rainville

Nous, Occidentaux, sommes tellement certains d’être justes et supérieurs au reste de l’humanité que nous sommes aussi transparents que notre blanche démocratie.

Nos gouvernements nous surveillent à un point tel que même les plus despotiques des régimes ne peuvent espérer atteindre, mais nous avons droit, pour « analyses » politiques, à une série de commentateurs de sondages et de stratégies politiques.

La liberté de presse, nous l’aimons, mais pas au point de nous émouvoir de l’hydre bicéphale que sont les médias québécois ou de la désinformation en continu sur CNN et consœurs.

La vérité, la richesse, la liberté, nous ne les détenons peut-être pas, mais au moins nous sommes mieux qu’ailleurs, nous disons-nous. L’Occident détruit l’environnement, des gouvernements légitimement élus, des cultures millénaires, mais nous ne voulons pas le savoir.

On nous répète plutôt à longueur de journée que ce sont la Chine et l’Inde qui polluent, que l’Occident est pleinement démocratique et que Poutine est un fou furieux.

Et, sincèrement, qu’en avons-nous à faire des cultures d’ailleurs, sauf si nous pouvons nous vanter d’être in en écoutant du jazz éthiopien dans notre « hypertaverne urbaine »?

Bien sûr, nous sommes humains. Un jeune qui meurt, noyé sur une plage, même s’il est Syrien, ça nous choque. Mais ne parlez pas de les accueillir ici. Nous avons assez de nos propres maux et, disons-le, l’islamisme, c’est bien leur problème.

Nous sommes tous Charlie, l’espace d’une semaine, mais ne nous demandez pas de nous poser des questions sur les causes profondes de l’islamisme. Mieux vaut défiler au bureau de scrutin, masqués en imbéciles, et ridiculiser une culture plus que millénaire riche et diversifiée, puis s’empresser de le partager sur nos égo-écrans.

Notre illusion est si parfaite que tout ce qui ne nous renvoie pas l’image que nous avons de nous-mêmes comme celle du centre du monde civilisé ne nous touche pas ou nous paraît risible.

Dans L’Occident terroriste, Noam Chomsky et André Vltchek, que l’on présente souvent comme de gentils clowns que l’on peut lire le sourire en coin, n’y vont pas de main morte : avec 50 millions de morts dus à notre politique étrangère depuis 1945, l’Occident est le plus grand terroriste de la planète, sous des habits de justicier et de défenseur du « monde libre ».

Et si des atrocités sont commises partout sur la planète, nous en sommes les principaux fomenteurs, même si nous pensons qu’il existe deux sortes d’actes terroristes, « les leurs, qui sont effroyables, et les nôtres, qui relèvent de la vertu et qu’on a tôt fait d’occulter ». Le « fondamentalisme du marché » nous mène à tous les excès.

Attaque par drones ou par écrasement d’avions, nous disent au fond les deux comparses, n’est-ce pas la même déshumanisation?

Nécessaire, la charge apparaît parfois comme l’autre extrême de ce que les auteurs dénoncent. À les lire, on a quelquefois l’impression que les autres régions du monde ne sont que le produit de nos interventions et que le « mal » leur est inconnu par eux-mêmes, comme si les autres civilisations n’étaient en fin de compte que les victimes et les marionnettes des Occidentaux. Le pouvoir et l’arrogance sont-ils vraiment des traits occidentaux?

Néanmoins, même si seulement 10% des arguments avancés étaient vrais, leur discussion devrait nous forcer à réfléchir sur nos actions avant de faire la leçon aux autres.

Quiconque tente de comprendre le monde actuel doit garder en tête les 500 années de domination sanglante et d’humiliation que notre colonialisme a fait subir aux autres civilisations.

Cet « héritage funeste » se fait encore sentir dans la mentalité des colonisateurs, alors que les intellectuels européens, même de gauche, ne veulent généralement rien (re)connaître de leur passé colonial.

Nos grands médias de désinformation et d’asservissement de la liberté de presse, rappellent les auteurs, représentent le socle permanent de notre consentement au terrorisme. Par l’image fausse qu’ils nous présentent du monde, ces médias nous réconfortent dans notre représentation de défenseurs de la liberté.

Mais attention! Dans cette blanche démocratie, on ne parle pas de ce que l’on veut en ondes. Par exemple, l’interviewé doit dire à l’intervieweur avant de passer devant la caméra ce qu’ils comptent dire sur le sujet en question, sans quoi il ne parlera pas. Même la Chine et la Russie ne les censurent pas de cette façon, nous assurent-ils.

Ou encore, cette stratégie de la censure par le temps : les spécialistes doivent expliquer une situation complexe en 120 secondes, soit moins de temps qu’une analyse de la stratégie de Québecor pour enfin ramener les Nordiques. C’est aussi ça notre démocratie.

Mais, les habitants des autres régions de la planète, qui représentent l’immense majorité des humains et dont on ne parle que rarement dans nos médias, ne sont pas ces « non-personnes », bêtes mal dégrossies et sanguinaires, que nous vendent les médias et les gouvernements.

Vltchek, qui a grandi en URSS, dresse un portrait nuancé de son enfance, à mille lieues des clichés, alors qu’il échange avec Chomsky sur la guerre froide et sur les velléités de Poutine. Il pousse par contre un peu loin en argumentant que les meurtres politiques n’étaient pas si élevés sous Staline, mais étaient plutôt le résultat des travaux forcés dans les camps de travail. Donner la mort pour des raisons économiques ou idéologiques, où est la différence?

La Chine, que l’on aime noircir en Occident, est à plusieurs égards plus libre et respectueuse des droits de la personne que l’Inde, que l’on se complet à nommer « la plus grande démocratie du monde » dans les pays occidentaux, nous assurent-ils. La raison? L’Inde est l’allié des États-Unis alors que la Chine est une menace directe, depuis la révolution maoïste, à l’hégémonie occidentale.

Mais Vltchek y va une fois de plus d’une sorte de relativisme dangereux. Les Occidentaux ne peuvent pas critiquer la Chine puisque celle-ci est mue par une culture différente de la nôtre. Il serait donc acceptable de faire travailler des enfants parce qu’ils sont communistes ou confucianistes?

L’Amérique latine, si souvent symbole des rêves de justice depuis la révolution cubaine, n’échappe pas à l’admiration des deux comparses qui rappellent les épisodes peu glorieux du terrorisme britannique et américain, de Batista à Cuba à Lula au Brésil en passant par Allende au Chili.

Sur le Moyen-Orient et l’islam, Chomsky et Vltchek sont divisés. Alors que le premier estime que le Printemps arabe est porteur d’espoir, le second n’en croit rien. Ils s’entendent cependant pour dire que l’islamisme est sans cesse attisé et financé par les gouvernements occidentaux, préférant mille fois un gouvernement islamiste à un gouvernement séculier nationaliste qui leur ferait perdre leur mainmise sur le pays.

S’il est un peu d’espoir, soutient Chomsky, c’est dans le déclin de la puissance américaine, analyse que Vltchek ne partage pas d’emblée. Chose certaine, cette domination n’est plus ce qu’elle était du temps de la guerre froide.

Mais, la politique étrangère occidentale demeure colonialiste et ressemble souvent à une guerre larvée contre d’autres civilisations. Et si nous continuons à nous entêter à jouer au coq occidental, les anciens coloniaux nous déplumeront. Alors, laissons tomber les masques, les vrais et les figurés, regardons-nous, regardons-les.

Noam Chomsky et André Vltchek, L’Occident terroriste. D’Hiroshima à la guerre des drones, traduit par Nicolas Calvé, Montréal, Écosociété, 2005, 176 p.