Quatre conditions pour que l’investissement dans Bombardier ne soit pas un marché de dupes

2015/11/20 | Par Sylvain Martin

L’auteur est directeur adjoint d’Unifor.

À la fin du mois d’octobre, le gouvernement de Philippe Couillard a annoncé qu’il investirait dans le programme de la C-Series de Bombardier la somme de 1,3 milliard de dollars canadiens. En contrepartie de cet investissement, une société en commandite a été créée, dans laquelle le gouvernement détient une participation de 49,5%. Cette société en commandite poursuivra les activités liées au programme d’avions C-Series.

L’entente contient, entre autres, un engagement de continuité au terme duquel Bombardier doit conserver au Québec, pendant une période de 20 ans, le siège social stratégique, financier et opérationnel.

Il en va de même des activités de fabrication et les services d’ingénierie, les services partagés ainsi que les politiques, pratiques et plans d’investissement en matière de recherche et de développement de la société en commandite et ce, uniquement en ce qui concerne la conception, la fabrication et la commercialisation du CS100 et CS300.

L’annonce de cet investissement a suscité beaucoup de commentaire, la plupart pour le décrier.

Les analystes des aspects financiers de ce projet le qualifient d’entente de dupes parce que la société en commandite a été créée spécifiquement pour la C-Series, séparée du reste des autres activités de Bombardier.

En contrepartie de son investissement, les seules garanties obtenues par le gouvernement sont liées à la réussite de la C-Series. Sans vouloir faire de mauvais jeux de mots, si la C-Series tombe, l’investissement du gouvernement tombe avec.

Nos amis de la droite canadienne, via la  Fédération canadienne des contribuables, ont lancé une campagne radio pour s’opposer au renflouement de Bombardier à coups de milliards de dollars.

Selon eux, cet investissement est une claque au visage des contribuables canadiens, puisque Bombardier est une compagnie qui ne cesse de perdre de l’argent et qui vit aux crochets de l’État, tout comme General Motors, Chrysler, Pratt & Whitney, Toyota et Linamar.

Ils soutiennent que les investissements dans ces entreprises ne créent pas de bons emplois au Canada et ne servent qu’à maintenir ces entreprises dans un état de dépendance envers les deniers public.

Cette fédération de contribuables utilise les médias pour mettre de la pression sur le gouvernement Trudeau afin qu’il n’imite pas le gouvernement Couillard et réponde négativement à la demande d’aide financière de Bombardier.

Les contribuables québécois décèlent, quant à eux, un double discours du gouvernement Couillard. D’un côté, il y a toutes les mesures d’austérité au nom du sacro-saint déficit zéro qui réduisent sans cesse nos services publics et, de l’autre côté, ce même gouvernement qui emprunte sur les marchés financiers 1,3 milliard $ pour venir en aide à une multinationale.

Comme si ce n’était pas assez, Martin Coiteux, notre cher président de Conseil du trésor, essaie de justifier cette dépense, en nous expliquant tout bonnement que les sommes d’argent dégagées pour les services publics, ainsi que pour rémunérer les employés de l’État, doivent être considérées comme une dépense et de ce fait, être réduites pour équilibrer les finances publiques.

Par contre, le 1,3 milliard $ octroyé à Bombardier doit, quant à lui, être considéré comme un investissement, donc une bonne chose pour le Québec.

Il faut vraiment avoir du mépris envers le peuple québécois et les salariés de l’État pour affirmer de telles choses. Nous avons là le discours typique de la droite. Tout est toujours divisé en deux : les bons et les méchants. D’une part, les bons investissements pour aider les entreprises. D’autre part, les méchants fonctionnaires qui en demandent toujours plus. La bonne dette qui doit être considérée comme un investissement dans les entreprises et la mauvaise dette qui sert à payer nos services publics.

Je me serais attendu à autre chose que ce discours simpliste de la part du président du Conseil du trésor. Car toutes ces critiques concernant ce projet avec Bombardier et la C-Series exigent du gouvernement qu’il nous dévoile quel est son plan.

Le secteur de l’aéronautique au Québec crée des dizaines de milliers de bons emplois et le Québec est considéré comme un leader mondial, d’où la nécessité d’avoir un plan de développement.

Ce plan devrait, selon moi, avoir comme base quatre grands axes :

  1. Les subventions des gouvernements. Tous les centres mondiaux d’aéronautiques sont largement subventionnés par leur gouvernement. Ce n’est pas typique au Québec. Les gouvernements doivent s’assurer que toute forme de subvention soit accompagnée d’engagement de la part des entreprises à ce que, non seulement la recherche et le développement soient maintenus au Québec, mais également la fabrication et le service après-vente, afin qu’une grappe industrielle naisse autour des grandes entreprises de ce secteur.

  1. Les matières premières et les ressources naturelles. À elles seules, les subventions ne suffiront pas. Le Québec doit offrir d’autres avantages concurrentiels pour maintenir et attirer chez nous les entreprises du secteur de l’aéronautique.

L’un de ces avantages est l’approvisionnement en matières premières, grâce à l’abondance de nos ressources naturelles et de nos minerais.

Par exemple, le gouvernement doit favoriser les liens entre des entreprises comme Rio Tinto, qui fabrique des alliages d’aluminium, et Héroux-Devtek, qui fabrique des trains d’atterrissage à partir de ces alliages. Le défi pour le gouvernement est de trouver suffisamment d’utilisateurs de ces alliages pour justifier leur fabrication par Rio Tinto.

  1. La formation. C’est une autre base sur laquelle doit se bâtir le secteur de l’aéronautique au Québec. Nous disposons actuellement des meilleures écoles au monde en aéronautique et nous devons absolument maintenir ce niveau d’excellence

Cette expertise dans le domaine de la formation devrait être considérée comme un secret industriel. Me croiriez-vous si je vous disais que le Québec offre sur un plateau d’argent à la Chine et au Mexique notre expertise en formation? Vous me diriez sûrement qu’il faudrait être stupide pour faire cela. C’est pourtant le cas!

Par le biais du programme d’internationalisation de l’éducation mis sur pied par le gouvernement québécois, des écoles spécialisées comme l’École nationale en aéronautique (ENA) vendent notre expertise depuis quelques années au Mexique et à la Chine.

Résultat : ces deux pays sont maintenant capables de former des ingénieurs en aéronautique aussi compétents que les nôtres et, par le fait même, nous concurrencer.

  1. La régionalisation. Voilà une autre base sur laquelle il faut construire. Montréal est le seul endroit au monde où toutes les composantes pour fabriquer un avion se trouvent dans un rayon de 30 kilomètres.

Nos gouvernements, tant au niveau municipal, provincial que fédéral, doivent absolument faire en sorte que cette situation soit maintenue et perdure dans le temps. Il faut que les investissements dans ce secteur soient concentrés au Canada dans la région de Montréal afin que la métropole soit perçue comme la « Silicon Valley » de l’aéronautique.

Les investissements des différents gouvernements dans le secteur de l’aéronautique doivent être maintenus. Mais, à eux seuls, ils ne suffisent pas. Il faut un plan, une vision pour le développement de ce secteur, sinon tous ces milliards ne serviront qu’à renflouer les coffres des entreprises qui se vendront au plus offrant.

 

Photo : Bombardier